«Libéré sous caution», «gracié par Trump» ? Le sort d'Assange en proie aux spéculations hâtives
Depuis quelques jours, la cause du fondateur de WikiLeaks Julian Assange fait l'objet de rumeurs au sujet d'une grâce qu'aurait décidé de lui accorder Donald Trump, ou encore d'une hypothétique libération sous caution.
Le sort de Julian Assange serait sur le point de connaître un rebondissement majeur avant même que ne soit rendu la décision britannique sur son extradition vers les Etats-Unis… Vraiment ? Longtemps restée dans l'indifférence médiatique, la mobilisation en faveur de la libération du fondateur de WikiLeaks est-elle devenue un objet de spéculation assurant une pluie de clics à quiconque le manipulerait à sa guise ?
En tout état de cause, dans l'attente de la décision britannique qui devrait être annoncée le 4 janvier 2021, certains n'hésitent pas à jouer avec l'espoir de celles et ceux qui militent pour la libération de l'homme qui a participé à rendre possibles les fuites d'information d'intérêt général les plus massives du XXIe siècle.
Le président Trump va gracier Julian Assange
Cela a par exemple été le cas d'un certain Mark Burns, un pasteur américain évangélique à la carrière tout aussi médiatique que politique (au sein du camp républicain), désigné en décembre 2016 par le Time comme le «grand pasteur de Donald Trump». «Dernière nouvelle : le président Trump va gracier Julian Assange», a-t-il tweeté le 14 décembre depuis son smartphone.
BREAKING: President Trump will pardon Julian Assange.
— Pastor Mark Burns (@pastormarkburns) December 14, 2020
Voilà qui avait de quoi générer un emballement fulgurant, la publication cumulant à ce jour quelque 50 000 retweets, ainsi que plusieurs centaines de milliers de réactions en tout genre, parmi lesquelles des étincelles d'espoir aperçues dans les publications de Stella Morris, compagne de Julian Assange et mère de ses deux enfants, ou encore d'Edward Snowden, qui s'était toutefois montré méfiant quant à l'origine de la nouvelle. Et de fait, deux heures à peine après sa publication initiale, Mark Burns publiait une légère mise à jour à ce sujet : «En ce qui concerne mon tweet sur Julian Assange, c'est une erreur d'inadvertance. La source est défectueuse, veuillez ne pas en tenir compte !»
Fait surprenant, contrastant avec l'impressionnante rapidité de Twitter à contester ou retirer certaines publications hasardeuses, on notera que malgré la portée considérable du tweet mensonger du pasteur Burns (toujours en ligne), la firme américaine n'a pour l'heure pas jugé nécessaire d'avertir les internautes. Et ce, alors même que la correction apportée par son auteur ne figure nullement en réponse directe du premier tweet…
EXCELLENTE NOUVELLE : Assange libéré sous caution
Dans la foulée, d'autres publications sur le sujet ont été diffusées sur le même réseau social. Ainsi, de nombreux internautes partagent depuis plusieurs jours une «information» selon laquelle Julian Assange aurait été «libéré sous caution». «EXCELLENTE NOUVELLE : Assange libéré sous caution» a en effet titré un des liens francophones relayant la nouvelle. Problème, le contenu de celle-ci correspond mot pour mot à un article publié 10 ans plus tôt par le JDD en référence à une réelle actualité de l'époque. Le ressortissant australien était alors au cœur d'une affaire supposée de délit sexuel en Suède, apparue subitement l'été de la même année dans la foulée des premières révélations d'ampleur de WikiLeaks – et qui sera classée sans suite neuf ans plus tard, faute de preuve.
Donald Trump aurait proposé un marché à Julian Assange
Dans la même veine, RT France a constaté qu'un autre article refaisait simultanément surface sur le réseau social, alimentant encore les confusions anachroniques sur le sujet. Publié en réalité au mois de février 2020 par Le Figaro, il est ainsi titré : «Donald Trump aurait proposé un marché à Julian Assange afin de le gracier.» Il s'agit ici d'une référence à une information avancée le 19 février 2020 par la défense du fondateur de WikiLeaks lors d'une audience liminaire à Londres, préalable à l'examen de la demande américaine d'extradition d'Assange. Par ailleurs, cette information avait alors été démentie par la Maison Blanche.
Scoop : des grâces sont attendues
Outre la marge d'erreur humaine de chaque internaute, qui peut en partie expliquer la réapparition soudaine de ces informations du passé, il est à noter que dans le paysage médiatique américain, certaines hypothèses émises ont pu semer le doute sur les enjeux de l'affaire. Le site d'informations américain Axios a par exemple titré le 18 décembre : «Scoop : des grâces sont attendues aujourd'hui de la part de Trump». «Trump a envisagé plusieurs grâces controversées, notamment pour son ancien président de campagne, Paul Manafort, et le fondateur de WikiLeaks Julian Assange», peut-on lire dans l'article. Si un tel scénario n'a été validé à ce jour par aucune annonce officielle, il ne laisse pas indifférents les observateurs du dossier.
En attendant la décision britannique…
A deux semaines da la décision de la justice britannique sur l'extradition d'Assange vers les Etats-Unis, où il encourt jusqu'à 175 ans d'emprisonnement, la cause du ressortissant australien fait l'objet d'un soudain pic de mobilisation en ligne.
En témoigne, par exemple, un éditorial publié le 18 décembre par le Guardian qui, après une collaboration active avec WikiLeaks en 2010, entretenait une longue relation conflictuelle avec son fondateur. Ce 19 décembre, la républicaine Sarah Palin, ancienne colistière de John McCain à l'élection présidentielle américaine de 2008, a également publié une vidéo à travers laquelle elle a appelé à gracier Julian Assange. «J'ai fait une erreur il y a quelques années en ne soutenant pas Julian Assange, en pensant que c'était un mauvais gars», a-t-elle déclaré.
A l'heure où nous écrivons ces lignes, Julian Assange est incarcéré depuis 619 jours dans la prison de Belmarsh, un établissement britannique de haute sécurité situé dans la banlieue Est de Londres et qui dépend des services pénitentiaires de Sa Majesté. Ses conditions de détention ont plusieurs fois été dénoncées par le rapporteur de l'ONU sur la torture.
Fabien Rives