Malgré la défaite nette du FPÖ, pour le politologue Jean-Yves Camus, cette élection marque pour le parti anti-immigration autrichien «la consécration d'un long parcours d'intégration» dans la vie politique du pays, comme jamais vu en Europe.
RT France : Suite au résultat de l'élection présidentielle, le camp de Norbert Höfer explique cette défaite par la campagne de dénigrement faite à l'encontre du candidat du parti anti-immigration FPÖ. Est-ce la raison de sa défaite selon vous?
Jean-Yves Camus (J-Y. C.) : Cela peut être entré en compte mais il y a plusieurs autres facteurs qui expliquent cette défaite. Le premier, c'est le dernier débat télévisé, pendant lequel Norbert Höfer s'est montré assez agressif. Et je pense que cela a dû lui nuire. Il faut aussi prendre en compte la longueur de cette campagne présidentielle qui a duré quasiment un an avec cette annulation du deuxième tour précédent. Peut-être que le temps a permis à ses opposants de mieux se rassembler. Enfin, il y a la personnalité d'Alexander van der Bellen qui a été très habilement choisie. C'est un homme qui, tout en étant le porte-parole des Verts, est un économiste libéral tout ce qu'il y a de plus classique. Ce n'est pas l'extrême-gauche des Verts. Il a pu rassurer des électeurs de gauche mais aussi les chrétiens conservateurs. Le saut dans l'inconnu que représentait le vote pour Norbert Höfer pouvait être plus effrayant.
46% c'est tout de même un score comme aucun de cette famille politique n'en recueille en Europe
RT France La veille du scrutin, Norbert Höfer se montrait optimiste annonçant que «soit je suis président demain, soit Strache sera chancelier dans deux ans et je serais président dans quatre ans». Cette défaite présage-t-elle une future victoire aux législatives de 2018?
J-Y. C. : L'élection précédente qui a été annulée, était une quasi-victoire car l'on était à un score presque égal. Là, l'écart est tout de même important, ce n'est pas un excellente signal pour le FPÖ. Il va y avoir les élections législatives, or je pense qu'elles vont certainement confirmé la présence de longue date du FPÖ dans le paysage politique autrichien comme une force possible de gouvernement. Mais est-ce que cela sera suffisant pour gouverner seul, cela me parait beaucoup moins plausible. Après, il est vrai que dans quatre ans, la porte reste ouverte pour Norbert Höfer. 46% c'est tout de même un score comme aucun de cette famille politique n'en recueille en Europe. C'est la consécration d'un long parcours d'intégration dans la vie politique autrichienne pour le FPÖ.
Autant en Europe occidentale on entend encore souvent parler du FPÖ comme d'un parti néo-nazi, autant en Autriche cela n'a aucun sens
RT France : Contrairement au second tour en juin dernier, les grands partis traditionnels autrichiens ont choisi de ne pas donner de consigne de faute pour ménager une chance d'alliance en cas de victoire du FPÖ. Est-ce le signe d'une dédiabolisation politique de ce parti décrié médiatiquement?
J-Y. C. : La dédiabolisation malgré tout elle est faite. Dans les années 1980, le chancelier Fred Sinowatz avait accepté de gouverner avec le FPÖ dans une coalition minoritaire. Plus tard en 1999, le chancelier chrétien-conservateur Wolfgang Schüssel avait accepté de donner des porte-feuilles importants et une place de vice-chancelier au FPÖ dans un autre gouvernement de coalition. Autant en Europe occidentale on entend encore souvent parler du FPÖ comme d'un parti néo-nazi, autant en Autriche cela n'a aucun sens. c'est une composante de la vie politique, il y a une tripartition assez claire entre sociaux-démocrates, chrétiens-démocrates et ceux qu'on appelle les libéraux. Même s'il y a eu un moment dans l'histoire des FPÖ une empreinte très forte de gens qui avaient un passé dans l'extrême-droite la plus traditionnelle, ce n'est pas comme ça que c'est ressenti par l'électorat autrichien. Il suffit de regarder la sociologie du vote : 85% du vote ouvrier est allé à Norbert Höfer, c'est absolument énorme. Cela veut dire que les partis traditionnels, sociaux-démocrates notamment qui captaient d'ordinaire ces votes-là, ont complètement décroché avec cette partie là de la population. il est normal que des partis aussi affaiblis se gardent une porte de sortie. L'enseignement majeur de cette élection, et ce depuis le premier tour, c'est l'effondrement des sociaux-démocrates et des conservateurs. Et cela sera extrêmement long et difficile à réparer.
Ce n'est pas parce que quelqu'un a gagné la primaire qu'il a derrière lui cette France de la périphérie et des campagnes
RT France : Vous parlez de l'effondrement des sociaux-démocrates, or on observe en France des dynamiques assez similaires. Cette élection est-elle un signal positif pour la campagne du Front national aux présidentielles françaises?
J-Y. C. : On ne peut pas faire de parallèle, car ce n'est pas la même chose. Le FPÖ a une expérience de gouvernement, alors que le Front national ne l'a pas. Cela peut être un avantage, car il peut dire qu'il n'a jamais été associé aux affaires, mais c'est aussi un handicap en terme de crédibilité. Quant à l'effondrement du parti socialiste en France, il faudra voir après le résultat de la primaire. Je fais partie de ceux qui pensent que la candidature de François Fillon offre à la gauche la possibilité de présenter aux Français d'avoir une alternative claire. Je ne sais pas ce que choisiront les dirigeants et militants socialistes à leurs primaire mais on peut avoir un véritable combat droite-gauche avec deux projets de société différents. Et ce n'est pas forcément un avantage pour Marine Le Pen. Cependant, elle garde un avantage : les classes populaires. Car les classes populaires sont restées en dehors de la primaire de la droite et resteront certainement éloignées de celle de la gauche. Ce n'est pas parce que quelqu'un a gagné la primaire qu'il a derrière lui, cette France de la périphérie, des campagnes, celle que Marine Le Pen appelle la France des oubliés, va voter en masse à la présidentielle et peut trouver que le choix entre François Fillon et le candidat social-démocrate est du déjà-vu et dans ce sens Marine le Pen est l'alternative.
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