Attaque terroriste au Mozambique : le scénario sahélien plane sur l'Afrique australe
L'attaque de Palma rappelle que le Mozambique et la sous-région demeurent sous la menace terroriste. La porosité des frontières et la montée en puissance des groupes armés forment un cocktail explosif dont les effets sont déjà constatés au Sahel.
L'attaque terroriste de Palma le 24 mars dernier a de nouveau mis la situation sécuritaire du Mozambique et plus largement celle de la sous-région au-devant de l'actualité. La décision dans la foulée de Total de suspendre un projet gazier dont l'investissement représente près de 20 milliards de dollars, a brutalement rappelé à la communauté internationale la capacité des djihadistes à intensifier leurs opérations jusqu'à menacer d'importants sites étrangers.
Pourtant, la dégradation sécuritaire ne date pas d'hier : la région du Cabo Delgado – région du nord du pays où s’est produite l’attaque – est le théâtre depuis 2017 d’un conflit opposant le groupe armé Ansar Al-Sunna (Les Partisans de la tradition), également appelé Al-Chabab (Les jeunes) et officiellement affilié depuis 2019 à l’Etat islamique de la province d’Afrique centrale (ISCAP), aux autorités mozambicaines. En 2020, Ansar Al-Sunna s'était emparé pour la quatrième fois du port stratégique de Mocimboa da Praia, localisé au sud de Palma et à proximité également des immenses champs de gaz où Total mène ses opérations d'extraction.
Pauvreté, frontières poreuses : comme au Sahel, le nord du Mozambique présente un environnement favorable pour les groupes armés
La paupérisation de la région, mal connectée au reste d’un pays déjà exsangue sur le plan économique, ou encore l’influence des islamistes radicaux présents au sud de la Tanzanie, ont participé à l’émergence de ce groupe armé. Ces facteurs de causalité ne sont pas sans faire écho à ceux expliquant la déstabilisation de la zone sahélienne.
Interrogé par RT France, le président de l'Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE), Emmanuel Dupuy, estime que les deux régions comptent effectivement nombre de points communs : «La situation ressemble bigrement à la situation au Sahel. Comme la région des trois frontières [zone englobant les frontières du Mali, du Niger et du Burkina Faso] où sont installés la plupart des groupes terroristes que nous combattons, la région englobant la frontière entre la Tanzanie et le nord du Mozambique ressemble à cette région où la dimension transfrontalière du rayonnement des actions terroristes est une réalité. Quand le mouvement a quitté Palma, délogé par les forces armées, une partie des combattants se sont réfugiés de part et d’autre de la frontière».
Pour Emmanuel Dupuy, «l’externalisation de la sécurité impliquant des acteurs étrangers», en raison de la faiblesse des forces armées mozambicaines, constitue également un élément de comparaison. «Au Sahel ce sont des armées internationales ou régionales qui sont sur le terrain. Concernant la lutte contre l’ISCAP, ce sont des groupes armés privés comme Wagner ou Dyck Advisory Group (DAG)».
La collusion entre groupes armés et forces armées locales «sur fond d’économie parallèle», la radicalisation d'une partie de la communauté Mwani à dominante musulmane au Mozambique comme celle touchant la communauté Peul en Afrique de l'ouest, constituent pour Emmanuel Dupuy d'autres similitudes.
Vers une réponse sécuritaire internationale élargie
Inquiets face aux derniers développements, les pays de la communauté de développement d'Afrique australe (Sadc, l'organisation régionale composée de 16 pays membres) tentent de se mettre en rang de bataille pour éviter une contagion terroriste dans la région. Une réunion s'est d'ailleurs tenue le 8 avril sur ce sujet et a vu la participation des dirigeants du Mozambique, du Malawi, de la Tanzanie, du Botswana, d'Afrique du Sud et du Zimbabwe. Mais pour l'heure, l'intervention de forces armées de pays tiers au Mozambique comme celles du Zimbabwe ou du Botswana reste incertaine, Maputo n'ayant pas encore donné son accord de principe.
Par ailleurs, le report d'une réunion prévue le 28 avril et dont le but initial était d'évaluer les moyens militaires pour soutenir le Mozambique retarde l'échéance d'une action régionale. Pour autant, la récente mobilisation des présidents de la sous-région traduit la volonté de certains pays voisins du Mozambique d'apporter une réponse régionale au conflit.
Présente dans le cadre de l'opération Atalante – une mission militaire et diplomatique dont l'objectif est de lutter contre l'insécurité et notamment la piraterie dans le golfe d'Aden et l'océan Indien – l'Union européenne pourrait également, comme au Sahel, prendre part à la lutte antiterroriste.
«La réponse internationale au Mozambique ressemble vraiment à la réponse apportée au Sahel. L’Union européenne a anticipé avec la mise en place au Sahel en 2013, de la mission de formation de l'Union européenne au Mali (EUTM) pour la formation des forces armées et la montée en puissance du dispositif français Barkhane et concomitamment une action régionale et internationale. On est à l’aune de cela au Mozambique : il n’y aura sans doute pas une opération onusienne, mais il y aura une opération européenne en tout cas une mission EUTM, des pays qui ont plus la légitimité d’intervenir comme le Portugal car le Mozambique était son ancienne colonie jusqu’en 1975», analyse sur ce point Emmanuel Dupuy.
Le Portugal a par ailleurs signé à Lisbonne le 10 mai avec son ancienne colonie un nouvel accord de coopération militaire prévoyant une augmentation des effectifs envoyés en mission de formation. L'accord encadrant la coopération militaire entre les deux pays à l'horizon 2026 contient «des éléments de continuité et des éléments d'évolution», a expliqué le ministre de la Défense portugais, Joao Gomes Cravinho, qui s'exprimait devant la presse aux côtés de son homologue mozambicain, Jaime Bessa Neto. «Nous avons ajouté un important projet de formation de forces spéciales mozambicaines, qui entraînera la multiplication par quatre du nombre d'effectifs portugais travaillant avec leurs homologues au Mozambique», a précisé Joao Gomes Cravinho cité par l'AFP.
En attendant, si le risque d'une propagation des opérations terroristes demeure réel en Afrique australe à l'instar de ce qui est observé depuis plusieurs années dans la bande sahélienne, Emmanuel Dupuy souligne qu'il est important de rappeler que l'agenda d'Ansar al-Sunna est éminemment local. «Les récentes découvertes gazières», dans le nord du Mozambique, constituent «un élément important dont il faut tenir compte».
Malik Acher