Les liens très étroits qui ont été noués au cours des quarante dernières années entre le Qatar et les pays occidentaux ne faiblissent pas, parce qu’ils garantissent la survie du pays, estime l'écrivain Olivier Da Lage.
RT France :Les auteurs français du livre Nos très chers Emirs, publié le 20 octobre, se posent une question : les émirs du Qatar sont-ils de vrais amis de la France. Qu’en pensez vous ?
Olivier Da Lage (O. D. L.) : Les relations entre le France et le Qatar sont assez étroites, et ce depuis l’indépendance du Qatar. A tel point que le discours d’indépendance du Qatar prononcée aux Nations unies en 1971 par le ministre des Affaires étrangères qatari a été prononcé en français. D’une certaine manière, c’est plus le Qatar qui a choisi la France, essentiellement parce que le rival régional, le Bahreïn, était dans l’orbite britannique. Et on connaît la rivalité traditionnelle entre la France et la Grande Bretagne au Moyen-Orient.
La France considère qu’elle a un rôle à jouer au Moyen-Orient en général, et la région du Golf en fait partie
RT France : Pourquoi la France a-t-elle noué des relations aussi étroites avec les monarchies du Golf ? Il y a aussi des relations assez étroites avec l’Arabie saoudite. Pourquoi la France cherche-t-elle à se rapprocher de ces pays ?
O. D. L. : D’abord, le France n’est pas seule. C’est la Grande-Bretagne qui dominait historiquement la région du golfe arabo-persique et y a conservé des liens extrêmement étroits après son départ en 1971. Ensuite, les Etats-Unis naturellement. L’Union soviétique y est restée longtemps à l’écart, en raison de la rivalité américano-soviétique. Mais dès la fin des années 1980, il y a eu une percée diplomatique de l’URSS au sultanat d'Oman, aux Emirats, et plus tard en Arabie saoudite, et après la chute de l’Union soviétique, cela a continué avec la Russie. Même s’il y a des rivalités pétrolières et géopolitiques. La France n’est pas la seule. Evidemment, la France est interessée pour deux raisons. Elle considère qu’elle a un rôle à jouer au Moyen-Orient en général, et la région du Golf en fait partie. Deuxièmement, évidemment les ressources en hydrocarbures intéressent tout le monde, et la France a des compagnies pétrolières, comme Total, présente au Qatar depuis longtemps.
RT France : Le rapprochement vers ces pays dépend-il des dirigeants ou est-ce une stratégie à long terme ?
O. D. L. : Ce choix, l’orientation très favorable au Qatar, a été particulièrement marqué à l’époque de Nicolas Sarkozy. Pour des raisons personnelles, lui et l’émir du Qatar se sont bien entendus, mais aussi parce qu’ils ont manifestement partagé l’analyse, selon laquelle la France et le Qatar, dans leurs efforts respectifs, n’avaient peut-être pas de poids suffisant seuls, mais qu'en jouant ensemble, ils pouvaient influencer davantage le sort du monde. On a le sentiment que cet accord (je ne sais pas s’il est tacite ou explicite), entre l’émir du Qatar le Cheikh Hammad et Nicolas Sarkozy, explique que beaucoup d’initiatives communes qui ont eu lieur pendant les années du mandat de Nicolas Sarkozy, sont allées très loin. François Hollande a cherché à rééquilibrer cela quand il est arrivé aux affaires en 2012. Mais,lui, est allé également très loin du côté de l’Arabie saoudite, avec une politique réaliste fondée sur des intérêts stratégiques et commerciaux, mais qui présente également des inconvénients, surtout au moment où l’Europe et les Etats-Unis s’ouvrent à nouveau vers l’Iran.
On ne voit pas très bien l’intérêt qu’auraient ces pays à vouloir délibérément affaiblir ou jouer contre les intérêts français, britanniques ou américains, alors qu’ils dépendent très largement d’eux pour leur sécurité
RT France : Le Point titrait «Liaisons dangereuses» en parlant des liens de la France avec l’Arabie saoudite et le Qatar. Est-ce effectivement aussi risqué que l’assure l’hebdomadaire ?
O. D. L. : Il y a d’une part la corruption mentionnée dans l’hebdomadaire, mais aussi le fait qu’une bonne partie des terroristes djihadistes s’inspirent de l’idéologie qui dérive de la pratique religieuse émanant d'Arabie saoudite et du Qatar. Quand la France est intervenue au Mali, il y a eu des explications assez directes entre la France et le Qatar, parce que le Qatar avait envoyé son Croissant-Rouge dans les zones contrôlées par les djihadistes. Il pourrait y avoir un malentendu assez profond sur les rapports entre la France et le Qatar à ce sujet. En revanche, concernant ce qui a pu être dit à l’époque, je ne crois pas un seul instant que le Qatar agisse en sous main pour fragiliser les pays européens, dont la France, tout simplement parce que l’intérêt vital du Qatar, l'intérêt de sa situation économique et politique, est que les liens très étroits qui ont été noués au cours des quarante dernières années entre ce petit pays et les pays occidentaux, ne s’affaiblissent pas, parce qu’ils garantissent sa survie.
RT France : Comment cela garantit-il sa survie ?
O. D. L. : Déjà par des garanties de défense. [...] Ils achètent du matériel très coûteux à la France, à la Grande-Bretagne, et aux Etats-Unis pour s’équiper. C’est aussi, en quelque sorte, une prime d’assurance, pour s’assurer que, s’il y leur arrive un problème, ils seront défendus. C’est un deal de départ et un deal d’arrivée. On ne voit pas très bien l’intérêt qu’auraient ces pays à vouloir délibérément affaiblir ou jouer contre les intérêts français, britanniques ou américains, alors qu’ils dépendent très largement d’eux pour leur sécurité.
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