La peur de la Russie est un prétexte dont se servent les européistes pour promouvoir leurs idées et priver les pays européens de ce qu'il leur reste de leur souverainté. L'historien John Laughland se penche sur les dernières résolutions de l'UE.
La résolution votée le 23 novembre par le Parlement européen qui vise à contrer «la propagande anti-UE dirigée contre elle par des tiers» a fait couler beaucoup d'encre. Les commentateurs ont eu raison de ricaner sur l'aspect absurde et grotesque de cette démarche, grotesque parce que, ayant invoqué dans le préambule de cette résolution sa résolution de 2009 sur le totalitarisme, l'UE semble être devenue elle-même une victime de la paranoïa totalitaire. Les régimes communistes, historiquement, croyaient que les opinions dissidentes exprimées contre le système par leurs propres citoyens étaient en réalité téléguidées par des puissances étrangères hostiles, d'où la férocité de la persécution contre ces dissidents qui étaient méprisés comme des agents de l'étranger et donc comme des traîtres. Passé soviétique, présent européen.
La distinction entre ami et ennemi étant la définition même du politique, nous avons donc la confirmation de l'orientation future des structures bruxelloises
Moins visible a été la résolution votée la veille, toujours au Parlement européen, sur la création d'une Union européenne de la défense. Celle-ci pourrait revêtir une importance bien plus grande que la résolution renforçant la communication stratégique de l'Union. Les deux résolutions ont ceci en commun qu'elles désignent les mêmes ennemis: la Russie et l'Etat islamique. C'est d'ailleurs la première fois que l'UE désigne et nomme ses ennemis : dans aucun autre document précédent l'UE ne l'avait fait, préférant évoquer des «menaces» générales et anonymes. Maintenant, c'est chose faite : la distinction entre ami et ennemi étant la définition même du politique, nous avons donc la confirmation de l'orientation future des structures bruxelloises.
La résolution du Parlement européen est le résultat direct d'une décision prise à Paris et à Berlin dans la foulée du vote en faveur du Brexit en juin. En septembre, la France et l'Allemagne avaient décidé de redémarrer le projet longtemps dormant d'une identité militaire européenne. Docile, le Parlement européen obéit à ses maîtres. Le réveil de la origines au bois dormant de l'Europe de la défense est en réalité un retour aux sources de la construction européenne. En effet, dès les années 1950, la construction européenne devait être militaire. Cinq mois après la déclaration Schuman du 9 mai 1950, où le ministre français des Affaires étrangères a annoncé de façon autoritaire et unilatérale la création de la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier comme premier socle de la construction européenne, le Premier ministre français, René Pleven, a annoncé, le 8 octobre 1950 au Conseil des ministres et le 24 octobre devant le Parlement français, la création d'une armée européenne. Quatre ans plus tard, cette initiative sera déboutée par ce même Parlement, à cause d'une coalition montée contre elle par les Gaullistes et les communistes. Par conséquent, on ne s'en souvient pas. Mais le Plan Pleven mort-né révèle le caractère fondamentalement fédéraliste du tout premier projet européen. Celui-ci a été conçu principalement pour constituer un bloc politiquement, économiquement et militairement uni pour mener la guerre froide - ou chaude, en cas de besoin - contre un bloc de l'Est encore embryonnaire.
Les deux résolutions, sur l'Union européenne de la défense et sur la «propagande anti-UE», sont des soeurs siamoises. Dans la résolution sur la défense, on retrouve la même constellation d'Européens de l'Est que dans celle sur la propagande, cette dernière ayant été rédigée par une équipe de sept députés dont deux Polonais, un Lituanien et un Roumain. De même, le rapport sur l'Union européenne de la défense a été présenté par un ancien ministre estonien des Affaires étrangères, Urmas Paet, qui d'ailleurs a aussi voté la résolution pour contrer la propagande. Le vocabulaire employé dans les deux résolutions est aussi le même, les nombreuses références dans la résolution sur l'Union européenne de la défense aux «menaces hybrides» contre l'Europe étant en réalité une façon codée de parler de la Russie dont la résolution sur la propagande dit qu'elle mène une «guerre hybride» en Ukraine (alinéa E). Autrement dit, la lutte contre la propagande relève aussi de la politique militaire.
Prendre les accords catastrophiques de Schengen comme modèle pour une nouvelle étape de la construction européenne relève d'une mentalité on ne peut plus perverse
Il est évident que ces Européens de l'Est espèrent tirer leurs marrons du feu en agitant l'épouvantail russe. Le rapporteur Paes a souligné les besoins des Etats à l'Est de l'Europe en termes d'infrastructure. Ces Etats se trouveraient sur la première ligne de front contre une Russie agressive et mériteraient, à cause de leur situation géopolitique, d'être reconnus - et surtout remboursés - pour leur soi-disant défense de l'Europe toute entière. Paet a exprimé son souhait que cette Union européenne de défense investisse dans l'infrastructure des Etats de l'Est, en construisant des routes par exemple, ce que, visiblement, les tigres de la Mer baltique eux-mêmes n'ont pas réussi à faire pendant les vingt-cinq ans de leur liberté du joug soviétique, un quart de siècle dont on ne cesse de vanter la réussite économique.
La résolution appelle à la création d'un «Schengen de la défense». Prendre les accords catastrophiques de Schengen - qui sont la cause directe de la crise des migrants en Europe, une crise qui n'a été matée que par la construction de nouvelles frontières physiques, en Hongrie, en Croatie et en Slovénie - comme modèle pour une nouvelle étape de la construction européenne relève d'une mentalité on ne peut plus perverse. Mais la perspective d'une liberté totale de mouvement pour toutes les armées européennes dans l'espace européen n'est pas sans rappeler l'hostilité des armées allemandes le 1er septembre 1939 contre l'idée même de frontière, une hostilité manifestée par les photos qui montrent les soldats allemands abattant les barrières aux postes frontières polonais.
Les Européistes feront tout pour nourrir cette peur de la Russie pour avancer leur cause aujourd'hui largement discréditée
On peut, certes, trouver la perspective d'une armée européenne ridicule. Le risque est patent qu'elle se noie dans la soupe aux pâtes alphabet des sigles des structures européennes qui sont énumérés les uns après les autres dans ce texte illisible: CSP, PSDC, CFP, AED, VP/HR et ainsi de suite. Mais un acquis est certain. Si, une fois l'Union européenne de la défense créée, et les frontières militaires intra-européennes abolies, le QG européen décidait d'envoyer des troupes d'un pays européen sur le territoire d'un autre, cela serait légalement possible dans la mesure où ce que Monsieur Paet appelle «les obstacles bureaucratiques» à ceci auraient disparus. Il est bien évident que, dans cette situation, le dernier simulacre de souveraineté nationale aurait été abandonné, et tout cela à cause de la peur de la Russie. Décidément, les Européistes feront tout pour nourrir cette peur pour avancer leur cause aujourd'hui largement discréditée.
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