L’isolement des djihadistes en prison aide-t-il à lutter contre la radicalisation des détenus ?
Face à la menace de radicalisation religieuse des prisonniers, la France, la Belgique et les Pays-Bas placent les terroristes présumés et avérés en isolement. Une méthode qui laisse dubitatif de nombreux observateurs.
L’isolement de détenus en prison n’est pas une nouveauté en Europe, mais après les attentats contre Charlie Hebdo en janvier 2015, les autorités européennes ont souligné l’importance des mesures préventives contre la radicalisation de la population et surtout des délinquants, groupe de la société particulièrement sensible.
Les pratiques françaises
En France, plusieurs suspects inculpés de terrorisme, y compris l’auteur des attentats du 13 novembre à Paris Salah Abdeslam, sont détenus en isolement. Les autorités ont créé plusieurs quartiers spécialisés dédiés à la déradicalisation des prisonniers, qui passent le plus clair de leur temps entre quatre murs, sans interaction avec les autres détenus.
Les autorités françaises, ainsi que leurs homologues belges et néerlandaises, utilisent également le principe de «l’isolation en petits groupes», indique le quotidien britannique The Guardian. Alors que ces individus doivent demander une autorisation pour appeler leurs proches ou leur avocat, ils passent leurs journées ensemble en priant et en conversant. «Ils se sentent complètement isolés des autres prisonniers et même de tous les autres êtres humains», a indiqué en janvier Florian Lastelle, avocat français dont les clients ont été accusés d’avoir tenté de rejoindre des djihadistes en Syrie.
Pour Salah Abdeslam, placé dans un quartier d'isolement de la prison de Fleury-Merogis, les autorités ont vidé un étage entier. Sa cellule, équipée d'une caméra de vidéosurveillance, est gardée 24 heures sur 24 par plusieurs vigiles, indique le site du Journal du Dimanche.
Entre soutiens et insultes, les prisonniers de Fleury-Merogis accueillent Salah #Abdeslamhttps://t.co/Ync2lVh55ypic.twitter.com/Ped6X5Z8uD
— RT France (@RTenfrancais) 27 avril 2016
Cependant, ces conditions sont moins sévères que celles de la prison de Bruges dans laquelle il est passé en Belgique. «Un geôlier vérifiait sa cellule huit fois par heure et la lumière était coupée. C'était assez épuisant», avait alors rapporté une source anonyme au quotidien belge néerlandophone Het Nieuwsblad.
L'isolement à la belge
En Belgique, quelques mois après les événements tragiques de janvier 2015, la direction générale des services pénitentiaires a rédigé une note interne indiquant que «chaque prisonnier incarcéré pour des actes terroristes doit être immédiatement placé dans les cellules du quartier de mesures de sécurité particulières individuelles (QSMPI)».
Belgique : #KhalidZerkani est le premier prisonnier de l’aile islamiste de la prison d’Ittre https://t.co/vT6CMtBUfApic.twitter.com/TQOn7d67Jj
— RT France (@RTenfrancais) 12 avril 2016
A l’heure actuelle, dans le pays, environ 35 personnes sont détenues en cellule d’isolement où elles passent 23 heures par jour, rapporte The Guardian. Seule une heure de promenade est autorisée, dans une petite cour.
La porte-parole des services pénitentiaires belges, Kathleen Van De Vijver, a souligné que malgré l'isolement, médecins et psychiatres venaient régulièrement leur rendre visite.
Manque des prisonniers aux Pays-Bas
Alors que les autorités néerlandaises comptent fermer cinq prisons dans les prochaines années à cause de la baisse du taux de criminalité, ils louent leurs cellules vides à la Norvège, mais continuent d’isoler les djihadistes des autres détenus. Selon The Guardian, tous les prisonniers amenés en cellule d’isolement sont fouillés chaque fois qu’ils entrent en contact avec un tiers ou vont au tribunal.
Cependant, les services de renseignement norvégiens s'inquiètent que leurs détenus, échappant à leur contrôle, puissent être radicalisés dans les prisons néerlandaises, indique Libération.
L'avis des experts
Cependant, certains experts jugent cette pratique inefficace car l’isolement pourrait influencer les détenus les plus vulnérables aux idées extrémistes tandis qu’éliminer complètement toute communication avec les autres détenus est concrètement très difficile à réaliser.
Un prisonnier espagnol qui recrutait des codétenus pour le djihad est arrêté par la police https://t.co/ySl39SA6Ampic.twitter.com/9OuzgvjRYb
— RT France (@RTenfrancais) 24 novembre 2015
Ainsi, le terroriste de l'Hyper Cacher, Amedy Coulibaly, aurait été radicalisé par la présumé recruteur d’Al-Qaïda Djamel Beghal lorsqu’ils étaient tous les deux détenus en isolement dans une prison dans le sud de Paris. Leurs cellules se trouvaient l’une au-dessus de l’autre et ils réussissaient à échanger des messages par la fenêtre.
En outre, quelques heures après le transfert de Salah Abdeslam de Belgique en France, Le Figaro a révélé qu'un autre djihadiste, Sid Ahmed Ghlam, accusé d'avoir tué Aurélie Châtelain et préparé un attentat contre une église à Villejuif, a pu téléphoner depuis sa cellule pendant les premiers mois de sa détention.
La méthode de détention des personnes radicalisées en petit groupe isolé des autres prisonniers ne recueille pas plus d’opinions favorables.
Des associations de défense des droits de l’Homme pointent également les conséquences psychologiques et physiques de l’isolement, en le comparant à de la torture.
«Je suis très préoccupée par la pression politique demandant d’isoler des terroristes et de construire des quartiers spécialisés pour leur confinement», a indiqué Sharon Shalev, chercheuse à la faculté de Droit de l’Université d'Oxford et experte en isolement pénitentiaire. «Le public, nos politiciens et les administrations pénitentiaires devraient garder la tête froide», a-t-elle souligné.
Le nombre de détenus en isolement en Europe reste cependant inférieur à celui des Etats-Unis où environ 100 000 individus vivent leur emprisonnement sans lien possible avec les autre détenus.
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