Afrique : l'inexorable montée en puissance des violences contre les chrétiens
Attentats terroristes, heurts intercommunautaires : les violences visant les chrétiens en Afrique se sont multipliées au cours de ces derniers mois. Une menace sécuritaire qui met en danger le modèle multiconfessionnel de nombreux pays africains.
Fidèles assassinés, destructions ou encore fermetures forcées de lieux de cultes : les violences à l’égard des chrétiens continuent de secouer le continent africain. Si la liberté de culte est inscrite dans le marbre de la plupart des constitutions africaines, les autorités de ces pays ont bien du mal à enrayer ce cycle de violences. La récente multiplication des attaques contre les chrétiens au Mali, au Niger, au Burkina Faso et dans d’autres pays de la bande sahélienne témoigne des proportions alarmantes prises par le phénomène.
97% des chrétiens tués en 2018 l'ont été en Afrique
Si la situation difficile vécue par les chrétiens d’Orient est, à juste titre, souvent commentée dans les médias, c'est en Afrique, que les personnes de confession chrétienne sont les plus exposées. En 2018, selon l'organisation non gouvernementale évangélique «Portes ouvertes», qui dit s’appuyer sur les données provenant de sa soixantaine de bureaux locaux disséminés à travers le monde, sur les 4 305 chrétiens tués dans le monde pour des raisons liées à leur croyance, 4 165 l’ont été en Afrique.Le Nigéria (3 731 morts), la Centrafrique (146 morts) et la Somalie (50 morts) constituent ce macabre podium africain.
L’année précédente, l’organisation faisait état de 3 066 chrétiens tués dans le monde, dont 2 000 au Nigéria. A ce sinistre bilan s’ajoutent les nombreuses violations de la liberté religieuse qui, elles, demeurent difficilement quantifiables.
L'histoire est là pour témoigner du fait que ces populations ont toujours vécu ensemble sans pour autant qu'il y ait eu des tensions et des guerres interreligieuses
Outre les violents conflits opposant éleveurs nomades et sédentaires, les Africains de confession chrétienne sont également victimes, à l'instar des autres communautés religieuses, de l'expansion des activités terroristes. Récent épicentre de ces violences, la bande sahélienne, vaste territoire de plusieurs milliers de kilomètres, souffre en premier lieu de l'incapacité des Etats «à imposer leur autorité» et de facto à assurer la sécurité des populations, selon Bakary Traore, spécialiste de la géopolitique du Sahel.
«A défaut de vaincre [militairement] les Etats, les groupes armés essaient de les affaiblir en visant leur talon d'Achille, et notamment, en manipulant les différentes communautés ethniques et religieuses», analyse-t-il pour RT France. «L'histoire est là pour témoigner du fait que ces populations ont toujours vécu ensemble sans pour autant qu'il y ait eu des tensions entre les communautés de différentes obédiences religieuses», rappelle-t-il en faisant référence aux périodes au cours desquelles différents royaumes et empires se sont succédé en Afrique de l'Ouest.
Faute pour l'heure d'une sécurisation efficiente de la région, la coexistence entre les différentes communautés est plus que jamais menacée, comme au Burkina Faso, où depuis fin 2018, les attaques visant notamment des églises chrétiennes se sont intensifiées. Celles-ci sont attribuées à une douzaine de groupes djihadistes, dont Ansarul Islam, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’organisation Etat islamique au grand Sahara (EIGS).
Ainsi, elles s'ajoutent à la longue liste des attaques commises régulièrement contre des chrétiens au Nigeria, où est active l'organisation Etat islamique en Afrique de l'Ouest (EIAO, ex-Boko Haram) ou encore en Egypte, où Daesh mène régulièrement des attaques contres les Coptes.
Les chrétiens d'Afrique centrale à leur tour dans le viseur des terroristes ?
Si la région sahélienne et plus largement l'Afrique de l'Ouest concentrent ces derniers mois l'essentiel des attaques terroristes commises à l'égard des chrétiens, les récentes revendications par le «groupe Etat islamique - province Afrique centrale» de massacres, d'enlèvement de civils, ainsi que d'attaques contre des positions de l'armée congolaise, dans la région de Beni (Nord-est de la RDC) suscitent de vives inquiétudes parmi les fidèles et les représentants ecclésiastiques de la région.
«Le mystérieux "Etat islamique en province d’Afrique centrale" fait également partie des groupes armés sévissant dans l’est de la République démocratique du Congo», s'alarment des évêques du Sud Kivu (Est de la RDC).
Assistons-nous à une réelle implantation ou à une pure opération de communication opportune de l'Etat islamique dans cette région ? Si les dernières exactions meurtrières ont été attribuées par les autorités aux Forces démocratiques alliés (ADF), des rebelles musulmans ougandais installés dans l'est de la République du Congo depuis 20 ans, les liens supposés de ces derniers avec l'EI – le groupe a officialisé son allégeance en 2017 – suffit à instiller la peur parmi la population de ces pays à majorité chrétienne.
Nous abattons des infidèles qui haïssent le Coran et nous faisons aussi la même chose aux hypocrites
Dès 2012, l'ONG Crisis Group évoquait la «dimension régionale» prise par l'ADF en la qualifiant de «nébuleuse islamiste radicale en Afrique de l’Est». Elle relativisait alors toutefois, son obédience «islamiste» en la qualifiant de «superficielle».
Dans un rapport publié en novembre 2018, des experts du Groupe d’étude sur le Congo de l'Université de New York avaient de leur côté souligné le changement de doctrine de l'organisation : «Le groupe s’efforce de se rallier à d’autres groupes djihadistes, sous le nom de Madina at Tauheed Wau Mujahedeen [MTM, la ville du monothéisme et des monothéistes] ; il arbore un drapeau semblable à celui utilisé par Al-Shabaab, Al-Qaida, ISIS [Etat islamique] et Boko Haram et met fortement l’accent sur une interprétation radicale et violente du Coran. La récente arrestation d’un intermédiaire financier kényan de l'EI a révélé les premiers liens concrets qui unissent les ADF à d’autres groupes djihadistes par le biais de transactions banquières», notent-ils.
Les assaillants ont également brûlé une statue de la Vierge, selon la cathédrale de Ouagadougou#BurkinaFaso 🇧🇫
— RT France (@RTenfrancais) 14 mai 2019
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Le pluralisme religieux en danger
Fin 2017, le commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine (UA), Smail Chergui, évaluait à près de 6 000 le nombre d'Africains ayant combattu dans les rangs de l'EI au Moyen-Orient et qui pourraient revenir en Afrique. Alors que les djihadistes ont depuis subi de multiples revers dans la zone irako-syrienne, leur participation à de nouveaux conflits sur le continent africain inquiète les autorités.
Le retour de cet important contingent de djihadistes aguerris sur un continent souffrant d'importants problèmes structurels, notamment sur le plan sécuritaire, menace davantage le modèle multiconfessionnel – déjà fragilisé – de nombreuses sociétés africaines. Preuve de ce danger : nombre de villages et de villes, où le pluralisme religieux constituait une part de leur identité, ont été vidés de leurs habitants de confession chrétienne ou musulmane en raison de la menace terroriste.
Malik Acher