Grève du 5 décembre : déploiement sécuritaire musclé pour un «jeudi noir»
Des éléments violents seraient attendus par centaines pour la journée de mobilisation intersyndicale contre la réforme des retraites. La préfecture de police de Paris et le ministre de l'Intérieur entendent faire montre d'une réplique sans faille.
Interrogé sur BFMTV ce 4 décembre, à la veille d'un mouvement social intersyndical de grande ampleur contre la réforme des retraites, Christophe Castaner a fait savoir que des éléments violents étaient attendus par les forces de sécurité. Le ministre de l'Intérieur a catégorisé ces individus en les qualifiant de «black blocs» et de «Gilets jaunes radicaux».
Ils seraient attendus au nombre de 400 à Paris et 600 sur tout le territoire, selon les informations du journal Le Parisien, tandis que BFMTV annonçait jusqu'à «1 000 casseurs» attendus dans le cortège parisien, évoquant une déclaration du préfet de police Didier Lallement qui aurait prévenu les maires d'arrondissement à cet égard lors d'une réunion le 3 décembre.
Le quotidien francilien cite pour sa part les services de renseignements territoriaux qui annoncent des «risques de débordements et de violences liés à la présence de l'ultra gauche et de Gilets jaunes». Par ailleurs, selon cette même source qui mentionne une note de 11 pages issue du Service central du renseignement territorial (SCRT), le cortège parisien devrait réunir 15 000 à 20 000 personnes et jusqu'à 270 000 personnes au niveau national. Les rédacteurs de cette «note confidentielle» auraient précisé, toujours selon Le Parisien : «Bien que ce chiffre soit honorable, s'il devait rester en l'état, il ne figurerait pas dans les annales pour cette thématique.» Et de rappeler que les dix journées de mobilisation contre la réforme des retraites portée par Eric Woerth en 2010 avaient rassemblé jusqu'à 8 millions de personnes. Christophe Castaner confirmait sur le plateau de BFMTV qu'à son sens, «on [n'était] pas sur le même étiage» pour cette manifestation.
Pour encadrer cette nouvelle journée de mobilisation intersyndicale, déjà qualifiée de «jeudi noir» par les médias tels que CNews ce 4 décembre, la préfecture de police de Paris fait montre d'une grande implication et bande les muscles, notamment dans les pages de l'hebdomadaire Marianne qui a fait savoir le 3 décembre que «55 forces lourdes et seize unités mobiles [seraient] déployées à Paris». Et le journal de préciser : «La moitié de tous les effectifs disponibles en France !» et d'ajouter : «Autant que le nombre d’unités déployées le 8 décembre 2018… Record égalé.»
Les «caméras tactiques» : vraie nouveauté ?
Marianne annonce également que la préfecture de police aurait un «plan secret» pour contrer les agissements des casseurs et évoque à ce titre la présence de «caméras tactiques» sur le terrain pour prévenir les violences et les dégradations. Interrogé à ce sujet sur BFMTV ce 4 décembre, Christophe Castaner a admis que ces outils de surveillance seraient déployés, mais il a précisé qu'ils avaient déjà été utilisés par le passé dans d'autres manifestations.
Autres révélations du magazine Marianne, 16 unités de Brigade de répression de l'action violente (BRAV) seraient également envisagées pour ce jeudi noir. Ces fameuses unités motocyclistes qui rappellent les voltigeurs des années 1980 sont une création attribuée à Didier Lallement, l'emblématique préfet de police de Paris, dont Marianne dresse un portrait rapide à la fin de son article très complet et dépeint un homme déterminé «aux commandes» dans la salle de l'état-major de la direction de l'ordre public et de la circulation (DOPC) : «Dans l’axe central des caméras, un casque vissé aux oreilles à l’écoute des fréquences radios, le préfet de police, entouré de tout l’état-major de la DOPC, pilote désormais en personne les opérations. [...] "Vous me les dispersez façon puzzle !" n’hésite pas à ordonner sur les ondes radios le préfet Lallement, répétant une célèbre réplique des Tontons Flingueurs.»
Pour ce qui est de la verbalisation des éléments violents, Marianne assure enfin que 44 équipes d'«agents verbalisateurs» seront mobilisées pour circonvenir les zones interdites de manifestation. Cependant, Christophe Castaner a rappelé ce 4 décembre sur BFMTV que ni les black blocs, ni les «Gilets jaunes radicaux» ne seraient interpellés de façon préventive car le Conseil constitutionnel avait cassé cette proposition légale.
Vous me les dispersez façon puzzle !
Quatre camions et huit monospaces seraient cependant mobilisés pour détenir les personnes arrêtées et afin de leur signifier dans l'heure : «Dans les journées "Gilets jaunes" de 2018, nous avons dû relâcher de nombreuses personnes, faute de pouvoir leur notifier leurs droits dans ce délai d’une heure», explique ainsi une «source policière» à Marianne.
Par ailleurs, selon les informations de France Info, le préfet de police de Paris a fait publié un arrêté interdisant le 5 décembre «tout rassemblement de personnes se revendiquant des Gilets jaunes dans le secteur des Champs-Elysées, du ministère de l'Intérieur, de l'Assemblée nationale et de la cathédrale Notre-Dame de Paris.»
Des figures emblématiques du mouvement avaient justement appelé à des rassemblements en soutien des grévistes pour cette journée de mobilisation intersyndicale.
Pour ce qui est du déploiement policier, contacté par RT France, un membre de l'association policière UPNI a pour sa part déploré que les forces de sécurité de la petite couronne parisienne soient en grande partie captées par la préfecture de Paris pour cette journée de mobilisation : «Il y aura aussi de petits rassemblements qui devront être gérés par les commissariats, mais tous les patrons de ces commissariats sont convoqués aujourd'hui à Beauvau et il se pourrait même qu'ils fassent du maintien de l'ordre eux-même à Paris demain [5 décembre]... Alors les commissariats de banlieue, en gros, on les dépouille, on les laisse se débrouiller et on leur dit d'aller se faire f... »
Le policier militant précise par ailleurs que si, sur le papier, de très nombreuses forces sont prévues pour ce jeudi noir, il n'est pas évident à son sens que tous les effectifs seront présents : «Impossible de savoir combien de collègues préféreront se faire porter pâles dans chaque compagnie déployée... Les CRS commencent à en avoir vraiment marre... En plus, des black blocs, il n'y en aura pas qu'à Paris !»
Une compagnie d'intervention se fait porter pâle
Cette association policière a également fait savoir sur son compte Facebook qu'une compagnie départementale d'intervention presque entière près de Grenoble (27 membres sur 29 dans la CDI 38) a été placée en arrêt maladie ce 4 décembre : «Fatigués, ils dénoncent une forte dégradation des conditions de travail. Bouffés à toutes les sauces avec des changements d'horaires, des décalages répétitifs, des modifications de missions de dernière minute, ils sont également rappelés sur les repos, impactant défavorablement le climat familial. Avec les dégâts que l'on connaît.»
Le site d'information spécialisé dans les affaires de police, Actu17, a également communiqué sur ce mouvement de grogne et précisé : «Les fonctionnaires en arrêt de travail ont appris qu’ils étaient tous convoqués chez le médecin contrôleur qui va étudier leur situation.»
Le collectif UPNI dénonce à ce titre une utilisation inique de la médecine professionnelle : «Le médecin-chef du secteur [...] envisagerait de mettre fin à l'arrêt de travail, donnant ainsi un avis contraire à ceux émis par ses confrères du corps médical. Et serait-ce donc pour le bien de la Nation ? Décidément, ces gens ne reculent devant rien ! [Il] se permet ainsi de convoquer une vingtaine d'effectifs dans le but de mettre la pression voulue par les autorités.»
Et d'en appeler aux représentants professionnels du secteur qui ont eux-mêmes mis la pression sur Beauvau en appelant à des actions de décrochages symboliques : «Que pensent nos représentants du personnel, syndicalistes de tous bords, de tels agissements orduriers ?»
De source policière, si les policiers ne reprennent pas le travail, leur unité pourrait être entièrement dissoute et les fonctionnaires récalcitrants se voir sanctionnés.
Antoine Boitel