La vague verte en Allemagne préfigure-t-elle le futur triomphe des écolos français ?
L'Allemagne connaît une vague verte, plus puissante encore que celle qui a déferlé sur la France lors des dernières européennes. Au-delà des différences, le phénomène révèle, des deux côtés du Rhin, une crise générationnelle et géographique commune.
Il n'y a pas qu'en France que l'écologie revient sur le devant de la scène. Les propos d'un Yannick Jadot concédant être devenu «une star» au lendemain des élections européennes auraient presque de quoi faire sourire ses homologues d'outre-Rhin : si Europe-Ecologie Les Verts (EELV) peut en effet se flatter d'avoir recueilli 13,47% des suffrages, ce score est loin d'être aussi impressionnant que celui réalisé par Bündnis 90 - Die Grünen, qui a battu un record historique en atteignant 20,5%. Ce score, le double de celui réalisé en 2014, a permis au parti écologiste d'arriver deuxième au niveau national, talonnant même la CDU d'Angela Merkel. Désormais, les Verts allemands composent près du tiers du groupe Alliance Libre Européenne (ALE), dont les écologistes français ne comptent que pour 9 des 69 élus.
Quitte à user de théories simplistes, certains, en Allemagne, ont tenté d'expliquer cette fulgurante progression par l'influence qu'aurait eue sur les électeurs une prétendue «propagande verte», à commencer par les représentants des partis traditionnels ayant fortement pâti du succès des écologistes. Exemple le plus éloquent : la CDU a fait d'une vidéo diffusée quelques jours avant la date du scrutin sur YouTube son bouc émissaire. Réalisée par un jeune militant dénonçant l'inaction du gouvernement allemand sur la question climatique et appelant à ne pas voter pour les partis traditionnels, elle a même conduit la patronne du parti au pouvoir, Annegret Kramp-Karrenbauer (surnommée AKK), à proposer de restreindre les contenus politiques sur YouTube.
Cette proposition a rapidement déclenché un tollé, notamment chez les jeunes – signe supplémentaire d'une classe politique peinant à comprendre l'intérêt de la question écologique chez les jeunes générations. C'est d'ailleurs chez ces dernières que les Verts ont réalisé leur meilleur score (presque un tiers des moins de 33 ans), alors qu'ils n'ont obtenu que 9% des voix des plus de 70 ans.
Les deux Allemagnes
Le clivage générationnel n'est pas le seul que la percée des écologistes allemands ait mis en lumière. Déjà connue et bien documentée, la fracture entre Est et Ouest semble une fois de plus visible. Les Verts ont réalisé leurs meilleurs scores dans les centres urbains et les grandes métropoles de l'Ouest, auprès d'électeurs diplômés, à fort revenus et sensibles au discours progressiste. Leipzig et Dresde ont seules résisté à la vague verte : il s'agit des deux seules métropoles situées dans l'est du pays (exception faite de Berlin, dont le cas est à part).
Les anciens Länder de la République démocratique d'Allemagne sont toujours à la traîne économiquement ; mais la réalité quotidienne et la mentalité de leurs habitants divergent elles aussi du reste du pays. Moins intégrés à la mondialisation, encore très attachés à leur industrie, frappés de plein fouet par la crise migratoire... ces territoires, où se trouvent pas moins de sept des exploitations de charbon des 10 que compte le pays, font de la résistance. L'urgence de la crise environnementale n'y apparaît pas aussi alarmante que celle, plus pesante au jour le jour, de la pauvreté, du chômage et des salaires.
Ce sont dans ces «nouveaux Länder», comme les Allemands les nomment, que s'est implantée dès sa création l'Alternative für Deutschland (AfD), le parti anti-euro, anti-immigration... et climatosceptique. Aux dernières européennes, le parti est arrivé en tête en Saxe, avec 25,3%, et dans le Brandebourg (19,9%) – du jamais-vu. A l'inverse, il réalise ses plus faibles scores à Hambourg, en Bavière, ou en Rhénanie du Nord-Westphalie, régions particulièrement dynamiquement sur le plan économique.
En ce sens, la carte électorale des écologistes allemands évoque de nouveau celle de la France coupée en deux, entre ses pôles urbains et ses fameuses zones périphériques, les premières privilégiant volontiers les préoccupations environnementales dans l'isoloir quand les secondes se montrent enclines à voter pour le Rassemblement national (RN). Et les Verts ultra-rhénans comme EELV voient peu à peu se profiler un nouveau paradoxe : celui d'incarner, tout en s'en défendant, les idées d'un électorat de privilégiés en rupture avec les aspirations et les préoccupations des classes les plus défavorisées.
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