Nassim Taleb : «On a peur du terrorisme, mais le cygne noir, pour le monde, ce seront les maladies»

Nassim Taleb : «On a peur du terrorisme, mais le cygne noir, pour le monde, ce seront les maladies»
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Nassim Taleb, auteur du best-seller «Le Cygne noir», traduit en 32 langues et vendu à trois millions d'exemplaires, évoque pour RT les menaces auxquelles le monde doit s'attendre et explique comment faire face aux événements les plus imprévisibles.

RT : Vous avez pu dire qu’il n’y avait aucun moyen de contrôler les cycles économiques et d'en prévenir les accidents, est-ce vraiment le cas ? Peut-on s'immuniser contre de tels risques ?

Nassim Taleb (N. T.) : Essayer de contrôler les cycles économiques est une erreur. C'est comme si le médecin essayait de microgérer la température de votre corps. Si vous prenez quelque chose d’organique et vous mettez à contrôler sa variabilité, vous finirez avec moins de variabilité qu'au départ, mais le système sera plus fragile. La même chose va se passer avec l’économie. Si pendant un temps long vous n’avez aucune volatilité, si vous n'avez jamais de plongeon dans l’activité économique, qu'est-ce qui se passe avec les entreprises ? Vous aurez beaucoup d’entreprises fragiles et donc beaucoup de matière inflammable, si l'on peut le dire. Elles vont se multiplier, et la toute première crise que vous ne serez plus en mesure de contrôler sera beacoup plus profonde qu'elle n'aurait pu l'être. Un peu de variabilité dans l’économie est donc très sain. De fait, ce qu'il faut probablement faire, c'est gérer une grande crise, mais, dans le cas de petites crises - laissez les choses se résoudre d'elles-mêmes.

Le fait que la Russie ait traversé les problèmes au début des années 1990 montre que le système peut gérer des perturbations graves dans les structures institutionnelles sans s'effondrer

RT :  Vous avez dit que, si vous aviez le choix, vous aurez préféré investir en Russie plutôt qu'en Arabie saoudite. Cela pourrait sembler étrange pour beaucoup. Pouvez-vous expliquer pourquoi vous feriez une telle opération ?

N. T. : Selon mon schéma de l'éthique du jeu, quelque chose doit être mis à risque, à présent je n'ai rien à risquer en Russie, mais je n'ai rien à risquer en Arabie saoudite non plus. Si on regarde l'histoire, on comprend que les entreprises, les pays, les entités - appelons-les les entités - qui ont récemment subi des  traumatismes (comme par exemple les actions qui rebondissent, passent par l'enfer et reviennent) nous font savoir ce qu'elles sont capables de supporter. Par conséquent, le fait que la Russie ait traversé les problèmes au début des années 1990 montre que le système peut gérer une énorme baisse de l’activité économique, une énorme augmentation du chômage, des perturbations graves dans les structures institutionnelles sans pour autant s'effondrer. Je me sentirais donc beaucoup plus à l'aise dans un pays de ce type, parce que je sais que l’ordre social n’est pas susceptible de s’effondrer, quoi qu’il arrive. Pour l'Arabie saoudite - je ne sais pas si elle peut supporter la chute des prix du pétrole, je ne sais pas ce qui pourrait être le catalyseur, mais je sais que quelque chose va s’effondrer en fin de compte.

RT : La Chine est toujours au cœur des discussions. Faut-il avoir peur des problèmes de l’économie chinoise, que signifient-ils pour l'économie mondiale ?

N. T. : Cela dépend du cadre dans lequel vous considérez la Chine. Pour comprendre où elle en est maintenant, il faut voir où elle a commencé. Si l'on y pense en fonction des catégories [habituelles] des journalistes, les gens vont choisir ce qui est le plus sensationnel. Mais les journalistes n’investissent pas, et les investisseurs ne travaillent pas pour les journaux... Alors, si on choisit le bon cadre, je ne vois aucun problème en Chine pour le moment. Je suis beaucoup plus préoccupé par ce que provoquent les bas taux d’intérêt, comme aux Etats-Unis, où la politique économique de baisser monstrueusement les taux a créé des inégalités. Les actifs ont donc augmenté de façon disproportionnée. En outre, il nous faut nous rendre compte du fait que le marché boursier chinois est énorme et que les Chinois n'achètent pas vraiment dans le reste du monde.

Vous avez à vous inquiéter des États-Unis, pas de la Chine - si le sort de la Chine vous préoccupe

J'ai calculé que les exportations américaines en Chine sont moindre que les ventes de Walmart, cela reste considérable, mais cela ne nous donne pas beaucoup de points... un ou deux points de PIB. C'est plus psychologique qu'effectif. En revanche, un ralentissement aux Etats-Unis affecterait gravement la Chine. Vous avez à vous inquiéter des États-Unis, pas de la Chine - si le sort de la Chine vous préoccupe.

RT : Le monde d'aujourd'hui souffre largement de la dette. Comment des pays comme la Chine et les Etats-Unis vont-ils faire face à leur dette ?

N. T. : C’est ce qui m’inquiète. Les gouvernements ont des dettes. Pourquoi ? Pas parce que les gouvernements se disent «d'accord, suivant notre politique économique on va devoir emprunter» - le fait est que, par exemple le gouvernement Français sous-estime son déficit. C’est de là que vient la dette. C'est donc ce à quoi les fonctionnaires ne comprennent rien. Ils sous-estiment l'incertitude à laquelle ils doivent faire face, ils augmentent ce qu'ils ne peuvent pas augmenter via les impôts par l'endettement, et essaient de gonfler les choses hors du système.

Les économistes font promotion de la dette tout simplement parce qu'elles profitent aux fonctionnaires

Si on lit les manuels économiques, ils présentent des modèles dans lesquels la dette peut marcher. Mais ensuite, si l'on met le méta-modèle au top, bien plus rigoureux d'un point de vue analytique, si on tient compte des erreurs, on se rend compte que la dette aggrave tous les problèmes que vous avez - si l'on met de côté les petites sommes pour aider les familles. Où en sommes nous aujourd'hui ? La crise de la dette a entraîné une énorme augmentation de la dette des entreprises qui n’ont pas vraiment besoin de cette dette. C’est une spéculation, mais c'est ce qu'elles ont fait. Après la crise, beaucoup n'auraient pas dû être autorisés à emprunter. Qui en a payé le prix ? Les contribuables. Comment ? A l'aide d'une baguette magique, la dette privée a été transformée en dette publique.

Maintenant que nous avons beaucoup de dettes, nous sommes confrontés à une situation où la réduction de la dette causerait une énorme contraction de l’activité économique. C'est là où nous avons des problèmes : à mon avis donc il faut éduquer les gens, il faut leur expliquer que la dette n'est pas une bonne idée. On peut leur donner l'exemple de Microsoft ou d'Apple qui se sont développés sans dettes. Les économistes font la promotion de la dette tout simplement parce qu'elles profitent aux fonctionnaires, c’est tout. Il faut apprendre aux gens à éviter l’endettement.

Ce qui se passe dans le monde n'a pas d'importance, ce qui importe, c'est votre stratégie pour minimiser les chocs produits par des événements aléatoires

RT :Jusqu'à quel point peut-on accepter son destin ?

N. T. : Ceux qui contrôlent le mieux leur environnement sont ceux qui pensent le plus que l’environnement est aléatoire. En même temps, les personnes qui se croient capables de déterminer causes et effets et de tout prévoir, qui sont persuadés qu'il n'y a pas d'opacité, ces personnes-là échouent. Comme il y a des poches de probabilités, je sais que des choses fragiles peuvent s'effondrer. Si vous acceptez cette imprévisibilité, vous êtes prêts à réparer ce qui sera cassé, du coup, quand vous vous trompez, cela vous coûte peu et lorsque vous avez raison, cela vous apporte beaucoup. Ce qui se passe dans le monde n'a pas d'importance, ce qui importe, c'est votre stratégie pour minimiser les chocs produits par des événements aléatoires.

RT : Croyez-vous qu'il y aura encore plus de «cygnes noirs» à venir, étant donné que va si vite de nos jours ?

N. T. : La seule chose qui se passe aujourd'hui dans notre monde est que nous sommes plus interconnectés. De ce fait, les choses peuvent se produire beaucoup plus rapidement qu’auparavant. Je ne serais pas inquiet à cause d'un seul et unique problème, car outre l'argent il y a aussi des virus, des bactéries virales, des germes.

J’ai été très déprimé, quand j’ai vu la réaction au virus Ebola. C’est beaucoup plus dangereux que tout autre chose, parce qu’il se multiplie et agit très rapidement. Daesh n'est certainement pas le danger. Il fut un temps où la peste se répandait à la vitesse de 45 kilomètres par jour au maximum. Aujourd'hui, quelle serait sa vitesse ?

La réaction des gens relève de la complaisance. Ils ne se rendent pas compte qu'une chose de ce genre devrait être systématiquement arrêtée à sa source. Les journalistes utilisent ce que j'appelle «l’empirisme naïf», en le comparant aux autres grandes maladies. D'accord, mais le nombre des cancers ne double pas chaque semaine. Vous n’avez pas à vous inquiéter, ce n’est pas une épidémie, c’est juste notre réalité. Le virus d'Ebola ou d'autres maladies, nous n'y sommes pas prêts. Si demain nous sommes confrontés à une situation d’urgence comme dans le cas d'Ebola... Nous avons un système très bien organisé pour empêcher les terroristes de voyager, on les bloque, on coopère sur ce point, mais nous n’avons pas le même niveau de coopération pour arrêter immédiatement la propagation d'un virus de ce genre. 

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