Six mois après, la multiplication des revendications a-t-elle épuisé le mouvement des Gilets jaunes?

Six mois après, la multiplication des revendications a-t-elle épuisé le mouvement des Gilets jaunes?© JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN Source: AFP
Gilets jaunes à Metz le 4 mai (image d'illustration).
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Après six mois d'existence, plusieurs passages à vide et renaissances, le mouvement des Gilets jaunes semble en fin de course après plusieurs actes de peu d'importance, posant de nombreuses questions sur son avenir.

«On les fait chier nulle part», tel était le constat amer d'Eric Drouet dans une vidéo publiée le 12 mai, au lendemain d'un acte 26 erratique marqué comme les précédents par la multiplication des appels à manifester, pour des revendications disparates, n'ayant parfois rien à voir avec les thèmes premiers des Gilets jaunes. Parmi eux un certain appel aux Gilets jaunes «contre la loi Blanquer / soutiens aux enseignants» à Paris. La «récupération» de trop pour le chauffeur routier, lui inspirant une «vidéo importante à faire» depuis son camion. 

«Je cautionne absolument pas toutes ces marches qui deviennent de plus en plus ridicules avec des thèmes de plus en plus ridicules [...] Si les profs veulent se battre pour leur trucs qu'ils nous rejoignent dans la rue avec leurs Gilets jaunes et on parlera après de leurs problèmes à eux et on réglera les nôtres avant», critiquait-il avant de d'appeler ses «amis» à la concertation et d'arrêter d'appeler à «14 000» manifestations mais à être «raccords sur une». 

Au passage, le Gilet jaune originaire de Melun en profitait pour tancer les «trajets déclarés», rendant le mouvement selon lui insignifiant : «Si je veux aller sur Paris et manifester j'ai le droit. Les manifestations déclarées j'en ai ras le cul», s'exclamait-il, appelant les autres «figures» du mouvement – terme qu'il dit détester –, à s'accorder sur un seul événement, de préférence non déclaré. 

Un public de moins en moins nombreux aux rendez-vous

Six mois après son lancement, le mouvement des Gilets jaunes semble en effet moins préoccuper le parti au pouvoir, désormais dévoué principalement à la campagne pour les élections européennes.

Taxé notamment avec Maxime Nicolle, dit «Fly rider», de «factieux», et de «séditieux» en février dernier par le porte-parole du gouvernement Benjamin Grivaux dans une interview, Eric Drouet, à l'instar des autres figures historiques du mouvement – exception faite de Jérôme Rodrigues devenu malgré lui le symbole des violences policières –, a disparu peu à peu des plateaux de télévision, dénonçant des «menaces» sur sa famille.

Quant au mouvement, il ne fait guère plus parler de lui à grande échelle que lors des explosions de violences commises par les blacks blocs, comme le 16 mars ou le 1er mai à Paris, ou par les images de violences policières qui provoquent régulièrement de vives émotions sur les réseaux sociaux.

Le 11 mai, «seulement» 37 529 personnes ont participé à l'acte 26 selon le comptage, habituellement favorable, du Nombre jaune, 19 000 selon les chiffres, régulièrement critiqués, du ministère de l'Intérieur. L'essoufflement est incontestable si l'on pense aux centaines de milliers de personnes mobilisées chaque week-end lors des premiers mois du mouvement. 

J'appelle ça une mobilisation fluctuante, plutôt qu'une baisse

«J'appelle ça une mobilisation fluctuante, plutôt qu'une baisse», nuance Maxime Nicolle auprès de RT France. Le Gilet jaune breton a listé encore 780 ronds points occupés. À l'instar d'Eric Drouet, il pointe du doigt les cortèges déclarés à l'issue desquels les organisateurs appellent à la dispersion, une manière de faire qui ressemble bien trop à «celle des syndicats».

«Plus on demande de choses plus on a de chances de ne rien avoir du tout», tance-t-il par ailleurs, s'alignant ainsi sur le constat d'Eric Drouet.

Autre argument avancé pour expliquer la baisse de fréquentation : la peur des «doctrines de maintien de l'ordre» – entendre par là l'inquiétude sucitée par les images de blessures de manifestants, généralement attribuées aux forces de l'ordre. Même son de cloche du côté de Jérôme Rodrigues, éborgné lors de l'acte 11, pour qui les manifestants ont «peur de descendre dans la rue». 

Le gilet jaune à toutes les sauces

D'un mouvement contre la hausse des taxes sur le carburant né sur Facebook, majoritairement circonscrit à la «France périphérique» et suscitant généralement l'indifférence ou une franche aversion au niveau médiatique, les Gilets jaunes sont devenus peu à peu l'emblème de toutes les contestations : augmentation des salaires, Frexit, défense du climat...

Les syndicats représentent l'élite, contrairement aux syndiqués qui sont là tous les samedis à marcher avec nous

«Droits au chômage pour tou.te.s», pouvait-on par exemple lire le 14 mai sur une banderole déployée par des intermittents du spectacle en gilet jaune lors de la soirée des Molières du théâtre français. Un domaine absent des revendications premières des Gilets jaunes et un usage de l’écriture inclusive qui interroge, celle-ci étant presque exclusivement utilisée par les syndicats et organisations politiques  de gauche pour leurs communiqués. 

«Ce gilet jaune c'est le symbole de la détresse, c'est simplement une revendication citoyenne», temporise Jérôme Rodrigues à RT France pour qui «toute action est bonne à prendre». Pas question selon lui de parler de récupération lorsque le gilet jaune n'est pas directement repris par un parti politique ou un syndicat.

«Les syndicats représentent l'élite, contrairement aux syndiqués qui sont là tous les samedis à marcher avec nous», explique-t-il. 

Vers un deuxième souffle ?

Autre sujet d'inquiétude : les porte-paroles non issus originellement du mouvement, tels Juan Branco, propulsé sur le devant de la scène médiatique grâce au succès rencontré par son ouvrage Crépuscule sur les réseaux de la macronie, également connu pour être l'avocat de Maxime Nicolle. Le 5 mai, loin de se contenter de commenter le mouvement, celui-ci co-organisait à Londres avec son client une manifestation de Gilets jaunes en soutien à Julian Assange et à WikiLeaks, dont il est par ailleurs le conseiller juridique en France.  

Mais le parcours politique du jeune homme, les grandes écoles qu'il a fréquentées et l'importance qu'il a prise dans les médias suscitent l'aversion d'une partie des Gilets jaunes qui le critiquent de plus en plus sur les réseaux sociaux, en dépit du grand succès de ses interventions sur Internet. Une interview de Juan Branco par Thinkerview, sur YouTube, a par exemple été visionnée plus d'un million de fois en deux mois.  

Le chanteur Francis Lalanne, tête de liste aux élections européennes, fait aussi l'objet d'une forte défiance au sein du mouvement. L'artiste est accusé de vouloir récupérer le mouvement, servant ainsi les intérêts du parti présidentiel. Quant à Jérôme Rodrigues, il a très peu apprécié de voir son propre portrait sur un tee-shirt porté par le chanteur. 

De son côté, Maxime Nicolle dit avoir refusé des sollicitations de Joachim Son-Forget, de la France insoumise... et de Francis Lalanne, tandis que Priscillia Ludosky aurait selon lui été approchée par le Rassemblement National. En bons Gilets jaunes, ni lui ni Jerôme Rodrigues n'attendent quelque chose du scrutin du 26 mai : «On sait que c'est pas important», tranche Fly rider. 

Si j'avais la réponse on ne serait pas en train de se parler

«Je reste optimiste, on fera tout pour emmerder Macron jusqu'à la fin, on est le seul contre-pouvoir à la place de ceux qui sont élus pour ça», explique enfin Jérôme Rodrigues. Quant à savoir si le mouvement survivra à cette mauvaise passe, la réponse est cinglante : «Si j'avais la réponse on ne serait pas en train de se parler.» 

Le Gilet jaune dit avoir discuté avec Eric Drouet et à d'autres personnes (sans les citer) depuis son «coup de gueule», mais ne veut donner aucun détail sur ces tractations. Maxime Nicolle lui aussi affirme avoir répondu à l'appel, et les deux hommes doivent se parler prochainement. Dernier tour de piste ou deuxième souffle ? Comme au premier jour, le mouvement des Gilets jaunes semble toujours aussi insaisissable, y compris par ses propres artisans les plus déterminés.

Lucas Léger 

Lire aussi : Paroles de Gilets jaunes : «Macron prend le contrepied de tout ce que les Gilets jaunes demandent»

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