Les ministres de l’OTAN fêtent les 70 ans d’une alliance atlantique plus que jamais agressive mais non exempte de contradictions, pointe Pierre Lévy, rédacteur en chef du mensuel Ruptures.
Il est des anniversaires dont on se passerait volontiers. Voir vingt-huit ministres festoyer à Washington le 4 avril, 70 ans jour pour jour après la signature de l’acte fondateur de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’a rien de particulièrement réjouissant. Particulièrement pour ceux qui auraient trouvé naturel que cette organisation disparaisse en 1991, au moment où se sabordait le Pacte de Varsovie (fondé en 1955, soit six ans après l’Alliance atlantique).
L’OTAN n’a pas disparu, mais elle s’est au contraire notablement renforcée depuis l’effacement du bloc de l’Est.
Ce dernier avait rassemblé l’URSS et les pays socialistes d’Europe centrale et orientale. Aux dires des Occidentaux, l’OTAN ne visait qu’à parer cette menace supposée des Soviétiques et de leurs alliés. Près de trois décennies après la dissolution de l’URSS, on n’a toujours retrouvé aucun plan secret d’invasion de l’Europe occidentale par l’Armée rouge. Mais qui sait : si d’aventure Vladimir Poutine gardait par devers lui un tel grimoire et rêvait de le mettre à exécution ? Par les temps qui courent, certains (notamment en Pologne, dans les pays baltes…) feignent de croire que les troupes russes n’attendent qu’un signal pour déferler… On n’est jamais trop prudent.
Répandre la démocratie... par l'offensive
Plus sérieusement, non seulement l’OTAN n’a pas disparu, mais elle s’est au contraire notablement renforcée depuis l’effacement du bloc de l’Est. Confirmation, s’il en était besoin, du caractère essentiellement dynamique et offensif de l’Alliance, soigneusement enrobé dans la charte fondatrice qui invoque classiquement «les principes de démocratie, de liberté individuelle, et d’Etat de droit».
De 1999 à 2004, l’organisation s’est élargie à pas moins de dix pays supplémentaires (sans même évoquer l’annexion de la RDA par la RFA, membre éminent de l’OTAN). En 2009, la Croatie et l’Albanie sont encore venues grossir les rangs. Le dernier adhérent en date est le Monténégro (2017). Et la Macédoine, désormais Macédoine du Nord, est en bonne voie depuis que le premier ministre grec, Alexis Tsipras, a levé le vieil obstacle qui résidait dans une querelle de noms.
Cette énumération souligne à quel point la région des Balkans constitue une sphère d’influence particulièrement privilégiée par les dirigeants occidentaux. Il est vrai qu’en 1993, 1995, 1996 et 1997, cette région a constitué le terrain de la première offensive de la force militaire atlantique, en l’occurrence en Bosnie-Herzégovine. Mais c’est évidemment en 1999 que l’OTAN a signé son fait d’arme le plus retentissant à travers le bombardement de la Serbie, provoquant des dommages humains et économiques considérables. Une manière bien à elle de fêter son cinquantième anniversaire.
Puis, à partir des années 2000, les militaires de l’Alliance ont «répandu la démocratie» en Afghanistan, en Irak, en Somalie, en Libye. Autant de missions dans le droit fil de la bienveillance affichée en 1949, mais élargie... Au passage, le président Nicolas Sarkozy décidait, en 2008, de réintégrer la France dans le commandement intégré de l’OTAN que de Gaulle avait quitté avec éclat en 1966. Et, pas plus que François Hollande, Emmanuel Macron n’imagine un seul instant faire marche arrière.
L’objectif fixé par Washington est que chaque Etat membre consacre 2% de son PIB d’ici 2024 aux dépenses militaires
Le renforcement de l’organisation s’est accéléré lors du sommet de Newport en 2014. C’est à ce moment que les dirigeants de l’Alliance ont décidé tout à la fois de rendre continue la présence de troupes et de matériels en Europe de l’Est ; et de faire grimper en flèche les dépenses militaires nationales. L’objectif fixé par Washington est que chaque Etat membre y consacre 2% de son PIB d’ici 2024. Ce «partage du fardeau» drastique exigé par les Etats-Unis ne date donc pas de l’accession de Donald Trump à la Maison Blanche. Les 2% ne sont certes pas encore atteints partout, mais le secrétaire général de l’Alliance, le Norvégien Jens Stoltenberg, se félicitait récemment que 100 milliards de dollars supplémentaires aient été consentis par les alliés de Washington.
Ambitions et contradictions
Reste que l’argent ne suffit pas toujours à faire le bonheur. Et si la septuagénaire ne manque pas d’ambitions géopolitiques, elle n’est pas exempte de contradictions. Le cactus qui traumatise le plus les dirigeants européens siège à la Maison Blanche. Lors de son élection, Donald Trump avait qualifié l’OTAN d’«obsolète», un adjectif resté célèbre. Certes, il a depuis lors mis de l’eau dans son vin, et s’attribue même le mérite d’avoir lourdement fait passer à la caisse ses alliés.
Mais l’homme reste imprévisible. Il vient à nouveau de lâcher qu’«on peut bien s’entendre avec la Russie», ce qui n’est pas précisément le catéchisme de ses alliés, ni même de sa propre administration. Et les dits alliés restent tétanisés par la possible arrivée impromptue d’un tweet présidentiel. Raison pour laquelle, sans doute, il était plus prudent de faire la fête à Washington entre ministres, et non entre chefs d’Etat et de gouvernement.
Les contradictions vont évidemment au-delà d’une personnalité. Le maître de la Maison-Blanche, qui entend faire prévaloir «l’Amérique d’abord», est plus familier des deals que des discours sur l’amitié. C’est vrai au niveau géopolitique. Mais cela l’est tout autant, si ce n’est plus, au niveau économique et commercial.
Car le secteur de l’armement, pris au sens large des systèmes au sein desquels les technologies de pointe jouent un rôle croissant, est l’un des domaines où les chiffres d’affaires et les profits sont les plus considérables à l’échelle mondiale. Et les marchands d’armes américains n’entendent nullement se faire tailler des croupières par les firmes du Vieux continent. Une véritable guerre commerciale prend de l’ampleur, parmi les plus féroces.
C’est dans ce contexte, notamment, qu’il faut comprendre les fantasmes macroniens d’armée européenne. «L’Europe de la Défense» a certes fait quelques pas en avant récemment (programmes communs d’armements en groupe de quelques Etats, fonds communautaires pour la recherche militaire), mais elle divise au sein même de l’UE. Malgré le départ prochain du Royaume-Uni, qui avait toujours freiné un pilier européen autonome au sein de l’OTAN, les bisbilles entre Etats membres sont loin d’être terminées.
En témoigne la propension de certains pays, notamment de l’Est de l’UE (la Pologne en particulier), à préférer acheter des matériels américains ; et la Belgique elle-même a récemment fait scandale en préférant le F35 de l’Oncle Sam aux avions de combat européens.
Certes, les liens étroits entre OTAN et UE sont historiques : les deux organisations sont nées de et dans la guerre froide, et ont été portées sur les fonds baptismaux par les mêmes acteurs. Le personnel politique qui les a animées a souvent été interchangeable. Leur coopération étroite est gravée dans le marbre des traités européens. Et, ces dernières années, l’intégration des structures a été renforcée, au point que Jens Stoltenberg est régulièrement invité aux réunions des ministres de la défense des pays de l’UE.
Mais cette dernière est en crise profonde, du fait du rejet croissant qu’elle inspire aux citoyens des différents pays. Et ce n’est certainement pas l’impopularité de l’OTAN qui l’aidera à s’en sortir… Sauf à bombarder les peuples qui voudraient suivre l’exemple du Brexit ?
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