Afghanistan : le monde réagit à la victoire éclair des Taliban, les évacuations se poursuivent
Alors que les Taliban ont pris le contrôle de Kaboul, les réactions se multiplient à l'international, avec comme priorité pour les Occidentaux d'évacuer leurs ressortissants à partir de l'aéroport de la ville, où la situation reste chaotique.
Une résistance aux Taliban s'organise dans le Panchir avec le vice-président Amrullah Saleh et le fils du défunt commandant Massoud, a souligné ce 19 août le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, appelant à des pourparlers en vue d'un «gouvernement représentatif» en Afghanistan. «Les Taliban ne contrôlent pas tout le territoire de l'Afghanistan. Des informations arrivent sur la situation dans la vallée du Panchir où se concentrent les forces de la résistance du vice-président Saleh et d'Ahmad Massoud», a-t-il relevé lors d'une conférence de presse à Moscou.
Le chef de la diplomatie de l'Union européenne a estimé ce 19 août que la prise du pouvoir par les Taliban en Afghanistan représentait «le plus important évènement géopolitique» depuis la crise de Crimée en 2014 et «une nouvelle opportunité» pour la Chine, la Russie et la Turquie d'«étendre leur influence» en Asie centrale.
S'exprimant devant le Parlement européen, Josep Borrell a par ailleurs réaffirmé la nécessité pour l'Europe de «discuter avec les Taliban» pour contenir la crise humanitaire, sans évoquer pour autant une reconnaissance diplomatique formelle du nouveau pouvoir afghan.
Le secrétaire d'Etat français aux Affaires européennes a réitéré ce 19 août qu'il n'y aurait de la part de la France «aucune reconnaissance» ni «complaisance» avec les Taliban, et dit souhaiter la poursuite du «processus politique» en cours.
«Il n'y a aucun contact politique, il n'y aura aucune complaisance, aucune connivence de quelque sorte que ce soit avec le régime taliban. Il n'y a pas de "talibanisme" soft», a martelé sur Franceinfo Clément Beaune. «On a aujourd'hui le pire en Afghanistan. Si, au gouvernement, il y avait d'autres factions politiques que les Taliban dans un gouvernement plus large [...] ce serait une un peu moins mauvaise nouvelle», a-t-il estimé.
Joe Biden a reconnu le 18 août des «difficultés» dans les évacuations d'Afghanistan et répondu aux critiques en affirmant que le retrait des troupes américaines après 20 ans de guerre avait toujours porté le risque d'une forme de «chaos». Questionné sur la date-butoir du 31 août qu'il a fixée pour un retrait total d'Afghanistan, il a dit envisager de la repousser mais seulement pour extraire du pays des citoyens américains.
«Nous déterminerons le moment venu qui est encore là-bas», a déclaré le président américain dans un extrait d'entretien diffusé par la chaîne ABC. «S'il y a encore des citoyens américains, nous resterons pour les faire sortir», a-t-il ajouté, sans préciser les intentions américaines concernant les Afghans qui n'auraient pas réussi à gagner l'aéroport de Kaboul d'ici là. «L'idée selon laquelle il y avait un moyen de sortir sans que le chaos s'ensuive, je ne vois pas comment cela est possible», a-t-il également expliqué.
«Rien» n'indiquait que l'armée et le gouvernement afghans s'effondreraient aussi vite face à l'avancée des combattants talibans, selon le plus haut gradé américain, le général Mark Milley.
Les forces de sécurité afghanes avaient «la formation, la taille et la capacité de défendre leur pays et c'était une question de volonté et de leadership. Et ni moi, ni personne d'autre n'a anticipé l'effondrement d'une armée de cette taille en 11 jours», a dit le chef d'état-major américain.
Les Etats-Unis évacueront d'Afghanistan autant de candidats au départ que «possible», a affirmé le 18 août le ministre américain de la Défense, Lloyd Austin. «Nous allons évacuer tous ceux que nous pouvons physiquement, possiblement évacuer et nous conduirons ces opérations aussi longtemps que possible», a-t-il dit en s'exprimant publiquement pour la première fois depuis la prise de pouvoir des Taliban.
Le Fonds monétaire international (FMI) a annoncé qu'il suspendait les aides en faveur de l'Afghanistan en raison de l'incertitude entourant le statut des dirigeants à Kaboul après la prise de contrôle du pays par les talibans.
«Comme toujours, le FMI est guidé par les vues de la communauté internationale», a déclaré une porte-parole à l'AFP. «Il y a actuellement un manque de clarté au sein de la communauté internationale concernant la reconnaissance d'un gouvernement en Afghanistan, en conséquence de quoi le pays ne peut pas accéder aux DTS [droits de tirage spéciaux] ou à d'autres ressources du FMI», a-t-elle ajouté.
Des responsables talibans ont rencontré l'ancien président afghan Hamid Karzai à Kaboul au lendemain de leur engagement à œuvrer à la réconciliation nationale, un geste que le dernier chef de l'Etat Ashraf Ghani, en fuite à l'étranger, a approuvé.
Les Taliban ont fouillé cette semaine les domiciles «d'au moins quatre journalistes et employés» de médias, selon les informations du Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ).
D'autre part, le CPJ, une ONG basée à New York, «enquête sur des informations de presse datant d'aujourd'hui et affirmant que des militants Taliban ont frappé au moins deux journalistes dans la ville de Jalalabad, dans la province de Nangarhar, où ils couvraient une manifestation contre la prise de pouvoir du groupe», précise-t-il dans un communiqué.
Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS et spécialiste de l’Afghanistan s'est exprimé sur RT France. Selon lui, il n'y a plus aucun avenir politique pour l'ancien président Ashraf Ghani en fuite.
Il explique par ailleurs que les Taliban eux-mêmes étaient surpris de prendre Kaboul aussi facilement et qu'ils sont actuellement en pleines négociations. «Ils ont tiré les leçons du passé, ils savent que le monde entier les regarde et ils essayent d'avancer très pragmatiquement», analyse-t-il.
Tout semble s'être accéléré ce week-end du 15 août en Afghanistan. Après leur offensive sur une très large partie du pays, les Taliban se trouvent désormais aux portes de Kaboul et négocient une transition du pouvoir en leur faveur avec l'Etat central.
Un porte-parole des Taliban a affirmé le 15 août sur Twitter : «L’Émirat islamique ordonne à toutes ses forces d'attendre aux portes de Kaboul, de ne pas essayer d'entrer dans la ville.» De son côté, le ministère de l'Intérieur afghan a déclaré que certains combattants étaient déjà présents dans la capitale. Le ministre a également promis un «transfert pacifique du pouvoir à un gouvernement de transition».
D'après l'agence AP, qui cite un «responsable» afghan souhaitant conserver l'anonymat, des négociations sont actuellement en cours entre des responsables des Taliban et l'Etat central concernant une transition du pouvoir. Elles se déroulent au palais présidentiel. Un responsable des Taliban cité par Reuters a demandé une transition «aussi rapide que possible».
Une offensive éclair
En à peine une dizaine de jours, les Taliban ont réussi à prendre le contrôle de toutes les grandes villes du pays, hormis Kaboul. Dans la matinée du 15 août, ils ont pris possession de la ville de Jalalabad ainsi que de la base aérienne de Bagram, rendue par les Etats-Unis à l'Afghanistan en juillet. Elle abrite 5 000 détenus.
La veille, ils avaient pris possession de Mazar-i-Sharif, la quatrième plus grande ville du pays.
Cette offensive a démarré à la faveur du début du retrait final des troupes américaines, qui doit être achevé le 31 août, et a débuté par d'immenses territoires ruraux dans lesquels les Taliban n'ont rencontré que très peu de résistance.
Cependant, leur offensive s'est accélérée ces derniers jours avec la prise de Zaranj le 6 août, de Kunduz le 8 août, de Ghazni et Hérat le 12 août et de Kandahar, deuxième ville du pays, le lendemain.
Le ministre de l'Intérieur pakistanais a pour sa part annoncé que les Taliban avaient pris le contrôle du poste frontalier de Torkham. Ils disposent désormais d'un contrôle total sur l'ensemble des frontières afghanes.
Les évacuations des étrangers se poursuivent, la Russie demande une réunion du Conseil de sécurité
Par ailleurs, le 15 août, les Taliban ont réussi à encercler l'aéroport de Kaboul, où les évacuations de personnels étrangers se poursuivent.
Face à cette offensive, la Russie a annoncé le même jour œuvrer à la tenue d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU. «Nous y travaillons», a fait savoir Zamir Kaboulov, émissaire du Kremlin pour l'Afghanistan, cité par plusieurs agences de presse russes.
«La situation nécessite une intervention immédiate du Conseil de sécurité de l'ONU. Il est important d'éviter une nouvelle catastrophe humanitaire et une menace accrue pour la sécurité et la stabilité dans la région», a pour sa part estimé Léonid Sloutski, président de la commission des affaires étrangères au Parlement russe.
«Nous ne pouvons pas permettre la création d'un nouveau foyer de terrorisme à proximité immédiate des frontières russes et de nos partenaires», a-t-il ajouté.
Toutefois, Zamir Kaboulov a déclaré à l'agence Interfax qu'aucune évacuation du personnel diplomatique russe n'était prévue.
De son côté, Joe Biden avait annoncé la veille le déploiement de 5 000 soldats à Kaboul afin de sécuriser l'évacuation des civils, tout en maintenant sa décision de mettre fin à 20 ans de présence américaine en Afghanistan.