Réfugiés afghans : les limites du «en même temps» à l'approche de la présidentielle 2022

Réfugiés afghans : les limites du «en même temps» à l'approche de la présidentielle 2022© Pierre-Philippe MARCOU Source: AFP
Des réfugiés afghans débarquent à la base aérienne de Torrejon de Ardoz, près de Madrid, le 24 août 2021 (image d'illustration)
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Après avoir mis en garde contre les «trafics de toute nature» liés aux migrants venant d'Afghanistan, Emmanuel Macron a affirmé ne pas confondre migration et risque terroriste. Un «en même temps» risqué qui lui a attiré des critiques de toutes parts.

Le lendemain de la prise de Kaboul par les Taliban, Emmanuel Macron avait déclaré que l'un des enjeux était de «protéger contre des flux migratoires irréguliers importants» qui «nourrissent les trafics de toute nature». Des propos qui avaient créé une polémique et qu'il a tempérés moins de deux semaines plus tard, s'attirant cette fois des critiques venues de la droite de l'échiquier politique. A moins de 8 mois des élections présidentielles, la façon dont Emmanuel Macron gérera l'exil à venir des Afghans – estimé à 500 000 personnes par les Nations unies, comme le rappelle l'AFP – pourrait devenir un enjeu majeur, face auquel la méthode du «en même temps» chère au chef de l'Etat pourrait ne faire que des mécontents.  

La gauche vent debout contre une volonté déclarée de se «protéger contre des flux migratoires irréguliers importants»

Le 16 août, dans une allocution télévisée consacrée à la situation en Afghanistan, le président de la République s'était exprimé en ces termes : «La France fait et continuera de faire son devoir pour protéger celles et ceux qui sont les plus menacés [...] mais l'Afghanistan aura aussi besoin dans les temps qui viennent de ses forces vives et l'Europe ne peut pas à elle seule assumer les conséquences de la situation actuelle. Nous devons anticiper et nous protéger contre les flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent et nourriraient les trafics de toute nature.» «Nous porterons donc, en lien avec la République fédérale d’Allemagne et d'autres Européens, une initiative pour construire sans attendre une réponse robuste, coordonnée et unie», avait également développé Emmanuel Macron, appelant à «la solidarité dans l'effort, l'harmonisation des critères de protection et la mise en place de coopérations avec les pays de transit».

Ces propos évoquant une protection contre les flux migratoires ont provoqué l'indignation d'une partie de l'opposition de gauche

La maire socialiste de Lille Martine Aubry s'est ainsi déclarée «choquée» face au «manque d’empathie» du président comme le rappelle Sud OuestAprès avoir fait appel aux dons financiers, de vêtements et de produits de première nécessité dans la capitale du Nord, l'ancienne ministre s'est exprimée sur la situation sur France Info en fustigeant «l’impréparation» de la communauté internationale et en évoquant «un grave problème moral». «Je considère que personne n’a été à la hauteur parce qu’il fallait préparer cela avant [...] Comment la communauté internationale a-t-elle pu laisser cela et organiser aussi mal les choses ?», s'est interrogée Martine Aubry avant de poursuivre comme suit : «On aurait sans doute pu faire plus. Je tiens à dire aujourd’hui que discuter avec les Taliban pour essayer de ramener un certain nombre de gens ne me choque pas dès lors qu’on dit clairement les choses sur la suite». Alors que 58 Afghans ont déjà été accueillis à Lille, l'ex-Première secrétaire du Parti socialiste a estimé que «chacun [devait] prendre sa part», en conseillant «à chaque ville de donner une maison pour une grande famille».

Le 4 août déjà, Martine Aubry avait interpelé Emmanuel Macron sur Twitter. «Que fait la France pour accueillir les Afghans en danger, au-delà du rapatriement réalisé de ceux qui avaient travaillé pour la France ? La ville de Lille est prête à prendre sa part dans cet accueil !», avait-elle écrit sur le réseau social. 

Martine Aubry ne fut pas la seule au PS à s'élever contre les propos d'Emmanuel Macron. La sénatrice PS Laurence Rossignol a employé les termes de «cynisme» et de «honte», et le patron du PS Olivier Faure a déclaré qu'il fallait «protéger toutes celles et tous ceux qui relèvent désormais du droit d'asile». Peu de temps après, celui-ci s'est également étonné du fait que la ministre de la Défense Florence Parly ait déclaré qu'il ne reste que «quelques dizaines d'Afghans dont nous considérons qu'ils doivent pouvoir être rapatriés le plus rapidement possible». «Ils étaient donc si peu à défendre la démocratie, l’égalité femmes/hommes, à combattre pour la liberté ? Comment contingenter à ce point notre protection à des gens qui risquent leur vie parce qu’ils partagent nos valeurs ?», s'est-il indigné. 

Le représentant de Génération.s Thomas Portes a quant à lui vu dans les propos du président «les mêmes mots», «la même rhétorique» et «la même indignité» que Marine Le Pen. Le député LFI Eric Coquerel a de son côté qualifié le discours d'Emmanuel Macron de «sordide» et son collègue insoumis Bastien Lachaud, pris de «nausée» selon ses dires, a estimé que «ce président indigne oublie le plus élémentaire devoir d'humanité et humilie la France devant le monde».

Le secrétaire national d'EELV Julien Bayou a jugé que la France devait «prendre sa part» dans les flux migratoires venus d'Afghanistan. «Macron fait honte à la France», a affirmé le maire écologiste de Grenoble (Isère) Eric Piolle, candidat à la primaire du mouvement écologiste pour la présidentielle de 2022. Le député européen EELV Yannick Jadot, lui aussi candidat à la primaire, s'est dit «sidéré d'écouter Emmanuel Macron déclarant que les femmes, les hommes et les enfants qui fuient l'enfer des Taliban sont d'abord une menace, des "migrants irréguliers", avant d'être des victimes et potentiellement des réfugiés». 

«"Flux migratoire irréguliers", c'est donc ce terme que les femmes et les hommes qui s'accrochent aux ailes des avions à Kaboul auront inspiré à Emmanuel Macron», a regretté le député ex-LREM Aurélien Taché, que le gouvernement avait chargé en 2017 d'un rapport sur l'intégration avant qu'il ne prenne ses distances avec la majorité pour fonder un mouvement situé plus à gauche de l'échiquier politique.

La majorité au secours d'Emmanuel Macron

Ces nombreuses critiques du discours présidentiel ont entraîné la réaction d'Emmanuel Macron qui, visiblement agacé, a estimé le lendemain qu'on «gagnera tous beaucoup d’énergie et de temps à ce que tous ceux qui passent leur journée à commenter prennent 11 minutes de leur temps pour écouter ce que j’ai dit».

Dans les jours qui ont suivi, le chef de l'Etat a publié sur Twitter des messages destinés aux réfugiés afghans tels que «Nous vous le devons, bienvenue», ou «C'est l'honneur de la France, bienvenue».

La majorité présidentielle a également réagi aux critiques : dès le lendemain de la prise de parole d'Emmanuel Macron, l’Elysée a ainsi déclaré à l’AFP que la France n'a «pas du tout à rougir car nous sommes l’un des pays qui accueillent le plus d’Afghans et qui leur donnent le plus de protection.» 

Sur Twitter, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a tenu à rappeler que, «depuis 2018, les Afghans sont les premiers bénéficiaires du droit d’asile en France». «Comme l’a annoncé Emmanuel Macron, nous continuerons d’ouvrir nos portes à ceux qui sont menacés par l’horreur islamiste», a-t-il assuré, avant de fustiger la «polémique indécente de ceux qui veulent voir autre chose dans ses propos».

«Quatre demandes sur cinq d’asile provenant d’Afghanistan obtiennent des réponses positives, et obtiennent donc le statut de réfugié en France», a déclaré la ministre déléguée chargée de la Citoyenneté Marlène Schiappa sur BFMTV le 18 août en affirmant qu'Emmanuel Macron avait fait passer «un message d'humanisme et de solidarité».

Comme l'indique Sud Ouest, le député MoDem Patrick Mignola a quant à lui défendu une position d’équilibre, entre  «ceux qui veulent accueillir tout le monde – ce qui n’est pas à la hauteur de nos capacités – [et] ceux qui ne veulent accueillir personne – ce qui n’est pas à la hauteur de nos valeurs».

L'opération d'évacuation française – nommée «Agapan» – aura permis d'évacuer 2 834 personnes d'Afghanistan dont 2 600 Afghans, s'ajoutant à 1 500 de leurs compatriotes ayant travaillé pour la France qui avaient été exfiltrés préventivement, comme le rapporte le JDD. 

Une nuance à l'origine d'une nouvelle salve de critiques

Treize jours après son intervention polémique, Emmanuel Macron a tempéré sa position sur les migrants afghans dans une interview diffusée le 29 août sur TF1 et LCI depuis Mossoul (Irak).

Je pense qu’il ne faut pas confondre deux choses qui sont les risques terroristes et la dangerosité, et le phénomène des migrations

«Je pense qu’il ne faut pas confondre deux choses qui sont les risques terroristes et la dangerosité, et le phénomène des migrations», a déclaré le chef de l'Etat, reconnaissant toutefois «des liens» entre ces deux faits. «Des gens commettent le pire sur notre sol qui sont issus de l'immigration récente ou plus ancienne, pour autant je distingue ces deux notions de manière très claire», a précisé le chef de l'Etat, avant d'ajouter qu'il ne pense pas «que la situation que nous allons vivre soit comparable à 2015 parce que l’Afghanistan n’est pas la Syrie, et parce qu’il y a déjà eu de très forts mouvements». «Il y aura plus de monde qui essaiera de venir en Europe et donc cela créera une pression sur nos capacités à accueillir», a-t-il par ailleurs mis en garde.

Des propos qui cette fois ont valu au chef de l'Etat une nouvelle salve de critiques, en provenance de l'autre bord du spectre politique.

«Le lien entre immigration et terrorisme n’est pas anecdotique comme semble le dire monsieur Macron», a ainsi déclaré la présidente du Rassemblement national (RN) Marine Le Pen sur Twitter quelques minutes après la prise de parole du chef de l'Etat. «La route migratoire qui s’ouvre doit être empêchée et des cités d’accueil ouvertes dans les pays frontaliers de l’Afghanistan : il en va de la sécurité de la France et de l’Europe», a-t-elle estimé. 

Un avis que sembler partager Patrick Stefanini, ancien préfet, ex-directeur de campagne de Valérie Pécresse et auteur en 2020 du livre Immigration : ces réalités qu'on nous cache (éd. Robert Laffont). Le 30 août sur LCI, celui-ci s'est exprimé en ces termes : «Le point sur lequel j’ai une nuance avec le président de la République, c’est que dans son intervention d’hier il a semblé distinguer le risque migratoire du risque sécuritaire, mais ces deux risques sont intimement liés». «Parmi les services de sécurité aux frontières extérieures de l’Union européenne, vous n’avez pas d’un côté des agents de l’immigration qui s’intéressent aux profils migratoires et à côté de ça, des policiers et des gendarmes qui s’intéressent à leur profil sécuritaire, ce sont les mêmes agents qui font le contrôle», a argumenté celui qui fut également directeur de campagne de François Fillon.

Un sujet qui divise également l'Europe 

En plus de polariser le débat politique en France, la question des migrations en provenance d'Afghanistan divise également l'Union européenne (UE), ce qui est un point d'achoppement supplémentaire pour Emmanuel Macron. 

Comme le rappelle RTL, le président français tente en effet de défendreun accueil coordonné des migrants afghans entre les pays de l'Union. Un dossier que le chef de l'Etat va devoir porter jusqu'à l'élection présidentielle – la France prenant pour 6 mois la présidence tournante du Conseil de l'UE à partir du 1er janvier 2022 – mais qui s'avère périlleux. La radio rapporte que les diplomates français ne se font aucune illusion quant aux chances de réussite d'un plan de répartition des migrants, le sujet étant un désaccord majeur entre les Etats membres depuis de nombreuses années, ceux-ci n'arrivant pas à s'entendre pour réformer leur système d'asile. 

Au lendemain d'une réunion des ministres de l'Intérieur de l'UE qui s'est tenue à Bruxelles – lors de laquelle ceux-ci ont déclaré compter sur les pays voisins de l'Afghanistan pour que les réfugiés restent dans la région et n'affluent pas en Europe –, le ministre luxembourgeois Jean Asselborn a déploré le 31 août lors d'une conférence sur l'avenir de l'Europe à Bled (Slovénie), que la politique migratoire européenne aille «dans la mauvaise direction». Comme le rapporte l'AFP, il a appelé l'UE à «établir des programmes de réinstallation [de réfugiés] pour donner espoir aux gens qui sont poursuivis, qui ne peuvent plus vivre normalement en Afghanistan». Le président du Parlement européen David Sassoli a quant à lui exhorté l'Europe à «prendre ses propres responsabilités» et à «établir une politique commune».

Le Premier ministre hongrois Viktor Orban, présent à lors de cette table ronde, a en revanche dénoncé une telle approche «susceptible de détruire l'identité culturelle de l'Europe». «Je pense qu'il n'est pas possible de combler les différences d'opinion au sein de l'UE, donc le seul moyen est de rendre aux nations leurs droits sur cette question de la migration», a-t-il estimé, avant de poursuivre en ces termes : «Ceux qui affluent sont tous musulmans et modifient la composition de notre continent [...] C'est un défi pour notre héritage chrétien.»

L'épineuse problématique des migrants afghans pourrait s'amplifier dans les semaines à venir, et si elle a déjà créé la polémique à plusieurs niveau, nulle doute qu'elle sera une arme dans la course à l'Elysée contre le très probable candidat Macron. Avec la position intermédiaire qu'il a pour l'heure adoptée sur le sujet –celui-ci prête le flanc aux critiques de gauche lui reprochant son manque d'humanité, aux critiques de droite lui reprochant son trop grand laxisme, et à d'autres lui reprochant son impuissance au niveau européen. Cette nouvelle expression du «en même temps» pourrait coûter cher au chef de l'Etat au printemps 2022.

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