L'affaire Mélenchon est-elle judiciaire, politique ou médiatique ?

L'affaire Mélenchon est-elle judiciaire, politique ou médiatique ?© Pascal Rossignol Source: Reuters
Jean-Luc Mélenchon durant une session de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, le 16 octobre
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Le leader de La France insoumise est dans la tempête médiatique depuis plusieurs jours. Outre les déboires judiciaires du mouvement dans plusieurs affaires, les accès de colère de Jean-Luc Mélenchon contre les forces de l'ordre font débat. A raison ?

Depuis le 16 octobre, l'actualité de Jean-Luc Mélenchon a, fort opportunément pour l'exécutif, éclipsé le remaniement gouvernemental et l'allocution du chef de l'Etat. Auditions, perquisitions en masse chez les cadres de La France insoumise (LFI), coup de gueule contre les forces de l'ordre menant les opérations... Le chef de file de LFI et son mouvement ont été pris dans un engrenage médiatique. 

Que s'est-il donc passé ce 16 octobre ?

Toute l'affaire a débuté le 16 octobre. Dès 7h00 du matin, Jean-Luc Mélenchon a diffusé en direct, sur les réseaux sociaux, la perquisition qui avait lieu à son domicile. Dix de ses collaborateurs ainsi que les locaux de La France insoumise ont été également perquisitionnés. Au fil de la journée, le ton est rapidement monté. Se rendant au quartier général de son mouvement, en compagnie de ses soutiens et de membres du mouvement, Jean-Luc Mélenchon a alors tenté d'accéder aux locaux, forçant les policiers déjà présents à le laisser passer. Une scène filmée montre un policier empoignant un militant LFI pour le mettre à terre.

Sur des vidéos prises lors des perquisitions, Jean-Luc Mélenchon est apparu, pour sa part, en train de bousculer un représentant du parquet. A la suite de ce geste, une enquête a d'ailleurs été ouverte le lendemain et confiée au parquet de Bobigny pour «actes d'intimidation contre l'autorité judiciaire», «violences sur personnes dépositaires de l'autorité publique».

«Oui, il y a eu violence, quatre plaintes sont déposées par mes amis car il y a eu une bousculade dans laquelle ils ont été précipités à terre», a rétorqué les 17 et 18 octobre Jean-Luc Mélenchon.

Pourquoi la justice s'intéresse-t-elle à La France insoumise ?

Pourquoi La France insoumise a-t-elle été ainsi la cible de perquisitions ? Jean-Luc Mélenchon est d'abord visé par une enquête sur de présumés emplois fictifs d'assistants parlementaires européens, ouverte après les signalements de l'ex-eurodéputée Front national (FN) Sophie Montel en juin 2017. Jugeant la «dénonciation calomnieuse», Jean-Luc Mélenchon s'est étonné lors d'un point presse le 19 octobre qu'il soit le seul à être pris pour cible alors que «Madame Montel a dénoncé 17 autres personnes». «Il y en a donc 16 qui doivent donc s'attendre à tout moment à voir surgir des policiers armés dans leur domicile», a-t-il ironisé. Il a assuré que La France insoumise s'était d'ailleurs «toujours conformée» au droit européen concernant cette affaire.

Une autre enquête porte sur ses comptes de campagne lors de la présidentielle de 2017. Elle a été lancée après deux signalements à la justice : l'un du président de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), l'autre, de la cellule française de renseignement financier Tracfin. Jean-Guy de Chalvron est l'acteur central de cette deuxième enquête, celui-ci ayant démissionné de l'instance après avoir établi «de nombreuses divergences de fond» avec la CNCCFP en janvier 2018. Il avait été en effet chargé d'éplucher les factures de Jean-Luc Mélenchon, pour l'élection présidentielle 2017.

Je vous mets tous en garde tous ceux qui titrent, sur le fait que nous avons fait de la surfacturation, s'exposent à des poursuites judiciaires qui auront lieu !

Il avait attesté avoir déniché plusieurs dépenses litigieuses, «des anomalies», qui ne devaient pas, selon lui, ouvrir droit à un remboursement par l'Etat. Invité sur le plateau de BFMTV le 18 octobre, Jean-Guy de Chalvron a réitéré ses attaques contre l'ex-candidat à la présidentielle, assurant qu'il y avait environ 1,5 million d'euros «qui lui semblaient tout-à-fait contestables». Il soupçonne notamment le prestataire de la communication de Jean-Luc Mélenchon, Mediascope, d'avoir fait de la surfacturation «et vraisemblablement aider à la constitution d'un réservoir». Jean-Luc Mélenchon a, là encore, répliqué, notant au passage que Jean-Guy de Chalvron avait refusé un débat avec le député LFI du Nord, Adrien Quatennens, le 18 octobre sur la chaîne d'information en continu. «De Chalvron ment sciemment et calomnie sans débat contradictoire sur BFMTV, plainte en diffamation déposée demain contre BFMTV et de Chalvron», a-t-il tweeté le 18 octobre.

«Après la remise des comptes, nous avons répondu à 2 000 questions posées par Monsieur de Chalvron et quelques autres [...] nous étions prêts à répondre à 3 000 autres questions», a ajouté Jean-Luc Mélenchon le 19 octobre en précisant que Jean-Guy de Chalvron était auparavant directeur de cabinet de Monsieur Mexandeau, ex-ministre socialiste, avec lequel ses relations étaient «épouvantables depuis 30 ans». «Celui-là même [le président de la CNCCFP, François Logerot] qui a validé mes comptes de campagne a ensuite fait une dénonciation en donnant en premier lieu des documents à la presse», a également déploré Jean-Luc Mélenchon en demandant par voie de conséquence «le réexamen de tous les comptes de campagne».

Le leader du mouvement a prolongé sa protestation, essayant de prouver les bonnes intentions de La France insoumise : «Nous pouvions demander huit millions en remboursement, nous n'en avons demandé que six millions. Par conséquent, il n'est pas vrai que d'une quelconque manière, nous ayons essayé d'exagérer ou de remplir nos caisses.» Il en a d'ailleurs profité pour menacer les journalistes qui feraient acte de malveillance : «Je vous mets tous en garde tous ceux qui titrent, sur le fait que nous avons fait de la surfacturation, s'exposent à des poursuites judiciaires qui auront lieu !»

La machine médiatique s'est-elle emballée ?

Il faut dire que depuis plusieurs jours les médias n'ont pas été tendres avec Jean-Luc Mélenchon, réagissant très promptement aux accusations portées contre LFI, avant même que tous les éléments de l'enquête aient été clarifiés. Les insoumis n'hésitent donc plus à dégainer. Adrien Quatennens a par exemple critiqué BFMTV pour avoir repris les accusations de surfacturation de Jean-Guy De Chalvron à propos de la société de communication Mediacope, dirigée par Sophia Chikirou. «Pour un seul clip de campagne pour Emmanuel Macron, [son] agence [de communication, Jésus et Gabriel] facture 152 000 euros, à titre de comparaison, Mediascop pour 20 clips de campagne de Jean-Luc Mélenchon, c'est 108 000 euros», a argumenté Adrien Quatennens. 

La France insoumise a par ailleurs accusé des médias, tels que BFMTV, l'AFP ou Libération, de propager des «mensonges» sur les affaires et les perquisitions.

De surcroît, France Info, par exemple, a clairement incriminé LFI, après enquête, pour avoir permis à Mediascope de facturer «très cher certaines prestations». De «fausses informations», selon Adrien Quatennens. «Notre campagne présidentielle a duré 15 mois, elle a coûté 11 millions d'euros pour un résultat de 20% [en réalité 19,58%] [...] c'est l'une des campagnes les moins onéreuses», a justifié Adrien Quatennens sur BFMTV le 19 octobre, sans oublier de préciser que Benoît Hamon avait réalisé un score de 6% pour trois mois de campagne à 15 millions d'euros.

Un coup politique contre les Insoumis et Jean-Luc Mélenchon ?

La patronne de Mediascope, Sophia Chikirou, a été entendue par la police le 19 octobre. Avant elle, Jean-Luc Mélenchon avait été entendu en audition libre le 18 octobre à l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF). Il a estimé avoir été interrogé «cinq heures pour enfoncer des portes ouvertes».

Jean-Luc Mélenchon a en outre affirmé avoir déjà répondu par écrit à l'administration du Parlement européen aux questions sur les emplois présumés fictifs d'assistants d'eurodéputés, au cœur d'une enquête préliminaire du parquet de Paris. «Tous ces agents, au lieu de courir après les Panama papers et d'autres actions de ce type [d'évasion et fraude fiscales], ont enquêté sur les comptes de campagne de Jean-Luc Mélenchon, tout ça est un gâchis absolument inouï», a déploré le député des Bouches-du-Rhône, le 19 octobre.

Tous les responsables politiques savent qu'un procureur, qui agit dans le cadre d'une affaire préliminaire, n'est pas un procureur indépendant

Il a en sus mis «en cause la police politique, c'est-à-dire la décision politique d'instrumentaliser des magistrats et des policiers pour essayer de faire un mauvais sort à un des chefs de l'opposition».

De son côté, la garde des Sceaux Nicole Belloubet a martelé le 18 octobre que la justice était «totalement indépendante» et que ni elle, ni le gouvernement n'avaient pu «décider d'une mesure d'instruction particulière» dans les enquêtes autour de La France insoumise (LFI) et de Jean-Luc Mélenchon. Emmanuel Macron a lui même tenu à confirmer, le même jour, «l'indépendance de la justice». Faux a répondu Jean-Luc Mélenchon le lendemain. «Tous les responsables politiques savent qu'un procureur, qui agit dans le cadre d'une affaire préliminaire, n'est pas un procureur indépendant», a-t-il dénoncé. «Ce n'est pas une enquête judiciaire décidée par un magistrat du siège qui donne un ordre à un magistrat parquetier pour aller faire telle ou telle démarche [...] c'est bien un ordre politique qui a été donné puisqu'ils [Nicole Belloubet et Emmanuel Macron] savaient que cette intervention aurait lieu», a-t-il étayé.

«On ne mobilise pas 100 agents de la police judiciaire sans qu'elle ne le sache, sans qu'elle l'ait décidé ou autorisé», a-t-il poursuivi en jugeant qu'Emmanuel Macron avait lancé «une offensive politique». «Nous sommes victimes d'une agression politique», a rajouté le leader de LFI.

Estimant que d'autres personnalités politiques, de parti divers, avaient certes été inquiétées par la justice dans le passé, il a rappelé que La France insoumise était un cas différent puisque «nulle part, il n'y a eu une opération de police de type antiterroriste contre un parti politique».

Les insoumis ont de fait interpellé l'opinion publique sur les perquisitions qui ont conduit à la saisie de tous les fichiers sensibles du mouvements. «Des données (des fichiers d'adhérents?) ont été pris en dehors de tout cadre légal puisqu'aucun procès verbal n'a été établi, c'est hallucinant, révoltant et inquiétant pour la démocratie», s'est ainsi révolté le 16 octobre, l'un des bras droit de Jean-Luc Mélenchon, Manuel Bompard, sur Twitter.

Adrien Quatennens s'est lui aussi inquiété le 19 octobre : «Toutes les données et les informations concernant La France insoumise ainsi que les données personnelles de Jean-Luc Mélenchon et ses proches sont aux mains d'instances dépendantes des ministères. Chacun se fera son avis sur l'utilisation qui peut en être faite.» Jean-Luc Mélenchon a demandé «l'annulation» des perquisitions et la «restitution de tout ce qui a été prélevé à ce moment-là». «Tout ce qui a été pris ici l'a été illégalement et doit nous être restitué», a-t-il scandé.

Excès verbaux, Jean-Luc Mélenchon pris au piège ?

Dans un climat particulièrement tendu, Jean-Luc Mélenchon a semble-t-il perdu ses nerfs à plusieurs reprises durant la semaine. L'occasion pour ses opposants de cibler ce qu'ils estiment être l'une des faiblesses de Jean-Luc Mélenchon. L'un des faits les plus médiatisés s'est déroulé à l'Assemblée nationale le 17 octobre. Le parlementaire avait tourné en dérision une journaliste qui lui posait une question, en imitant son accent méridional.

La députée de La République en marche (LREM), Laetitia Avia, n'a pas attendu et a annoncé, le lendemain 18 octobre, le dépôt d'une proposition de loi, contre les discriminations linguistiques ou «glottophobie».

Jean-Luc Mélenchon a semble-t-il reconnu une erreur de jugement le 19 octobre : «Nous ne sommes pas des voyous [...] on peut être excessif et il peut arriver qu'on commette ici et là une erreur ou une autre. Je suis désolé de cette histoire avec cette journaliste, je croyais qu'elle se moquait de moi parce qu'elle avait pris un accent de Marseille et que je suis élu de Marseille.» 

La classe politique entre soutiens et attaques envers LFI et Mélenchon

Cette série d'épisodes fortement médiatisés a fait réagir au-delà des proches de Jean-Luc Mélenchon. Si bien que certains politiques, peu proches de LFI, se sont d'ailleurs interrogés sur cette opération massive. Le député socialiste (PS) Luc Carvounas s'est par exemple étonné le 19 octobre de la «drôle de coïncidence» qui a conduit le 16 octobre aux perquisitions visant La France insoumise le jour du remaniement gouvernemental.

L'ancien candidat socialiste à la présidentielle et peu proche de Jean-Luc Mélenchon, Benoît Hamon, a mis de l'eau dans son vin  : «La justice doit s’exercer sans passe-droit mais sans humiliation. La mise en scène d’une opération policière contre un parti de l’opposition, LFI, est indigne de la part du pouvoir, qui avait plus d’égards pour Monsieur Benalla. Je demande au gouvernement de rendre sa sérénité à la Justice.»

Sur BFMTV, le 17 octobre, le patron des députés Les Républicains (LR), Christian Jacob a, dans la même veine, dénoncé «deux poids deux mesures» entre l'affaire Jean-Luc Mélenchon et l'affaire Alexandre Benalla. En effet, lors de l'affaire du conseiller d'Emmanuel Macron, accusé d'avoir commis des violences lors de la manifestation du 1er mai, de nombreuses personnalités politiques avaient été surprises de voir le laxisme de la police qui avait reporté la perquisition de son appartement, la porte étant fermée à leur arrivée. Quand la police était retournée sur les lieux le lendemain, le coffre de stockage des armes avait eu le temps d'être vidé.

La présidente du Rassemblement nationale (RN), Marine Le Pen a, elle, alerté sur «cette pseudo affaire des assistants parlementaires» qui permet au «pouvoir» d'être «en possession de tous les contenus, notes, contacts, etc., de tous les téléphones et ordinateurs, sur plusieurs années, des deux partis d’opposition à Emmanuel Macron, le RN et LFI». En effet, le Rassemblement national a lui aussi subi des perquisitions en février 2017.

Sans surprise, les attaques les plus virulentes contre Jean-Luc Mélenchon sont venues de la majorité présidentielle, à l'image de la députée Aurore Bergé au sujet de la conférence de presse du 19 octobre : «Que chacun regarde la conférence de presse de Jean Luc Mélenchon. Que chacun puisse voir ses attaques contre la justice, la police, la presse. Que chacun constate sa violence. Que chacun apprécie si cet homme peut prétendre à être président de notre République.»

Pas sûr que cette analyse rassure les insoumis quant aux intentions qu'ils prêtent à l'exécutif. Les propos d'Aurore Bergé, à l'instar de la réaction de La République en marche à l'affaire Mélenchon, semblent s'appliquer à relier le tapage médiatique de cette affaire aux compétences du leader des Insoumis à diriger le pays. Et donc à transformer une affaire judiciaire en affaire politique. Précisément ce dont les Insoumis accusent la majorité...

Bastien Gouly

Lire aussi : Perquisition chez Jean-Luc Mélenchon : «La justice se laisse instrumentaliser»

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