Au lendemain d’une élection présidentielle algérienne massivement rejetée et boycottée, Adlene Mohammedi, chercheur en géopolitique et spécialiste du monde arabe, revient sur ce scrutin qui nourrit la contestation populaire.
Le pouvoir algérien ose tout, c’est même à cela qu’on le reconnaît. On le savait capable de laisser un homme sans vie à la tête de l’Etat et d’organiser sa réélection en promenant son portrait. On découvre maintenant qu’il est capable d’aller un peu plus loin.
Depuis le 22 février dernier et le déclenchement d’un processus révolutionnaire inédit, le pouvoir algérien assume son caractère clandestin. Les décisions sont prises à l’abri du peuple – que les dirigeants méprisent dans des proportions inavouables –, qui n’est source de légitimité qu’en théorie. En réalité, les hommes de la cryptocratie algérienne veulent simplement sauver le régime en place, conserver le pouvoir, pérenniser la rente issue des hydrocarbures et ne jamais rendre de comptes.
Le pouvoir assume aussi sa nature militaire. Le soulèvement algérien a poussé l’état-major de l’armée à se mettre en avant. Les généraux ne se cachent plus derrière une façade civile, comme sous Abdelaziz Bouteflika. Ce sont désormais les civils qui s’abritent derrière le bedonnant chef d’état-major. L’allégeance du pouvoir civil au pouvoir militaire est maintenant publique et revendiquée. En somme, face au peuple qui se soulève, le pouvoir algérien tente le passage en force décomplexé.
Faux légalisme et fausse opération «mains propres»
Depuis l’éviction de Bouteflika en avril, l’état-major – qui concentre désormais des pouvoirs naguère répartis entre divers cercles incluant la présidence et l’oligarchie – invoque le respect du cadre constitutionnel pour échapper à toute transition, à tout changement de régime. Il n’est pas question de respecter la constitution (brandie et piétinée, selon les besoins), mais de l’utiliser pour préserver le régime en place et quelques intérêts privés.
Pour s’imposer, l’état-major s’est appuyé sur une justice aux ordres qui l’a accompagné à la fois dans sa répression et dans sa restructuration. C’est bien la même justice algérienne qui malmène des citoyens et des opposants pour des pancartes ou des drapeaux et qui neutralise des personnalités honnies par le peuple algérien dans le cadre d’une propagande judiciaire.
Cette propagande judiciaire n’a séduit que ceux qui voulaient bien être séduits. L’éviction de personnalités aussi détestables et illégitimes que l’ancien chef de l’ancien Département du renseignement et de la sécurité (DRS) et le frère de l’ancien président – le général Toufik et Saïd Bouteflika – ne reflète pas une volonté de «nettoyer» le système, mais l’intention ferme de le sauver en écartant et en sacrifiant ceux qui ont manqué de loyauté à l’égard de leurs anciens complices.
La fabrication d’une Algérie fictive
Pour fermer la «parenthèse» du mouvement populaire, il fallait une élection. Ceux qui se sont accommodés d’un président incapable de s’exprimer feignent de craindre le «vide constitutionnel». Après deux élections avortées en avril et en juillet, l’état-major tenait à se montrer ferme s’agissant du scrutin de décembre. Puisque les Algériens sont déterminés à changer de régime depuis dix mois, il fallait fabriquer une Algérie fictive.
Pour cela, les dirigeants algériens pouvaient compter sur des télévisions ni vraiment publiques (aucun service public délivré) ni vraiment privées (détenues par des oligarques liés au régime). Ces télévisions ont non seulement martelé la propagande du pouvoir militaire, mais elles ont aussi méthodiquement minimisé l’ampleur de l’hostilité populaire et mis en scène un engouement pour cette élection inexistant dans l’Algérie réelle.
La fraude a donc eu lieu avant la fraude électorale. Plus qu’une fraude, un viol. La majorité qui refuse la supercherie est niée, insultée, minimisée. Inventer de faux chiffres de participation et de faux résultats devient, dans ces conditions, dérisoire. Tous les observateurs honnêtes et les journalistes indépendants savent que cette élection n’a pas eu lieu. Dans certaines régions (la Kabylie, notamment), le boycott n’a pas été seulement massif mais total.
Un président fictif
Des cinq candidats issus du régime que le pouvoir militaire a mis en avant, il a opté pour celui qui correspondait le plus aux ruses qu’il a servies depuis quelques mois, à savoir un homme qui incarne le régime tout en prétendant lutter contre ses dérives oligarchiques. Abdelmadjid Tebboune sert le régime algérien depuis 1975. Cinq fois ministre sous Bouteflika, puis éphémère Premier ministre en 2017, il se serait illustré en s’attaquant à quelques oligarques proches de Saïd Bouteflika.
Les Algériens l’associent surtout à la continuité du régime et à son fils, en détention pour blanchiment d’argent dans le cadre d’une affaire de saisie record de cocaïne. Il est raillé et détesté, comme tous les hommes du régime algérien. Il aura donc été élu par des généraux et non par ses concitoyens.
Ce simulacre d’élection nourrit la colère et la détermination des Algériens. Les appels aux manifestations et à la grève générale se multiplient déjà. Après avoir été un Premier ministre éphémère, Tebboune se condamne à être un président fictif.
Le régime algérien est condamné à disparaître. Après avoir vécu dans la clandestinité et la discrétion, il mourra avec fracas, en ayant repoussé toujours plus loin les limites du ridicule.
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