Ahcène Amarouche, professeur des Universités, propose une analyse géopolitique de l'Afrique, comme nouveau centre d'enjeux pour les Etats-Unis et d'autres puissances mondiales sur les terrains économique et politique.
Dans son dernier ouvrage qui sonne comme un testament politique [1], Zbigniew Brzezinski qualifiait à juste titre « l’Amérique » (les Etats-Unis) de première puissance globale de l’histoire. Ses arguments référaient à la position dominante acquise par ce pays« grâce aux applications militaires des innovations scientifiques les plus avancées » (p.49). Plaçant l’Eurasie au centre des conflits futurs, il s’inquiétait de la perte d’influence probable de l’Amérique sous l’effet de l’alliance éventuelle des « deux principaux acteurs » (entendre la Russie et la Chine) auxquels il ajoutait plus loin l’Inde qui « a acquis un statut de puissance régionale et se conduit virtuellement comme un acteur mondial de premier ordre » (p.74).
Sans doute l’Eurasie continuera-t-elle de représenter pour longtemps le centre du monde et suscitera-t-elle encore les mêmes convoitises de l’Amérique pour ses ressources et les mêmes calculs politiques pour la sauvegarde de l’hégémonie planétaire qu’elle a acquise depuis la fin de la guerre froide. A la faveur de l’effondrement du bloc socialiste, elle a disséminé de très nombreuses bases militaires dans les pays d’Asie Centrale qui ont rejoint le club des puissances vassales pour contrer la Russie et l’Iran, pays décidément réfractaires à la pax americana. Mais les évènements de la dernière décennie ont en partie déplacé les enjeux vers l’Afrique… après bien sûr le pourtour de la Méditerranée, berceau de civilisations anciennes dont dérivent les trois religions monothéistes aujourd’hui en compétition dans les sphères publiques et privées, pour ajouter aux déterminations géopolitiques et géostratégiques de la situation des déterminations idéologiques.
Alors que la Méditerranée, qui a été au centre des rivalités religieuses entre les puissances à travers l’histoire, est de nos jours un lieu de confrontation ouverte ou latente entre les pays riverains soudainement entrés en compétition dans l’exploration offshore du pétrole et du gaz conduisant, sous des prétextes idéologiques, à des guerres régionales impliquant les grandes puissances, le continent africain a été jusque-là laissé par ces dernières à la mainmise des anciennes puissances coloniales (principalement la France et le Royaume-Uni). Mais cette mainmise n’est pas que d’ordre économique : le poids de l’héritage culturel français et britannique est tel de nos jours que s’ajoute aux clivages ethniques, aggravés par des frontières artificielles entre les nations nouvellement indépendantes, un clivage intellectuel entre les pays anglophones et les pays francophones ou au sein même de ces pays comme le montre le cas du Cameroun où pareils clivages conduisent à des tensions qui débouchent épisodiquement sur des conflits armés [2].
Le poids du passé colonial
Si la politique africaine du Royaume-Uni repose depuis le milieu des années 1960 sur l’idée d’un retrait progressif et d’un engagement minimum vis-à-vis de ses anciennes colonies, le pays a continué à leur attribuer aide et assistance technique en situation de faiblesse de l’investissement privé britannique dans ces contrées nouvellement indépendantes où l’instabilité politique le dispute aux tensions interethniques et socioéconomiques. Des considérations de politique intérieure, conjuguées à l’affaiblissement de sa puissance, ont amené le Royaume-Uni à se contenter du format plutôt lâche du Commonwealth dans ses relations avec les pays africains anciennement colonisés. Cette politique de distanciation « bienveillante »comme la qualifie Micheel Lee [4] le pénalise fortement de nos jours où il ne représente plus qu’une puissance de second rang dans le monde derrière l’Allemagne, le Japon et la France principalement. C’est péniblement qu’il tente de reprendre la main en Afrique comme nous le verrons plus loin.
Il n’en va pas de même de la France qui a non seulement gardé une très forte présence culturelle dans les pays de sa sphère d’influence (y compris les anciennes colonies belges où le français était d’usage), mais y a développé dès leur indépendance des formes de sujétion économique si prégnantes qu’il est bien difficile aux pays qui y sont soumis de s’y soustraire.
L’Afrique sub-saharienne et l’influence française
Cette sujétion transparaît nettement dans les relations monétaires entre l’ancienne métropole et les pays de l’Afrique de l’ouest et de l’Afrique centrale: liés à l’ancienne puissance coloniale par des accords à la base de leur monnaie commune – le franc CFA indexé au franc français, puis à l’euro – ils peinent à sortir des accords susmentionnés tant en raison de la faiblesse de leurs économies qu’en raison des obstacles élevés par la France devant leurs timides initiatives. Leur projet de changement de la monnaie (du franc CFA à l’éco dans le cas des pays de l’Afrique de l’ouest)reste pour l’heure un vœu pieux en dépit des dispositions nouvellement affichées par le président français relativement à cette question. Mais même si pareille monnaie voyait le jour, rien ne garantit qu’elle ne doive conserver le lien existant avec la monnaie européenne tant les pays concernés sont structurellement dépendants de leur commerce de matières premières avec la France et l’UE. Comme l’écrit à ce sujet Ahmed Bambara [4] dans le quotidien burkinabé Aujourd’hui au Faso, « La parité de l’Eco reste garantie par la France qui demeure l’assureur tout risque de ses ex pré-carrés », ce qui donnerait à la réforme monétaire envisagée un caractère nominal se traduisant par un simple changement de nom de la monnaie africaine.
Jusque-là présentés comme promouvant un mécanisme de solidarité unique au monde, ces accords prévoyaient que, en contrepartie de la garantie offerte par le Trésor français, les pays membres de la BCEAO et de la BEAC(respectivement Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest et Banque Centrale des Etats de l’Afrique Centrale)ont l’obligation de déposer 50% de leurs réserves de change (65% avant 2005 et 2009 respectivement) auprès de la Banque de France ; laquelle est en outre représentée dans les instances dirigeantes des deux banques africaines où elle a évidemment un poids surdimensionné. Aussi, nombreux sont les analystes africains, à l’exemple de l’auteur précité, qui n’ont de cesse de dénoncer la mainmise de la France sur les finances publiques des pays de la zone CFA même après le passage à l’éco où les obligations de dépôt des réserves de change auprès du Trésor français seront en principe abrogées.
Cependant, la dépendance monétaire de ces pays n’est pour ainsi dire que la face émergée de l’iceberg : leur dépendance économique s’étend à tous les domaines d’activité, de l’agriculture à la gestion des ports en passant par l’exploration et l’exploitation des gisements d’hydrocarbures et de diverses matières minérales métalliques et non métalliques. Tandis que le commerce intra-zone qui justifierait de l’existence d’une monnaie unique est faible, les avantages que pouvaient en tirer les pays pris individuellement ou en groupe le sont aussi au regard des inconvénients résultant de tels accords si l’on en croit l’économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla [5].
Mais la France, tout comme le Royaume-Uni, est à présent en perte de vitesse devant les autres grandes puissances qui y prennent pied par le biais d’investissements directs (qu’elle n’était pas en mesure de réaliser en dehors des secteurs où elle a des intérêts vitaux comme l’exploitation de l’uranium au Niger et du pétrole au Gabon) ou par le biais de garanties diverses.
Le Maghreb et le jeu trouble des puissances
Les pays du Maghreb, qui ont tout pour former un continuum sociopolitique, ont tout fait pour s’y soustraire. Anciennes colonies ou protectorat d’une même puissance européenne si l’on excepte la Lybie (et le Sahara Occidental qui est passé d’une colonisation à une autre), ils partagent le même socle ethnoculturel sur une aire géographique étendue et assez homogène, que renforce le même héritage colonial pour lui conférer une double culture – moderne et traditionnelle. Mais leurs rivalités ont eu raison de leur histoire commune. Incapables de mettre en œuvre une politique de développement coordonnée sur base de leurs propres ressources, ils entretiennent depuis leurs indépendances respectives une tension commode qui opère comme un exutoire aux problèmes internes qu’ils n’arrivent pourtant pas à contenir.
Formellement plus indépendants de l’ancienne métropole que les pays d’Afrique subsaharienne puisqu’ayant chacun une monnaie censée les préserver des problèmes posés à ces derniers par l’indexations du CFA au franc (maintenant à l’euro), des compagnies nationales spécialisées dans l’exploration et l’exploitation des principales ressources (hydrocarbures et gaz pour l’Algérie et la Lybie, phosphates pour la Tunisie et le Maroc, fer pour la Mauritanie), ils n’ont pourtant pas réussi à mettre en place des projets de développement internes structurants (ni, a fortiori, des projets communs), à même d’offrir du travail et des revenus à des populations jeunes qui n’aspirent qu’à sortir de leur marginalisation économique, de leur stigmatisation sociale et de leur exclusion politique. Il n’est donc pas étonnant que, de frustration en frustration, celles-ci aient fini par s’en prendre à la légitimité même des Etats maghrébins qui, dans le contexte géostratégique tourmenté aux extrémités du quel ces derniers se trouvent insérés, nourrissent de surcroît des tensions interétatiques qui les affaiblissent matériellement et moralement. Entretenant des armées nombreuses, hyper-équipées mais néanmoins bien trop faibles pour faire face ensemble ou séparément à d’éventuelles armées coalisées comme ce fut le cas en Lybie, les pays du Maghreb font le jeu des puissances qui les fournissent en matériels militaires pour d’hypothétiques conflits intra-maghrébins qui les maintiendrait pour longtemps en marge des pays émergents.
Des cinq pays du Maghreb, les rivalités les plus aiguës se manifestent entre le Maroc et l’Algérie. C’est eux aussi qui possèdent les armées et les matériel militaires les plus redoutables, accumulés dans un esprit de confrontation que ne retient que la sagesse des populations, éreintées par leur similaire condition. Ainsi, et tandis que les budgets militaires des deux pays explosent à la faveur des interminables provocations réciproques, des émeutes émaillent régulièrement en interne des régions en proie à la misère, au déni identitaire, aux tracasseries policières et à de bien d’autres nuisances. Dans ces conditions, le socle social de leur régime respectif s’érode à vue d’œil, l’un (l’Algérie) tentant par tous les moyens [6] de s’adosser au souvenir de la guerre de libération nationale (devenu un vecteur anthropologique de par la force de son message), l’autre (le Maroc) tentant de faire de la marche verte initiée par le roi Hassan 2 pour revendiquer la marocanité du Sahara Occidental [7],le même statut que la guerre de libération de l’Algérie.
A cela s’ajoute une incertitude politique de taille : la maladie, déclarée ou tue, du monarque et du président, qui gèle jusqu’aux affaires courantes dans les deux pays, réduits à s’affronter à coups de communiqués de leurs ministères des affaires étrangères.
Les nouveaux acteurs en présence
Si les gisements d’hydrocarbures ne représentent plus qu’un des nombreux enjeux pour deux des trois superpuissances puissances (Etats-Unis et Russie) en raison de l’importance de leurs propres réserves ou de la possibilité qui leur est offerte de valoriser les ressources offshore puis le pétrole et le gaz de schiste, les gisements de minéraux métalliques et non métalliques à usages industriels multiples changent radicalement la donne pour tous les pays développés en rendant l’Afrique plus attractive que l’Eurasie, soumise de longue date à une tension sur les ressources du fait de leur exploitation soutenue. Or le sous-sol africain recèle une grande quantité de ces minéraux.
Sans parler de l’Afrique du sud, pays développé qui produit chrome, manganèse, platine, vanadium et autres minéraux rares, les anciennes colonies anglaises, françaises, belges espagnoles et portugaises d’Afrique sont fortement pourvues en divers autres minéraux suscitant des convoitises à peine voilées. On peut citer :
- La République Démocratique du Congo (RDC) qui est le plus grand producteur mondial de coltan (producteur également de cobalt, de diamants et de cuivre sans parler du pétrole);
- Mozambique, principal producteur d’aluminium du continent ;
- Le Zimbabwe, pourvu du deuxième plus grand gisement de platine au monde ;
- Et, en vrac, la Guinée pour la bauxite, le Niger pour l’uranium, le Gabon pour le titane, et le Mali pour l’or.
Coltan, cobalt, titane et uranium sont les matériaux nobles des industries de l’électronique, de l’aéronautique et du nucléaire tandis que la bauxite entre dans la fabrication de ciments de diverses caractéristiques et des briques réfractaires utilisées dans le revêtement externe des engins spatiaux.
Certains des pays susmentionnés sont aussi des producteurs effectifs ou potentiels de terres rares dont les usages récents varient de la pierre à briquet à l’énergie nucléaire en passant par les batteries pour les smartphones et les voitures électriques, le polissage du verre et tous autres usages à caractère civil ou militaire comme les nouvelles technologies de guidage des missiles. C’est ce qui explique la ruée vers ces nouveaux matériaux et l’élévation conséquente au rang de zone géostratégique de la région subsaharienne où activent désormais les grandes puissances sous divers prétextes (lutte contre le terrorisme pour les Etats-Unis avec l’Africom et pour la France avec les opérations Serval et Barkhane, aide au développement pour la Chine avec de lourds investissements en infrastructures économiques, rétablissement de la stabilité des Etats pour la Russie avec la vente d’équipements militaires de grande efficacité etc.). Plus récemment, la Turquie s’est mise de la partie au point où son offensive suscite la colère des industriels africains [8] tandis que, parallèlement, Etats-Unis, Chine, Japon, Russie, France et Royaume-Uni rivalisent d’initiatives pour des sommets avec les gouvernants des pays africains ou des rencontres bilatérales durant lesquels se nouent des relations d’affaires à l’ombre des témoignages d’amitié et des promesses d’aide.
Ainsi du dernier sommet en date – l’UK Africa Investment Summit –du 21 janvier 2020qui « a jeté les bases d’un nouveau partenariat entre le Royaume-Uni et les États africains, reposant sur le commerce, l’investissement, le partage des valeurs et l’intérêt mutuel» [9] (déclaration finale), dont il était attendu que des contrats commerciaux soient signés pour un montant de 6 milliards de livres.
Sans doute l’Afrique est-elle désormais appelée à connaitre de plus vives tensions internes que par le passé en raison de la persistance ou de l’aggravation des problèmes démographiques, ethniques, économiques et des problèmes politiques qui émergent en plus grand nombre. Ces tensions n’épuiseront peut-être pas la panoplie des moyens internes de les contrer (surtout qu’il y fait usage d’un armement importé de haute technologie) mais elles ont déjà donné lieu à des interventions étrangères comme ce fut le cas en Somalie dans les années 1990 et comme c’est le cas en Lybie et au Mali plus récemment. De telles interventions ont permis à certaines des grandes puissances de s’assurer une place en Afrique et d’asseoir sur une base pérenne leur présence, quitte à se livrer des guerres sanglantes par milices et autres factions autochtones interposées. Il en était déjà ainsi des pays du Proche-Orient comme l’Irak et la Syrie et maintenant des pays d’Afrique comme la Lybie qui connait depuis 2015 un regain de tension entre les grandes puissances et les puissances subalternes telles que l’Egypte et la Turquie. En l’absence de capacités endogènes de développement qui offriraient à leurs populations des perspectives de sortie du marasme ambiant, les autorités de ces pays n’ont eu d’autres choix que de se réfugier derrière les puissances étrangères pour se préserver des risques de chute brutale ; ces dernières n’hésitant pourtant pas à les sacrifier sur l’autel de leurs intérêts et de leur idéologie comme ce fut le cas au cours du printemps arabe qui se révéla être un automne pour les peuples révoltés. Au pire, ces dernières trouveront toujours, quoique sur le fil du rasoir, un terrain d’entente implicite pour faire de l’Afrique le nouvel eldorado pour leurs activités extractives tout en en faisant aussi le terrain de jeu de leurs rivalités politico-idéologiques ou le champ de manœuvre de leurs essais militaires.
Néanmoins, et bien qu’on puisse imputer aux velléités d’instauration d’un nouvel ordre mondial par les puissances occidentales qui s’érigent en puissances tutélaires, la déstabilisation de pays comme la Lybie et le Mali (sans parler de la Syrie et d’autres pays du Proche-Orient) sous le prétexte commode mais effectif d’atteintes aux droits de l’homme, les problèmes internes entrainant de profonds mécontentements populaires sont toujours à l’origine des conflits qui ont dégénéré en guerre civile dans ces pays. Répressions féroces de manifestations pacifiques, interdictions de partis légalement constitués de l’opposition, emprisonnements exécutions de leurs militants ou de simples citoyens en quête de droits sans parler des manipulations systématiques des résultats des élections prétendument pluralistes sont monnaie courante et finissent par soulever une exaspération telle des populations qu’une intervention extérieure paraît justifiée aux yeux des puissances tutélaires qui alimentent en sous-main de pareilles tensions.
Dans le mouvement général qui s’est dessiné sous leur aile depuis 2010, un certain nombre de pays qui ont essayé de résister et/ou de perturber les plans préétablis de réorganisation de la carte géopolitique du monde, ont subi de graves dommages, allant jusqu’à hypothéquer leur existence en tant que nations : Afghanistan, Irak, Soudan, Lybie, Syrie, Mali etc. en ont fait les frais. Les tensions qui persistent dans tous ces pays sont de nature à perpétuer la présence des puissances tutélaires dont les intérêts sont en jeu au prix d’une déstabilisation régionale aux conséquences désastreuses sur les pays concernés. D’intérêts, il n’y a cependant pas que l’exploitation des ressources ou toute autre forme de mainmise sur leur économie mais aussi l’occupation de positions idéologico-culturelles face aux puissances rivales traditionnelles et, depuis déjà une décennie, face à de nouveaux prétendants à l’hégémonie régionale comme la Turquie.
Les facteurs idéologiques et culturels dans les enjeux géostratégiques
Nous avons débuté cette contribution par une citation de Zbigniew Brzezinski où il était question de la perte d’influence de l’Amérique dans le monde sous l’effet de l’alliance probable des deux principales puissances rivales : la Russie et la Chine. L’enjeu est ici de caractères politique plutôt qu’économique et moral plutôt que matériel. Cette problématique n’est certes pas nouvelle puisqu’elle date de la guerre froide au cours de laquelle se sont affrontées sur tous les terrains les idéologies libérales et communistes. Mais elle l’est sous un autre angle de vue: devenue jusqu’aux années 2010 l’unique puissance globale, l’Amérique (relayée par l’Union Européenne) s’est crue habilitée à dicter sa loi au monde et à se comporter en juge suprême. Elle découvre avec étonnement que les mêmes puissances que par le passé (soit la Russie et la Chine) lui contestent sa suprématie, l’une sur le terrain militaire, l’autre sur le terrain commercial ; les deux sur le terrain politique et moral en ce qu’elles prônent le multilatéralisme contre l’unilatéralisme de la première quitte à s’accommoder ouvertement (quand l’Amérique et l’UE soutiennent en sourdine des régimes du même acabit) de gouvernements autoritaires ou dictatoriaux dans les rangs de leurs alliés.
Quoique l’Amérique et l’UE, aient encore de nombreux atouts en mains pour imposer un globalisme culturel sur fond de maitrise des nouvelles technologies de l’information et de la communication, le zèle qu’elles mettent à interférer dans les affaires de tous les pays selon qu’ils adhèrent ou non à leur vision de la démocratie, des droits de l’homme et de la bonne gouvernance leur aliènent de plus en plus de gouvernements de par le monde, tandis que nombre d’entre eux se tournent désormais vers la Russie et la Chine qui ne conditionnent plus leur aide par un suivisme culturel ou idéologique.
C’est que, outre l’irréalisme de leur politique consistant à faire fi des cultures fondées sur une philosophie holiste, Etats-Unis et Union Européenne s’entêtent à ne pas voir dans les formes de communautarisme aux racines ancestrales de nombreux peuples et nations du monde, un fait sociologique plutôt qu’idéologique alors même qu’ils occultent le caractère idéologique de leur propre vision du monde, adossée à un libéralisme économique auquel ils associent en exclusivité les plus nobles valeurs humaines. Mais, tandis que le libéralisme économique a commencé à produire des effets pervers sur leurs propres systèmes productifs, ils en viennent à les défendre par d’autres lois que les lois supposément immanentes de l’économie qu’ils promeuvent dans leur philosophie morale : exterritorialité du droit américain et sanctions de toutes natures contre les gouvernements et les personnalités de pays tiers viennent au secours d’une politique culturelle en perte d’influence et d’un système de valeurs en perte de repères.
C’est dans ce contexte qu’il convient de s’interroger sur les perspectives africaines de la récente élection présidentielle états-unienne. Quoiqu’il ait usé et abusé des sanctions et de l’exterritorialité du droit américain à l’encontre des puissances rivales, le président Trump a pris la mesure des dégâts causés à l’économie de son pays par son expansion même. Bien que maladroite et peu cohérente, sa tentative de recentrer sa politique économique sur l’Amérique (America first) a eu d’incontestables effets positifs avant que ne s’abatte sur le pays la pandémie COVID-19 qui en a annihilé les résultats jusqu’à lui coûter sa réélection. Sur le plan politique, sa critique acerbe de l’OTAN, dont il n’a cessé de dire qu’elle ne servait plus à rien depuis la chute du bloc socialiste et dont il réclamait des pays alliés d’Europe de plus grands efforts contributifs, son refus d’engager l’Amérique dans un conflit avec la Russie en Europe de l’est(Ukraine) et au Proche-Orient (Syrie), sa recherche d’une solution de paix dans la péninsule coréenne etc. ont conforté une forme de multilatéralisme que contrariait en revanche ses positions inconsidérément pro ou anti israélienne, iranienne et vénézuélienne. Plus fervents défenseurs de l’expansionnisme idéologique américain que l’Amérique elle-même, certains pays de l’UE n’ont pas arrêté depuis son élection de critiquer la politique étrangère de Donald Trump. En instrumentalisant une Cour Pénale Internationale aux ordres et des ONG prétendument soucieuses des atteintes aux droits de l’Homme, ces puissances vassales de l’Amérique s’étaient déjà signalées par une volonté inflexible de mettre au pas certains gouvernements africains et proche-orientaux. Comme si combattre le mal par le mal pouvait constituer un remède, elles ont été à l’initiative dans les interventions étrangères en terre d’Afrique occasionnant à ce sujet une déstabilisation chronique. Parmi les pays les plus interventionnistes en Afrique, la France s’est illustrée par de nombreuses actes hostiles. C’est peu de dire que, au vu des évènements de la dernière décennie comme l’emprisonnement pour dix ans de Laurent Gbagbo finalement acquitté par la CPI, l’assassinat de Mouamar Kadhafi etc., elle porte une responsabilité écrasante dans la situation créée au Sahel et en Afrique du nord. En ira-t-il différemment avec le nouveau président des Etats-Unis qui affiche d’ores et déjà ses intentions en matière de politique étrangère ? Voire !
Ahcène Amarouche
[1] Le Grand Echiquier, l’Amérique et le reste du monde, éditions Fayard/Pluriel, 2010
[2] Voir par exemple Josiane Kouagheu, Au Cameroun anglophone, le conflit jette les habitants sur les routes de l’exil, Le Monde, 2 septembre 2019
[3] La politique britannique à l'égard de l'Afrique noire, Études internationales, 1 (4), 102–109. https://doi.org/10.7202/700064ar
[4] Signature en France du projet de Loi entérinant la disparition du CFA : Fin d’un symbole colonial ou changement de façade ? Editorial du 21 Mai 2020
[5] La monnaie unique ouest-africaine risque d’être un échec cuisant, Le Monde, 30 juin 2019.
[6] La dernière tentative en date est la programmation du référendum sur la nouvelle Constitution un premier novembre (2020), jour du déclenchement de la guerre de libération nationale (1954).
[7] Dont il vient d’obtenir la reconnaissance par le président Trump à moins d’un mois et demi de la fin de son mandat et en violation des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU initiées ou soutenues par l’Administration américaine elle-même ; le souci du président Trump étant moins d’accéder à la demande du Maroc que d’obtenir en échange la reconnaissance officielle d’Israël par le royaume alaouite.
[8] C’est en particulier le cas au Maroc. Voir Ghalia Kadiri, L’offensive commerciale turque suscite la colère des industriels marocains, Le Monde, 6 novembre 2020
[9] Le discours de Boris Johnson à ce sommet évoquait en vrac les initiatives du secteur privé du Royaume-Uni, l’apport des services financiers de Londres, les innovations technologiques, la coopération sécuritaire et la haute éducation du pays pour conclure sur l’idée que « the UK is an ‘obviouspartner of choice’ for Africa »,voir Alastair Fraser, The UK-Africa Investment Summit 2020 : an analysis, SOAS, University of London, January 20, 2020.
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