Les résultats des scrutins en Autriche et en Italie qui se sont déroulés ce 4 decembre indiquent clairement les points faibles du «politiquement correct» et des élites actuelles, considère l'historien John Laughland.
Selon le ministre des Affaires étrangères de l'Allemagne, l'Europe toute entière «a poussé un énorme soupir de soulagement» devant la défaite de Norbert Hofer aux élections présidentielles en Autriche le 4 décembre. Il a qualifié la victoire de son concurrent, Alexander («Sasha») van der Bellen, comme «un bon signe contre le populisme en Europe».
Monsieur Steinmeier se trompe gravement. Le scrutin qui a eu lieu le même jour en Italie revêt une importance bien plus décisive que l'élection du chef d'Etat symbolique dans un petit pays paisible et prospère.
Il semble d'ailleurs certain que Norbert Hofer n'aurait pas pu obtenir un score aussi élevé s'il n'avait pas pris ses distances avec l'euroscepticisme à l'anglaise
La défaite sans appel infligée à Matteo Renzi est non seulement la victoire claire d'un populisme italien on ne peut plus simpliste ; elle relève aussi d'une importance à l'échelle européenne que le duel Hofer - van der Bellen n'avait aucunement.
Pendant la campagne présidentielle en Autriche, et en particulier pendant le dernier débat télévisé du 1er décembre, Norbert Hofer n'a cessé de répéter qu'il était favorable à l'Union européenne et à l'euro. Il a insisté qu'il ne voulait pas de référendum en Autriche sur la sortie de son pays de l'UE. Tant le candidat que son parti, le FPÖ, ont catégoriquement souligné qu'un «Auxit» n'était pas à l'ordre du jour.
Le porte-parole du Parti de la Liberté a explicitement démenti les affirmations de Nigel Farage, ancien président de UKIP, selon lequel l'Autriche suivrait bientôt le Royaume-Uni. Il semble d'ailleurs certain que Norbert Hofer n'aurait pas pu obtenir un score aussi élevé s'il n'avait pas pris ses distances avec l'euroscepticisme à l'anglaise.
Certains Autrichiens se plaignent de Bruxelles mais le soutien pour une sortie est en baisse en Autriche depuis le vote du 23 juin au Royaume-Uni. Il a toujours été très minoritaire. 51 études d'opinion approfondies ont été menés depuis l'adhésion de l'Autriche en 1995 : elle montrent qu'en moyenne 70% des Autrichiens sont favorables à l'UE avec moins d'un quart de l'électorat favorable à la sortie.
La réforme constitutionnelle proposait une aliénation considérable de la souveraineté nationale italienne au profit des institutions européennes
Malgré la dénonciation par la classe politique européenne du FPÖ comme un parti de l'extrême droite, la question européenne n'était simplement pas en cause à Vienne. Les deux candidats étaient essentiellement d'accord sur ce point.
Il en allait tout autrement au sud des Alpes. On a beaucoup dit que le référendum italien, qui portait sur la réforme de la constitution, avait été pris en otage par les opposants à Matteo Renzi pour l'écarter du pouvoir. Cela est certainement vrai. Mais la réforme constitutionnelle proposée était tout sauf anodin du point de vue de la place de l'Italie au sein de l'UE : au contraire, elle proposait une aliénation considérable de la souveraineté nationale italienne au profit des institutions européennes.
Les électeurs n'avaient sans doute pas lu le texte sur lequel ils votaient. Mais le premier ministre italien avait très bien expliqué, en s'adressant au Sénat en 2014 quand il a lancé le processus de réforme constitutionnelle, que l'un des buts de l'opération était de faciliter la mise en application du droit européen. Le «déplacement du centre de gravité de la prise de décision», selon le président Renzi, était nécessaire parce que «lié à la forte accélération de l'intégration européenne et, en particulier à l'exigence d'adapter la réglementation intérieure à la récente évolution de la gouvernance économique européenne». En d'autres termes, l'Italie devait réduire le rôle de son Parlement pour mieux transposer les directives européennes. Nombreux étaient les amendements proposés qui faisaient de la mise en application du droit européen un nouveau devoir constitutionnel du Parlement italien.
Le Front national en France, qui fait tout depuis des années pour se profiler comme un parti comme les autres, devrait tirer les leçons de l'échec de son allié autrichien
Contrairement au cas autrichien, Mattei Renzi avait en face de lui une alliance de partis clairement populistes, dont le fond de commerce principal est l'opposition à l'UE et à l'euro. Le mouvement Cinq Etoiles est l'allié au Parlement européen de UKIP ; la Ligue du Nord est (comme le FPÖ) l'allié du Front national en France. Tous les deux partis sont pour l'abandon de l'euro, qui a effectivement plongé ce pays fondateur de l'UE dans la misère économique. Qu'une majorité nette des électeurs italiens se soit mobilisée en faveur de ces deux partis montre à quel point l'euro est impopulaire dans la troisième économie de la zone euro.
Là où, en Autriche, il n'y avait quasiment aucun populisme, le candidat Hofer faisant tout effort pour se présenter comme modéré - il s'est déclaré «centre-droit» à RT quelques jours avant le scrutin - Matteo Salvini de la Ligue du Nord et Beppe Grillo sont ouvertement iconoclastes et anti-système. Le Front national en France, qui fait tout depuis des années pour se profiler comme un parti comme les autres, devrait tirer les leçons de l'échec de son allié autrichien.
Dernière grande différence entre l'Italie et l'Autriche : le politiquement correct est clairement moins puissant dans la péninsule que dans les pays du Nord. Depuis des années, il a y une plus grande liberté de parole en Italie qu'ailleurs. Voilà pourquoi la scène politique italienne est beaucoup plus éclatée que dans d'autres pays où un centrisme morne étouffe toutes les différences.
La classe politique britannique dans son ensemble continue à jouir d'un soutien populaire dont les Italiens ne peuvent que rêver
Certes, les vieilles règles du jeu ont volé en éclats en Autriche, avec la disparition des deux grands partis, social-démocrate et chrétien-démocrate, de la course présidentielle. Mais en Italie l'establishment politique, sévèrement fragilisé par le départ de Silvio Berlusconi en 2011, lui-même plutôt rebelle et qui flirtait avec l'idée d'abandonner l'euro, ne tient plus qu'à un fil de soie.
Les Italiens sont particulièrement durs à l'égard de leurs dirigeants politiques. Ils sont convaincus qu'ils sont les pires de toute l'Europe.
Les victoires du Mouvement Cinq Etoiles aux élections municipales de juin 2016, où le parti a remporté les mairies de Turin et de Rome, montrent que tout est possible. Il ne faut jamais oublier que des trois derniers premiers ministres italiens, Monti et Renzi, n'ont pas été élus et que l'agacement des Italiens est à son comble.
L'étiquette «populiste» occulte donc des différences considérables. Le phénomène du rejet des élites est beaucoup plus puissant en Italie qu'il ne l'est au Royaume-Uni, où le vote pour le Brexit n'était que partiellement le fruit d'un refus global de la classe politique. Celui-ci s'explique aussi par le travail de longue haleine accompli par une partie important de l'establishment politique britannique : les principaux partisans du Brexit étaient des Conservateurs. Par conséquent, la classe politique britannique dans son ensemble continue à jouir d'un soutien populaire dont les Italiens ne peuvent que rêver. Par conséquent, si l'élan de juin et de décembre est maintenu, et si l'année prochaine ou en 2018 les Italiens élisent les vainqueurs du 4 décembre au gouvernement, le glas aura définitivement sonné pour la monnaie unique.
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