«La politique française en Syrie est suicidaire»

«La politique française en Syrie est suicidaire»© Philippe Wojazer Source: Reuters
François Hollande accueille au Palais de l'Elysée le prince héritier et vice-Premier ministre d'Arabie saoudite Mohammed ben Nayef Al Saoud
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Lutte contre Assad, lutte contre Daesh avec l'aide de la Russie, critique de la Russie... La France change sans cesse d'idée. Alexandre Del Valle, expert en géopolitique, explique les turbulences de la politique orientale française.

RT France : Jean-Marc Ayrault, ministre des Affaires étrangères, a déclaré que la politique russe en Syrie relevait «du cynisme». La position de la France était «ni Assad, ni Daesh», après c’était plutôt «Tous contre Daesh», allant jusqu’à considérer les forces russes comme des alliés. Quelle est finalement la véritable stratégie française en Syrie ?

Les Occidentaux poursuivent la stratégie pro-islamiste, qui consiste à jouer la carte de l’islamisme sunnite pour endiguer la Russie et ses alliés ainsi que le nationalisme arabe

Alexandre del Valle (A. V.) : Pour répondre à votre question, il faut parler de l’Occident en général. Les Occidentaux n’ont pas de stratégie. La stratégie des pays occidentaux c’est une stratégie médiatique des hommes politiques qui n’ont aucune vision géopolitique et stratégique. Ils ne sont pas honnêtes avec leurs alliés. Regardez comment la Libye qui était considérée comme allié en 2005 a été détruite, avec assassinat de son leader, en 2012. Aujourd’hui, la seule stratégie des Occidentaux, de gauche comme de droite, c’est l’indignation du moment pour aller dans le sens du vent médiatique. Ce n’est pas très joli : les Russes ont «tué des innocents à Alep», tout le monde va être contre la Russie. Et si, demain, il y a un nouvel attentat à Nice, à Strasbourg ou à Paris, ils diront qu’il faut s’allier à la Russie. Au lieu de penser stratégie, ils font des déclarations marketing, des opérations de communication. C’est ça le drame : les Occidentaux ne sont plus capables de stratégie, ou alors ce sont des stratégies non-avouées ou suicidaires. Ils sont obligés de communiquer dans l’instant pour plaire à l’opinion publique qui, d’ailleurs, est formée par ce que j’appelle des lobbies politiquement corrects. Comme ces lobbies disent que les Russes sont des criminels, il faut maintenant dire que les Russes sont l’ennemi, un obstacle à une solution en Syrie, etc. Quand il y a un attentat islamiste, ils vous diront l’inverse, parce qu'alors les hommes politiques ont peur de perdre des voix, du coup ils ont une vision beaucoup plus réaliste, affirmant que les véritables ennemis sont les islamistes.

C’est plutôt une stratégie cohérente du point de vue du Qatar, de Koweït et de l’Arabie saoudite et de la Turquie. Les Occidentaux ne font que suivre

RT France : Mais toute action politique est effectuée dans les intérêts de quelqu’un. Peut-on dire que quelqu’un profite de ce côté velléitaire de la stratégie occidentale ?

A. V. : Je pense que le véritable intérêt stratégique des Occidentaux aujourd’hui est de faire plaisir aux rares clients qui leur apportent de l’argent et leur fournissent en même temps de l’énergie. Il y a une stratégie non-avouée : faire plaisir au Qatar, au Koweït, à la Turquie et surtout à l’Arabie saoudite. Le gouvernement français est très lié aux Saoudiens, au Qatar. Et, comme vous le savez, le Qatar est le parrain des Frères musulmans, alors que l’Arabie saoudite est le parrain de l’islamisation sunnite à l'échelle mondiale. Les Occidentaux agissent en quelque sorte un peu comme des mercenaires et des parents de l’islamisme sunnite radical. C’est pour cela que nous avons renversé Kadhafi, pour mettre à la place les Frères musulmans, c’était une demande des Qataris.

Dans le passé, quand on a bombardé les Serbes pour faire une Bosnie islamique et un Kosovo islamique indépendants, en violation du droit international, on sait que c’était déjà des pressions des pays du Golfe qui avaient menacé de violer l’embargo. L’organisation de la coopération islamique, l’OCI, avait énormément insisté, allant jusqu'à menacer de représailles pétrolières et stratégiques. Depuis la fin de la guerre froide les Occidentaux poursuivent ce que j’appelle la stratégie pro-islamiste, qui consiste à jouer la carte de l’islamisme sunnite pour endiguer la Russie et ses alliés, ainsi que le nationalisme arabe consideré comme hostile. Parce que nos clients, les pays du Golfe, veulent renverser tous les régimes nationalistes arabes, et le dernier qui reste aujourd’hui, c’est la Syrie.

Les Occidentaux acceptent la propagande islamiste sur leur propore sol, alors qu’à long terme, cela va se retourner contre eux

RT France : Les pays de la région soutiennent donc cette stratégie de l’Occident, et de la France en particulier, c’est cela ?

A. V. : C’est plutôt une stratégie cohérente du point de vue du Qatar, de Koweït et de l’Arabie saoudite et de la Turquie. Les Occidentaux ne font que suivre. Au Moyen-Orient, les Occidentaux n’ont qu’une stratégie suiviste, qui ne consiste pas à donner des idées, à inventer de nouvelles positions, mais à suivre leurs clients pour leur faire plaisir. Ils n'ont au Moyen-Orient aucun principe, ne défendent aucune valeur. Ils ne font que suivre leurs intérêts économiques à court terme.

RT France : Ces intérêts à court terme sont-ils une base stratégique suffisante ? Existe-t-il des intérêts à long terme qui les contrediraient ?

A. V. : Absolument. Je dis toujours qu’une bonne stratégie doit tenir compte des intérêts économiques, mais également des intérêts à long terme de type géo-civilisationnel. Aujourd’hui l’Occident a totalement renié ses racines européennes, chrétiennes, judéo-chrétiennes. Il a totalement mis de côté ces intérêts de survie culturelle. C’est pourquoi les Occidentaux acceptent la propagande islamiste sur leur propore sol, alors qu’à long terme cela va se retourner contre eux. Quand on voit que les pôles mondiaux de l’islamisme radical (l’Arabie saoudite, le Pakistan, la Turquie, le Qatar) financent les centres islamiques en Europe, on sait très bien que ces centres vont remonter les populations musulmanes en Europe contre leurs propres gouvernements. Ce n’est absolument pas notre intérêt à long terme, c’est une politique suicidaire, mais elle est fondée sur des buts à court terme. Le court terme peut être intéressant, mais il va contredire le long terme. Une bonne stratégie devrait tenir compte des deux. C’est pourquoi je propose une redéfinition générale de la distribution des amis et des ennemis. Cela ne veut pas dire rompre avec tout le monde, cela veut dire exiger de nos partenaires qu’ils respectent nos intérêts. 

Lire aussi : «L'avenir de la Syrie, pour l’instant c’est la guerre»

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