70 ans de l'OTAN : une alliance à bout de souffle ?
Le 27e sommet de l'OTAN se déroule à Londres ces 3 et 4 décembre 2019 dans un contexte tendu : Emmanuel Macron a récemment estimé que l'alliance était en état de mort cérébrale, provoquant un tollé chez certains de ses alliés. Qu'en est-il vraiment ?
Huit mois après le 70e anniversaire de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), les chefs d'Etat ou de gouvernement de ses 29 pays membres, ainsi que de plusieurs pays proches de l'organisation militaire, se réunissent les 3 et 4 décembre à Londres à l'occasion du «sommet de l'OTAN Londres 2019». Ce rendez-vous survient dans un contexte pour le moins confus, les interrogations internes sur la pertinence de l'organisation s'accumulant ces derniers temps. Entre la quête de légitimité d'une alliance septuagénaire et ses querelles intestines, où en est l'aventure otanesque ?
Une alliance militaire en quête de légitimité depuis la fin de la guerre froide
A sa naissance, en avril 1949 à Washington, l'OTAN compte 12 Etats (européens et nord-américains) et son objectif est clair : faire face au bloc communiste, dans le contexte de la guerre froide. L'alliance militaire repose sur le principe de solidarité mutuelle entre tous ses membres, tel que défini dans l'article 5 : «Les parties conviennent qu'une attaque armée contre l'une ou plusieurs d'entre elles, survenant en Europe ou en Amérique du Nord, sera considérée comme une attaque dirigée contre toutes les parties.» Au fil des ans, la Turquie et d'autres pays pays européens intégreront l'alliance, jusqu'à atteindre 29 membres avec le Monténégro, dernier arrivé, en 2017.
Après la chute du mur de Berlin puis l'effondrement de l'URSS, et donc l'obsolescence de ses motivations originelles, l'organisation atlantique va non seulement se maintenir, mais s'engager dans des combats.
En juillet 1990, les membres de l'OTAN réaffirment leur volonté de garantir «un état de paix durable». Et, l'année suivante, les alliés de l'organisation militaire considèrent former une «communauté de valeurs et de destin». Ils ciblent des risques pour leur sécurité, liés à l'«instabilité et à l'incertitude [...] dans les Balkans et dans la région en crise qui s'étend du Maghreb au Moyen et au Proche Orient». Or, les interventions de l'OTAN qui vont découler de cette nouvelle identité vont susciter des critiques, sur la scène internationale comme, parfois, de la part de ses propres membres.
Le 24 mars 1999, l'OTAN lance ainsi, sans mandat de l'ONU, une campagne de bombardements aériens, avec pour objectif affiché de protéger la population albanaise du Kosovo contre les forces serbes. L'opération, décrite comme une agression par la Serbie, provoque la mort de 500 personnes, selon l'ONG Human Rights Watch, à 2 500 selon des responsables serbes cités par l'AFP.
Les missions que se fixe officiellement l'OTAN pour justifier son existence vont s'étendre à la lutte contre le terrorisme et la protection des populations civiles : l'alliance atlantique rejoint la «guerre contre le terrorisme» en Afghanistan lancée en 2001 par Washington, qui invoque l'article 5 après les attentats du 11-Septembre. En mars 2011, l'OTAN prend le commandement de la très controversée intervention occidentale en Libye, mise en œuvre sous mandat de l'ONU au nom de la protection des civils et qui a conduit à la chute de Mouammar Kadhafi. Nombre de commentateurs politiques, notamment en France, s'accordent aujourd'hui à reconnaître la responsabilité de cette opération militaire dans le chaos persistant dans le pays.
Autre sujet de critiques : l'extension de l'OTAN aux pays de l'ancien bloc communiste, malgré la promesse de non-élargissement qui aurait été faite à l'ex-URSS. Des Etats mitoyens du territoire russe sont devenus membres de l'OTAN : la Pologne en 1999 et les pays Baltes en 2004. Moscou a dénoncé à de nombreuses reprises, ces dernières années, le renforcement militaire de l'alliance dans ces pays, le qualifiant de menace pour sa sécurité.
Face à ces critiques extérieures, l'alliance invoque des objectifs de sécurité et de défense de valeurs communes. Mais cela ne semble pas suffire à unir les membres de l'organisation, en mal d'identité depuis la chute de l'URSS : ces dernières années – et en particulier ces dernières semaines – des dirigeants de pays membres ont étalé au grand jour leurs doutes quant à la pertinence de l'OTAN.
«Mort cérébrale» d'une organisation «obsolète» ?
Au mois d'avril 2016, estimant que les Etats-Unis finançaient «une part disproportionnée» de l’OTAN comparée à celle des autres pays membres, Donald Trump, alors candidat républicain à la présidence de son pays, déclarait qu’en cas de victoire, il n’hésiterait pas à dissoudre l'alliance, la qualifiant «d’obsolète». Historiques depuis la création de l'OTAN, de tels propos s’avéreraient-ils prémonitoires ?
Près de trois ans plus tard, s'exprimant sur l'offensive militaire turque menée au mois d'octobre contre une milice kurde en Syrie, le chef d'Etat français livrait à son tour un diagnostic peu optimiste sur l'avenir de l'alliance atlantique. «Ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN», déclarait ainsi Emmanuel Macron lors d'un entretien accordé au magazine The Economist en novembre 2019. Et le président de la République de poursuivre : «Nous assistons à une agression menée par un autre partenaire de l’OTAN, la Turquie, dans une zone où nos intérêts sont en jeu, sans coordination [...] Ce qui s’est passé est un énorme problème pour l'OTAN.»
Vu de l'extérieur : «Qualifier l'OTAN d'être en état de "mort cérébrale", c'est aller très loin», selon Jonathan Fryer#OTAN#EmmanuelMacron@jonathanfryer
— RT France (@RTenfrancais) November 8, 2019
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Les propos d'Emmanuel Macron, qui exposent l'absence de cohésion de l'alliance, ont été froidement accueillis à Berlin. Considérant que l'organisation militaire héritée de la guerre froide représentait toujours un «rempart» garantissant «la liberté et la paix», la chancelière allemande Angela Merkel aurait, selon une conversation rapportée par le New York Times, tancé le locataire de l'Elysée quelques jours plus tard : «Je comprends votre désir d'une politique de rupture […] mais j'en ai assez de ramasser les morceaux. Encore et encore, je dois recoller les bouts de tasse que vous avez cassés pour qu'on puisse ensuite s'asseoir et prendre une tasse de thé ensemble.»
Quant au président turc visé par les propos d'Emmanuel Macron, il n'a pour sa part pas hésité à reprendre la formule du chef d'Etat français, lui suggérant le 29 novembre de faire vérifier «sa propre mort cérébrale». Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'une décision turque provoque des tensions au sein de l'alliance atlantique : Ankara a aussi récemment acquis des systèmes russes de défense antiaérienne de type S-400, malgré les fortes réticences en la matière de son allié américain, qui a brandi la menace de sanctions. Les Etats-Unis affirment que l'achat de ce système ultrasophistiqué par la Turquie met en danger les secrets technologiques du F-35, un avion de chasse furtif américain.
En novembre 2018, Emmanuel Macron avait lui aussi fâché Washington en proposant de créer une «vraie armée européenne» pour «protéger [l'Europe] à l'égard de la Chine, de la Russie et même des Etats-Unis d'Amérique» – ces derniers étant, pourtant, alliés de la France dans l'OTAN ! Signe qu'Emmanuel Macron touchait ici à un sujet sensible au sein de l'alliance : son secrétaire général, Jens Stoltenberg, avait pointé du doigt une démarche «totalement dénuée de sens» et avait réaffirmé la primauté du «lien transatlantique».
Démonstrations de force et budgets militaires en hausse
Ces divisions et ses hésitations théoriques sur la fonction de l'OTAN, n'empêchent pas l'organisation de montrer les muscles, notamment aux portes de la Russie. Ce qui fait dire à Moscou que l'alliance atlantique continue bel et bien de représenter, pour elle, une entité menaçante.
Le 25 octobre 2018, l'OTAN menait en Norvège ses plus grands exercices militaires depuis la fin de la guerre froide contre un «ennemi imaginaire». Commentant cette opération dont l'objectif affiché était de tester l'efficacité des forces de défenses otanesques, Moscou avait dénoncé un exercice «antirusse» à vocation offensive.
Les alliés investissent [...] des milliards de dollars [...] dans de nouvelles capacités, et ils contribuent aux déploiements de l’OTAN à travers le monde
En outre, si Emmanuel Macron pointait l'état de «mort cérébrale» de l'OTAN, les pays membres de celle-ci continuent d'accroître leurs forces militaires. Ainsi, un communiqué paru ce 29 novembre sur le site officiel de l'organisation militaire, indique que les pays alliés d’Europe et le Canada avaient augmenté leur budget de défense de 4,6% en 2019 et qu’ils allaient investir 130 milliards de dollars de plus par rapport au budget de 2016. L'augmentation cumulée de ces dépenses de Défense serait, d’ici à la fin 2024, de l’ordre de 400 milliards de dollars... «Les alliés investissent également des milliards de dollars de plus dans de nouvelles capacités, et ils contribuent aux déploiements de l’OTAN à travers le monde. Nous sommes donc sur la bonne voie», s'est félicité Jens Stoltenberg, à contre-courant des déclarations sur le déclin de l'alliance.
Un essoufflement en trompe-l’œil ?
Le 1er juillet 1991, le pacte de Varsovie, ancienne alliance militaire conçue au début de la guerre froide comme contrepoids soviétique à l'OTAN, s'éteignait après 36 ans d'existence. Près de trente ans plus tard, la quête de légitimité de l'Alliance atlantique septuagénaire ferait-elle face à une impasse ? Les difficulté de l'alliance à définir son rôle à partir des années 90, les critiques formulées à l'encontre de ses opérations et les discordes internes, semblent en témoigner. Pour autant, l'alliance atlantique continue d'être, de loin, l'organisation militaire la plus imposante au monde en termes de moyens matériels. Et ses actions et son extension représentent toujours, selon ses contempteurs, une menace bien réelle.
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