«Atteintes flagrantes à la souveraineté» : pourquoi le Mali rompt ses accords de défense avec Paris
- Avec AFP
Le porte-parole du gouvernement malien, le colonel Abdoulaye Maïga, a annoncé que le Mali rompait les accords de défense signés avec la France, dans un contexte tendu. Les autorités dénoncent des «atteintes flagrantes» à la souveraineté nationale.
Les autorités maliennes ont annoncé dans la soirée du 2 mai la rupture des accords de défense conclus avec la France et ses partenaires européens, nouvelle manifestation de la dégradation des relations entre Bamako et ses anciens alliés.
Mettant à exécution une menace brandie depuis des mois, les autorités – dominées par les militaires arrivés au pouvoir en août 2020 – ont annoncé officiellement «dénoncer» les Accords de statut des forces (Status of Force Agreements, ou Sofa) fixant le cadre juridique de la présence au Mali des forces française anti-djihadistes Barkhane et des forces européennes Takuba, ainsi que le traité de coopération en matière de défense conclu en 2014 entre le Mali et la France.
Dans un communiqué lu à la télévision nationale, le porte-parole du gouvernement, le colonel Abdoulaye Maïga, a invoqué les «atteintes flagrantes» de la part de la France, engagée militairement dans le pays depuis 2013, à la souveraineté nationale. Il a cité «l'attitude unilatérale» de la France lorsqu'elle a suspendu en juin 2021 les opérations conjointes entre les forces françaises et maliennes, l'annonce en février 2022, «encore sans aucune consultation de la partie malienne», du retrait des forces Barkhane et Takuba, et les «multiples violations» de l'espace aérien par les appareils français malgré l'instauration par les autorités d'une zone d'interdiction aérienne au-dessus d'une vaste partie du territoire.
«Eu égard à ces insuffisances graves ainsi qu'aux atteintes flagrantes à la souveraineté nationale du Mali, le gouvernement de la République du Mali décide de dénoncer le traité de coopération en matière de défense du 16 juillet 2014», a-t-il déclaré.
Les autorités maliennes ont notifié cette dénonciation dans l'après-midi du 2 mai aux autorités françaises et elle prendra effet, selon le porte-parole, six mois après cette notification. En revanche, c'est avec «effet immédiat» que les autorités maliennes dénoncent le Sofa de mars 2013 encadrant l'engagement de la force française Serval, puis Barkhane, ainsi que le protocole additionnel de mars 2020 s'appliquant aux détachements européens de Takuba, le regroupement d'unités spéciales européennes initié par la France, toujours d'après Abdoulaye Maïga.
De son côté, la France a jugé «injustifiée» la décision malienne. «Informée, le 2 mai, de la décision unilatérale des autorités de transition maliennes de dénoncer [ces accords, la France] considère cette décision injustifiée et conteste formellement toute violation du cadre juridique bilatéral qui serait imputable à la force Barkhane», a fait valoir une porte-parole du ministère français des Affaires étrangères dans une déclaration écrite.
La dénonciation du Sofa aura-t-elle des répercussions sur le retrait en cours de Barkhane, annoncé en février en point d'orgue à des mois d'escalade des tensions ? La question se pose alors que ce retrait est censé s'échelonner sur quatre à six mois.
Le Mali échappe-t-il à l'influence française ?
L'annonce des autorités maliennes s'inscrit dans le cadre d'une dégradation des relations entre deux anciens alliés qui ont combattu ensemble la contagion djihadiste partie du nord de ce pays pauvre et enclavé. Elle a depuis gagné le Niger et le Burkina Faso voisins, et menace de s'étendre encore plus au sud jusqu'au Golfe de Guinée. Elle a fait au Mali des milliers de morts, civils et combattants, et laissé le pays proche de sombrer, de l'aveu même des autorités.
Paris avait notamment fait part de sa désapprobation après le second coup d'Etat mené par les colonels en mai 2021 contre un président et un Premier ministre qu'ils avaient eux-mêmes installés, et dénonçait également la révocation par les colonels de leur engagement à rendre le pouvoir aux civils en février 2022.
Les autorités français reprochent également au pouvoir malien de se rapprocher de la Russie. Paris et ses alliés accusent les autorités maliennes de s'être assuré les services de la société privée russe Wagner, tandis que Moscou insiste sur la distinction entre cette société privée et le gouvernement. Le gouvernement malien conteste toute présence du groupe, et parle d'une collaboration ancienne d'Etat à Etat avec la Russie.
Le Mali a expulsé l'ambassadeur de France en janvier.
A l'époque déjà, le ministre des Affaires étrangères Abdoulaye Diop envisageait la dénonciation, si nécessaire, du traité de coopération. Le Mali avait demandé des amendements en décembre en faisant valoir que certaines stipulations étaient selon lui contraires à la souveraineté nationale.
Le Mali cherche-t-il à couper officiellement les ponts avec la France ? Questionné à ce sujet par RT France, Drissa Kanambaye, analyste et spécialiste du Sahel explique : «La relation entre le Mali et la France s'est détériorée jusqu'à arriver à un point de quasi non-retour [...] Quand vous regardez bien les nouvelles autorités qui sont au pouvoir et quand vous comparez ce qu'ils font à l'opinion publique malienne, ils n'ont même plus le choix que d'avancer. Parce que la population peut se révolter rapidement [...] [si] la population sent une sorte de reculade des autorités.»
Autre exemple de cette dégradation des relations, la semaine dernière, le gouvernement malien a accusé l'armée française d'«espionnage» et de «subversion» après la diffusion par l'état-major français de vidéos tournées par un drone à proximité de la base de Gossi (centre) restituée en avril par la France. Deux jours après cette restitution, l'armée française avait, pour contrer ce qu'elle qualifiait d'«attaque informationnelle», publié une vidéo de ce qu'elle disait être des mercenaires russes en train d'enterrer des corps près de cette base afin de faire accuser la France de crimes de guerre.