Pourquoi le président polonais a boudé les commémorations de la Shoah à Jérusalem
Bien qu'ayant perdu près de 6 millions de ses citoyens (dont environ 3 millions de juifs) au cours de la Seconde Guerre mondiale, la Pologne a préféré laisser vide sa chaise au forum sur la Shoah organisé au mémorial Yad Vashem de Jérusalem.
Alors qu'une quarantaine de pays – pour beaucoup parties prenantes de la dernière guerre mondiale – étaient représentés à Jérusalem pour le forum «Se souvenir de la Shoah : lutter contre l'antisémitisme», l'absence de la Pologne n'est pas passée inaperçue.
Convié aux commémorations mais absent du programme des prises de paroles, le président polonais Andrzej Duda a argué du fait qu'il ne pourrait pas répliquer à une éventuelle attaque du président russe pour bouder la cérémonie.
Peine perdue, puisque Vladimir Poutine n'a prononcé le mot «Pologne» qu'une seule fois au cours de son allocution principale, pour rappeler que les «peuples slaves», avaient été eux aussi «visés par les nazis» dans leur quête d'un espace vital à l'Est. Considérés comme des «sous-hommes» par l'idéologie nazie, les slaves – dont les Polonais et les Russes – étaient en effet destinés selon les plans hitlériens à être éliminés ou réduits à l'état d'esclaves.
La Pologne et la Russie s'opposent régulièrement dans leur lecture de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Depuis une décennie, chaque commémoration est ainsi l'occasion de nouvelles passes d'armes entre les deux nations. Cette opposition a connu un point d'orgue ces derniers mois avec l'exclusion de la Russie des commémorations des 80 ans de l'invasion de la Pologne par l'Allemagne nazie en septembre, et l'adoption dans la foulée d'une résolution par le Parlement européen, présentant le déclenchement du conflit mondial «comme une conséquence immédiate du tristement célèbre pacte de non-agression germano-soviétique du 23 août 1939». Une considération inacceptable pour la Russie qui, en tant qu'héritière de l'URSS, revendique le plus lourd tribut payé dans l'élimination du nazisme avec près de 27 millions de morts civils et militaires de son côté.
Le 20 janvier, depuis Saint-Pétersbourg, le président russe promettait encore de faire «taire ceux qui tentent de réécrire l’Histoire, de la présenter sous un faux jour et de réduire le rôle de nos pères et nos grands-pères, de nos héros, qui ont perdu la vie en défendant leur patrie et presque le monde entier contre la peste brune».
Malaise avec Israël et les Etats-Unis sur la question de la Shoah
Au-delà de son opposition avec la Russie, les relations entre Pologne et Israël sur l'histoire de la Seconde Guerre mondiale sont également tendues. Le torchon a ainsi brûlé entre les deux pays après le vote d'une loi par le parlement polonais début 2018 [retirée par la suite], prévoyant une peine de trois ans de prison pour ceux qui attribueraient «la responsabilité ou la co-responsabilité de la nation ou de l'Etat polonais pour les crimes commis par le Troisième Reich allemand».
Cette loi mémorielle, visant à supprimer dans le pays la notion de «camps de la mort polonais» avait suscité nombre d'indignations en Israël où elle avait été perçue comme une volonté d'effacer la participation de Polonais à la solution finale. Devant la pression, notamment des Etats-Unis, partenaire stratégique privilégié du gouvernement nationaliste polonais, les autorités du pays avaient reculé.
Mais, depuis, de nouveaux incidents diplomatiques sur fond de mémoire ont égrené la relation entre les deux pays : la Pologne a en effet boycotté en février 2019 un sommet prévu à Jérusalem après les propos du chef de la diplomatie de l'Etat hébreux Yisrael Katz, qui avait parlé d'«antisémitisme que les Polonais tètent avec le lait de leur mère».
En mai, la Pologne avait annulé la visite de dignitaires israéliens en raison de leur volonté d'aborder la question de la restitution des biens des juifs morts pendant le conflit et tombés en déshérence après la guerre, une question que le gouvernement refuse catégoriquement d'aborder.
En mai 2018 la promulgation par Donald Trump de la loi JUST (Justice for Uncompensated Survivors Today), sur la restitution de bien juifs confisqués pendant la Seconde Guerre mondiale de plusieurs pays, dont la Pologne, a provoqué de vives contestation au sein du pays, même si le gouvernement avait minimisé son impact réel.