Le président français bat des records d’impopularité. Cela peut paraître embarrassant mais n’a en réalité strictement aucune importance pour un système qui a abandonné toute préoccupation populaire, estime le chroniqueur Matthieu Buge.
Il y a un peu moins d’un siècle, Calouste Gulbekian, brillant financier arménien, entrait dans la légende en devenant «Monsieur 5%» grâce à une part de la Turkish Petroleum Company qu’il avait intelligemment négociée. Aujourd’hui, François Hollande, piètre homme d’Etat, entre dans la légende en devenant «Monsieur 4%» à cause d’une cote de popularité qu’il a très consciencieusement élaborée pendant un mandat désastrueux. A chaque époque ses grandes figures, à chaque pays les représentants qu’il mérite.
Selon une nouvelle enquête Ipsos pour le Cevipof et Le Monde, François Hollande aurait donc atteint de nouvelles profondeurs abyssales avec 4% de cote de popularité. On fait certes dire aux sondages ce que l’on veut quand bon nous semble, mais ce dernier a été réalisé auprès de 17 000 personnes (ce qui est une dizaine de fois plus qu’un sondage classique), et, alors que la gauche française tente de surnager et que la classe médiatique vole habituellement à sa rescousse, on serait bien en peine de douter. François Hollande est au fond du gouffre. On pourrait bien arguer que ce sondage est uniquement à destination de François Hollande lui-même, qu’il a été commandé par son propre entourage pour le décourager de se présenter à sa propre succession, mais admettons pour l’heure que ce sondage est bel et bien l’expression d’une vision populaire.
Comment peut-on être déconnecté des électeurs à ce point ? On peut bien fustiger Jean-François Copé et son estimation au petit bonheur la chance du prix du pain au chocolat. Copé est de droite. L’étiquette exige de se le représenter avec un havane dans une main et un paquet de chips au cygne dans l’autre. Mais le président français est lui catalogué à gauche. Ne soyons pas surpris. Il ne s’agit que d’une énième preuve que, dans le grand cirque politique, tous les numéros sont interchangeables. Face à cette question sur le prix du pain au chocolat, François Hollande aurait sans doute répondu la même chose que Jean-François Copé – tout en se demandant intérieurement comment les «sans-dents» pouvaient bien manger du pain...
On peut imaginer que François Hollande, comme d’autres, pense sincèrement aller dans la bonne direction et qu’il se voit comme l’un des leaders d’une politique nécessaire, à l’instar d’une autre personnalité totalement impopulaire comme Bernard-Henri Lévy
Fluctuat nec mergitur
Pourquoi est-il encore là ? C’est la question de bon sens que nombre de gens se posent.
L’ancien ministre de l'Economie Emmanuel Macron, après lui avoir remis sa démission, aurait dit au sujet du président français qu’il était «sociopathe». C’est une explication séduisante : après tout, dans l’Histoire, bien des chefs d’Etat ont été sociopathes voire psychopathes, menant leur barque sans avoir même conscience des conséquences de leurs actions sur leur entourage. Mais le diagnostic n’appartient qu’à Emmanuel Macron (s’il s’est vraiment exprimé ainsi) et, même s’il est avéré, est-ce une raison bien suffisante pour que François Hollande reste où il est, et ose même potentiellement se présenter à sa propre succession ? On peut imaginer, sans trop de difficultés, que François Hollande, comme beaucoup d’autres, pense sincèrement aller dans la bonne direction. Il est fort probable qu’il se voie comme l’un des leaders d’une politique nécessaire, à l’instar d’une autre personnalité totalement impopulaire comme Bernard-Henri Lévy. Eux savent. Le peuple non. Il faut le guider. Dans ce cas, François Hollande devrait, s’il se considère démocrate, s’interroger. Mais cela n’arrivera pas. Car, même si un Manuel Valls passe son temps à donner des leçons de démocratie, aucun d’entre eux n’est réellement «démocrate».
Tout au long de l’Histoire, dans la plupart des systèmes politiques, un dirigeant aussi peu populaire était chassé de son siège par les siens, trop impatients de se présenter comme opposants, hommes du renouveau ou, au minimum, disciples ayant tiré les leçons des échecs de leur maître. Les temps ont changé. Jusqu’à présent, pendant cinq ans de dégringolade continue, les rats n’ont que très discrètement quitté le navire. Emmanuel Macron ne compte pas vraiment : il a dit lui même ne pas faire partie de «cette caste». Aucun Brutus ne s’est totalement dévoilé – même si on sent que Manuel Valls est titillé par ses ambitions. A cela, deux conclusions possibles. Soit le cénacle hollandais, comme son président, s’estime à la pointe de la vision politique et, contre vents et marées, entend mener à bien sa politique, soit toute cette tripotée de hauts fonctionnaires a trop bien compris que mettre aux fers le capitaine reviendrait à saborder le navire, à perdre sa place de choix dans le système. Que sauver les apparences maintiendrait le bateau à flot.
Ils ne prennent pas beaucoup de risques. Car il n’y aura (curieusement ?) pas de Maïdan en France. Et c’est tant mieux. François Hollande a été démocratiquement élu pour cinq ans. Le contrat sera respecté. Il fera ses cinq ans. Et devrait logiquement déguerpir dans quelques mois. Certes, que le peuple français, avec sa «tradition révolutionnaire» dont il est si fier, se soit cantonné pendant ce quinquennat à des «nuits debout» d’un côté et à des «manifs pour tous» de l’autre, peut paraître étonnant. Mais l’épouvantail fasciste et/ou populiste a toujours fonctionné à merveille, il permet de dompter l’énergie des foules. Et si Alain Juppé passe en 2017, la gauche néolibérale reprendra en 2022, et la roue tournera comme elle tourne depuis cinquante ans : toujours dans le bon sens. Les 96% de grognons s’en contenteront : c’est ça ou le nazisme.
Le système est bien rodé. En dépit des événements et du bon sens, il est battu par les flots, mais ne coule pas.
Etre populaire auprès de ses électeurs est désormais un mauvais signe, celui du retour aux heures les plus sombres.
Quand les sondages rencontrent Orwell
François Hollande n’est pas le seul à devoir faire face à une popularité en chute libre. Le parti d’Angela Merkel, en ce mois d’octobre 2016, en est à 29,5%. C’est certes 7,3 fois mieux que François Hollande, mais on ne saurait dire qu’il s’agit là d’un glorieux résultat. Et pourtant. Angela est déterminée. Elle est convaincue, maintient le cap. Ces exemples catastrophiques s’expliquent par bien des choses concrêtes (austérité en Europe, crise des migrants, soumission de plus en plus évidente à l’ordre nord-américain), mais leur impact s’annule par un procédé très abstrait : l’inversion des valeurs. On le sait depuis des années, en Occident, la guerre, c’est la paix et la paix c’est la guerre. Mais l’orwellisation du discours ne concerne pas que les affaires militaires.
Alors que François Hollande aurait peut-être, en d’autres temps, subi le même sort que Louis XVI, il s’est vu récompensé en tant qu’«homme d’Etat de l’année» par la fondation américaine Appeal of conscience. Sarkozy l’avait été avant lui – autre preuve de l’interchangeabilité de ces individus. Barack Obama, de son côté, a réussi à fustiger Vladimir Poutine à cause de sa popularité, estimant que cette dernière était digne de celle de Saddam Hussein. Tout cela est assez cohérent. Etre populaire auprès de ses électeurs est désormais un mauvais signe, celui du retour aux heures les plus sombres. Un bon dirigeant est un dirigeant qui poursuit les objectifs de l’élite. Un bon dirigeant est un dirigeant qui fait du base jump sans parachute depuis l’échelle de la popularité.
Dans la veine de la confusion conceptuelle volontaire, un autre représentant du système, Daniel Cohn-Bendit, a un jour expliqué que la démocratie n’était pas de favoriser la majorité au détriment des minorités mais la «défense» («promotion» conviendrait mieux) des minorités face à la majorité. Une recette que le Parti socialiste comme les démocrates clintoniens aux Etats-Unis ont bien en tête. Ce sont les minorités qui font le succès de ces dirigeants. Mais à ce stade (4% !), de quelles minorités s’agit-il ? Des journalistes, avec qui Hollande passe 30 à 40% de son temps ? Sans doute pas, la presse n’aurait sinon jamais relayé une information pareille. De toute évidence, il va falloir un peu plus de circonvolutions intellectuelles et de marketing pour faire croire au peuple que la politique de François Hollande, intérieure comme extérieure, est facteur de progrès.
Que restera-t-il de François Hollande dans six mois ? Peu importe en réalité. Même s’il devient Monsieur sans pourcent pour la majorité, il sera forcément Monsieur 100% pour une poignée, celle qui décide.
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