Donald Trump à mi-mandat : deux ans de guérilla au cœur de l'Etat américain
Face au front commun de la majorité des médias, des agences de renseignement et même d'une partie de sa propre administration, Donald Trump peine à gouverner. Mais sa résilience lors des «midterms» augure d'un nouveau rapport de force.
«Drain the swamp» («Assécher le marais») ? Deux ans après son élection, Donald Trump a dû renoncer à cette promesse de candidat, et à plusieurs autres, notamment en matière de relations internationales. Le Pentagone a rapidement repris – dès le début 2017 – l'avantage sur le président, pourtant isolationniste, et parvient toujours à imposer un agenda néoconservateur qui considère que les Etats-Unis sont peu ou prou le gendarme du monde.
Mais le président américain n'est pas seulement en butte à l'opposition d'une partie de l'exécutif, qui parvient à lui imposer ses vues : il doit aussi affronter la guérilla que le renseignement américain lui livre au motif d'une présumée collusion avec la Russie. Presque seul contre tous – il bénéficie toutefois d'une base électorale solide – il doit également affronter la presse, avec laquelle il entretient des relations exécrables.
Fait notable, cette guerre se déroule sur le devant de la scène, tandis que les médias comptent les points et entretiennent le récit selon lequel la Russie aurait interféré dans la vie démocratique des Etats-Unis. Dès novembre 2016, le rouleau compresseur du soft-power hollywoodien s'est invité sur le champ de bataille. A l'occasion des élections de mi-mandat, plusieurs stars, comme Matthew McConaughey ou Leonardo DiCaprio, se sont impliquées pour mobiliser l'électorat démocrate. Refusant jusque-là de se mêler de politique, la chanteuse Taylor Swift est aussi sortie de sa réserve pour appeler ses quelque 112 millions d'abonnés sur Instagram, selon le site spécialisé The Hollywood Reporter, à voter pour le Parti démocrate.
Deux ans après son élection, l'outsider Trump, aux propos très libres durant la campagne de 2016, apparaît comme un président assiégé. Aussi, le président se fait-il de moins en moins lisible alors qu'il était auparavant très clair sur ses propositions en tant que candidat, lorsqu'il prônait par exemple le désengagement de Washington du conflit syrien.
De l'outsider antisystème de 2016 au président contraint
Comment en est-on arrivé là ? En février 2017, moins d'un mois après l'investiture du républicain Donald Trump, un député du Parti démocrate, Denis Kucinich, s'alarmait d'une attaque directe de «l'Etat profond», selon ses propres termes, contre la Maison-Blanche. «Ce qu'il se passe dans la communauté du renseignement vis-à-vis du nouveau président est sans précédent : ils font tout ce qu'ils peuvent pour le renverser», avait-il déploré. Prémonition ? Deux ans après son élection, le 8 novembre 2016, Donald Trump apparaît comme un président affaibli, dont les déclarations d'un jour sont, tôt au tard, contredites.
Pourtant, lors de la campagne présidentielle de l'été 2016, le candidat républicain proposait un programme clair et lisible : fin de l'ingérence américaine en Syrie, désengagement de l'OTAN, normalisation des relations bilatérales avec la Russie... Le 23 janvier 2017, soit trois jours seulement après son investiture, Donald Trump démarrait sur les chapeaux de roue en ordonnant le retrait des Etats-Unis de l'Accord de partenariat transpacifique (TPP), s'attirant au passage les foudres des libre-échangistes et de l'Union européenne.
Ils font tout ce qu'ils peuvent pour le renverser
Dans une interview accordée une semaine auparavant, le 16 janvier, au quotidien britannique The Times et au magazine allemand Bild qui aurait dû donner le «la» de sa présidence, Donald Trump traçait sans complexe les grandes lignes de son action, conformément à ses promesses de campagne, prenant pour cible l'OTAN. «Je dis depuis longtemps que l’OTAN a des problèmes. Primo que l’Alliance est obsolète, parce qu’elle a été conçue il y a très longtemps. Deuxio que les pays ne s'acquittent pas de leur juste part alors que nous sommes supposés protéger des pays», avait-il alors déclaré. Le nouveau président avait également réaffirmé son intention d'apaiser les relations entre Moscou et Washington. «Il y a des sanctions contre la Russie. Regardons si nous pouvons conclure de bons accords avec la Russie. Je pense que les armes nucléaires doivent être réduites de manière considérable», avait-il alors annoncé.
Face au Pentagone, face aux agences de renseignement
En deux ans, le fossé entre les annonces du président et la réalité de ses décisions s'est creusé. Dès février 2017, afin de contrer les déclarations critiques de Donald Trump à l'égard de l'OTAN, le général James Mattis, secrétaire d'Etat américain à la Défense, déclarait à Bruxelles que l'organisation militaire devait s'assurer que ses diplomates négociaient «en position de force» avec Moscou.
En décidant de donner du crédit aux accusations visant Damas concernant l'utilisation d'armes chimiques à Khan Cheikhoun en avril 2017, et en autorisant l'armée américaine à frapper la Syrie, Donald Trump renonçait d'un coup d'un seul à sa doctrine internationale. Pour mémoire, plus libre en 2013, il mettait en cause son prédécesseur Barack Obama contre une intervention militaire directe des Etats-Unis en Syrie. «Préparez-vous, il y a une petite probabilité que notre horrible gouvernement nous entraîne sans le savoir vers la Troisième Guerre mondiale», tweetait-il alors.
Be prepared, there is a small chance that our horrendous leadership could unknowingly lead us into World War III.
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) August 31, 2013
Dès lors, la dissonance entre les déclarations de Donald Trump sur Twitter et les actions réelles de la diplomatie et de l'armée états-uniennes devaient devenir la règle. En mars 2018, Donald Trump, président, décidait de limoger son secrétaire d'Etat Rex Tillerson, garant d'une certaine conformité à l'agenda de Trump candidat. Cédant aux néoconservateurs, il nommait alors comme successeur le «faucon» Mike Pompeo, jusque-là directeur de la CIA. Quelques jours plus tôt, Donald Trump choisissait comme conseiller à la Sécurité nationale des Etats-Unis John Bolton, farouche partisan de la guerre en Irak en 2003 et membre de l'équipe du président George W. Bush.
Aboutissement de l'influence croissante des tenants d'une Amérique impériale, et en contradiction avec ses déclarations de 2017, Donald Trump a annoncé le 20 octobre dernier que les Etats-Unis sortiraient du traité FNI sur la réduction des armes nucléaires de moyenne portée, conclu avec Moscou durant la guerre froide, tout en accusant la Russie de n'avoir pas respecté ses clauses. Partant, le président américain a annoncé que Washington allait développer de telles armes.
Le deuxième round commence
Donald Trump a-t-il plié ? Homme d'affaires talentueux, le magnat de l'immobilier new-yorkais a-t-il entériné, de façon pragmatique, un rapport de force défavorable ? Quoi qu'il en soit, Donald Trump a limité la casse dans des élections de mi-mandat qui ont, à trois exceptions près, sanctionné tous les président en exercice depuis 1911. Cela reste une victoire pour le dirigeant américain – et ce, malgré la lecture de nombreux médias mainstream – qui peut compter sur la résilience de ses électeurs. En outre, Donald Trump conserve une majorité républicaine, en progression, au Sénat. En septembre dernier, il a gagné une bataille importante à la Cour suprême, avec la nomination de Brett Kavanaugh, juge très attaqué par les démocrates et les médias.
#EtatsUnis : #Soros cherche-t-il à empêcher la nomination de Brett #Kavanaugh à la #CourSuprême ?
— RT France (@RTenfrancais) 5 octobre 2018
➡️https://t.co/3J8QdOfk5Hpic.twitter.com/77D6C1HobW
Etape importante de son mandat, les élections du 6 novembre dernier inaugurent ainsi une nouvelle configuration de jeu à Capitol Hill. Ne s'accordant aucun temps mort, considérant sans doute que la meilleure défense était l'attaque, Donald Trump est tout de suite reparti à l'offensive en limogeant son ministre de la Justice, Jeff Sessions. Si celui-ci fut le premier sénateur à l'avoir soutenu en février 2016, lors des primaires du Parti républicain, Donald Trump ne lui a jamais pardonné de s'être récusé dès mars 2017 dans l'enquête à charge sur l'ingérence supposée de la Russie menée par le procureur spécial Robert Mueller.
Sur le dossier de l'ingérence russe supposée, le président américain multiplie les déclarations contradictoires qui dénotent une liberté limitéehttps://t.co/t77VPJj6Uz
— RT France (@RTenfrancais) 2 août 2018
Sans surprise, le limogeage de Jeff Sessions a ouvert un nouveau front à Washington. Fort de leur nouvelle majorité à la chambre des représentants, les démocrates ont brandi la menace d'une enquête parlementaire dès qu'ils prendront leurs fonctions, en janvier. Dans cette perspective, leurs leaders ont écrit au FBI, à la CIA et au Trésor, entre autres, pour leur demander de conserver tous les documents liés à ce limogeage, ainsi qu'à l'enquête russe.
Dès le lendemain du scrutin des midterms, Donald Trump a prévenu : si les démocrates mettaient à profit leur majorité pour lancer de nouvelles enquêtes contre lui, cela reviendrait à une «posture guerrière».
If the Democrats think they are going to waste Taxpayer Money investigating us at the House level, then we will likewise be forced to consider investigating them for all of the leaks of Classified Information, and much else, at the Senate level. Two can play that game!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 7 novembre 2018
De fait, l'enquête sur la supposée ingérence russe dans l'élection présidentielle de 2016 pourrait avoir un effet boomerang sur les démocrates. En octobre dernier, James Baker, un ex-responsable du FBI, a ainsi avoué au Congrès que l'enquête sur la supposée collusion entre Donald Trump et Moscou n'avait pas été menée de façon normale, et était en relation avec le Parti démocrate.
A Capitol Hill, le mot est lâché : c'est bien de «guerre» qu'il est question.
Alexandre Keller