Attentat de la rue des Rosiers : un pacte secret conclu entre la France et les terroristes
Yves Bonnet, ancien patron de la DST, a fait de nouvelles révélations à la justice sur l'attentat de la rue des Rosiers. D'après lui, le renseignement a passé avec les terroristes un accord visant à éviter de nouvelles attaques sur le sol français.
Voilà l’enquête sur l’attentat de la rue des Rosiers, commis le 9 août 1982, dans le quartier du Marais à Paris, officiellement relancée. Le Parisien révèle des déclarations faites par Yves Bonnet, ancien patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST, qui a fusionné en 2008 avec les Renseignements généraux pour devenir la DCRI puis la DGSI), le 30 janvier dernier, dans le bureau du juge chargé de l’affaire.
«On a passé une sorte de deal verbal en leur disant : "Je ne veux plus d'attentat sur le sol français et en contrepartie, je vous laisse venir en France, je vous garantis qu'il ne vous arrivera rien"», a expliqué celui qui prendra la tête de la DST quelques mois après le drame, selon des propos tirés des procès-verbaux que rapportent le quotidien régional. C’est la première fois, en plus de 30 ans, qu’un acteur de l’époque reconnaît d’une part des négociations avec les terroristes, mais également la mise sur pied d’un pacte secret entre la France et le groupe que l’on pense responsable de la tuerie : le Fatah-Conseil révolutionnaire (Fatah-CR) plus connu sous l’appellation Organisation Abou Nidal. L’espion octogénaire parle d’un «engagement donné aux représentants d'Abou Nidal de ne pas être poursuivis en France».
Ce mouvement palestinien dissident du Fatah, parti de Yasser Arafat, est fondé en 1974 par Sabri al-Banna dont le nom de guerre est Abou Nidal. On lui attribue notamment les attentats du 27 décembre 1985, commis simultanément dans les aéroports de Vienne et de Rome, au cours desquels plusieurs hommes armés feront feu sur les comptoirs d’El Al, une compagnie aérienne israélienne, faisant 20 morts et plus de 130 blessés
Le 9 août 1982, il est 13h15 quand, dans le restaurant éponyme de Jo Goldenberg, figure de la communauté juive parisienne, situé au numéro 7 de la rue des Rosiers, plusieurs hommes armés – entre deux et cinq d'après les témoignages – surgissent munis de pistolets-mitrailleurs. Ils lancent une grenade et ouvrent le feu en direction des clients. L’attentat fera six morts et 22 blessés. Très tôt, les juges chargés de l’enquête se dirigent sur la piste de l’organisation palestinienne, les douilles retrouvées sur place – des munitions de 9mm court de type Makarov tirées par un pistolet-mitrailleur Maszynowy wz. 63 polonais – étant la signature du groupuscule. L’attentat n’a lui jamais été revendiqué.
La rencontre secrète
Yves Bonnet raconte comment l’ancien patron de la DST a accepté l’ouverture de discussions avec l’Organisation Abou Nidal, mais se refuse toutefois à donner les noms des espions français qui ont assisté à la réunion clandestine organisée avec des membres de la cellule. «Ce sont mes collaborateurs qui les ont vus à l'époque, je ne vais pas les dénoncer. C'est moi qui prends la responsabilité de l'accord», a-t-il affirmé en audition. Il ne précise pas non plus l’identité des terroristes présents, précisant qu’ils n’étaient pas les exécutants mais certains de leurs «comparses».
Qu'ils commettent des attentats en Italie, par exemple, ça ne me regardait pas tant qu'il n'y avait rien sur le sol français.
«Et ça a marché, il n'y a plus eu d'attentats à partir de fin 83, en 84 et jusqu'à fin 1985», s’est défendu le haut fonctionnaire à la retraite, parlant d’un pacte de «non-agression». «Après qu'ils commettent des attentats en Italie, par exemple, ça ne me regardait pas tant qu'il n'y avait rien sur le sol français», a-t-il ajouté. Cette fois auprès du quotidien, Yves Bonnet confirme un accord visant selon lui à «assurer la sécurité des Français». L’exécutif français était-il au courant ? Officiellement «l’Elysée ne savait rien» répond-il, glissant néanmoins qu’il «disait tout» au directeur de cabinet de François Mitterrand, Gilles Ménage.
Cette piste avait déjà été explorée en 2015, quand, au détour de l'affaire Clearstream, la justice avait découvert un arrangement entre le général Rondot, vétéran des services de renseignement entré à la DST en 1981, et le chef de l'organisation. En 2018, Yves Bonnet révélait déjà, dans un documentaire diffusé sur France 2, l’existence de ce marché, ce qu'il a désormais avoué à la justice.
Une enquête parlementaire demandée par les victimes
L’un des avocats des parties civiles, Maître Avi Bitton, prévient que «si un tel accord occulte a été passé, cela devient une affaire d'Etat», et milite, toujours auprès du Parisien, pour la création d’une enquête parlementaire qui ne soit pas «uniquement sur le dossier de la rue des Rosiers». «De tels pactes ont-ils été noués avec d'autres organisations ? C'est possible lorsqu'on voit les agissements de l'entreprise Lafarge en Syrie», questionne-t-il.
Yohann Taieb, proche d’une victime, estime, auprès du quotidien francilien, que ce pacte est «une honte». «Imagine-t-on les services secrets négocier aujourd'hui avec Daech ?», tempête-t-il. «Mes clients ne veulent qu'une chose : un procès. Le dossier ne peut désormais évoluer que par la voie diplomatique», indique pour sa part Maître Romain Boulet, autre avocat des parties civiles.
Si Sabri al-Banna – Abou Nidal – est bien mort le 16 août 2002 en Irak, dans des circonstances qui demeurent troubles, plusieurs suspects sont encore dans la nature. En 2015, le juge antiterroriste Marc Trévidic, en charge du dossier depuis 2007, avait délivré quatre mandats d’arrêt contre des membres présumés du commando se trouvant en Jordanie, en Norvège et dans les Territoires palestiniens. Sans succès pour le moment, puisque la demande d’extradition de la France visant celui qui est soupçonné d’avoir supervisé l’attaque, Souhair Mouhamad Hassan Khalid al-Abassi, alias Amjar Atta, a été rejetée en mai 2019 par la Cour de cassation jordanienne, au motif que les «les conditions d'extradition n'étaient pas réunies et l'affaire, remontant à 30 ans, dépassait le délai de prescription [de 20 ans en Jordanie]», d’après son avocat repris par l’AFP. Il était le numéro trois du «comité des opérations spéciales» du Fatah-CR, branche dirigée par le dénommé Abou Nizar, lui-même bras droit d’Abou Nidal. Il est présenté comme le cerveau de l’opération.
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