Par Philippe Migault Tous les articles de cet auteur
Philippe Migault est directeur du Centre européen d'analyses stratégiques, analyste, enseignant, spécialiste des questions stratégiques.

Le Brésil dans l’OTAN n’a d’intérêt que pour Washington

Le Brésil dans l’OTAN n’a d’intérêt que pour Washington© Carlos Barria Source: Reuters
Donald Trump et Jair Bolsonaro le 19 mars 2019.
Suivez RT en français surTelegram

A l'issue de sa rencontre avec Jair Bolsonaro le 19 mars, le président américain a suggéré que le Brésil adhère à l'OTAN. Pour RT France, le spécialiste des questions stratégiques Philippe Migault analyse les enjeux liés à l'offre de Donald Trump.

La volonté d’intégrer le Brésil dans l’OTAN, récemment exprimée par Donald Trump, est profondément révélatrice de la diplomatie américaine, telle qu’elle se décline depuis la fin de la première guerre froide.

Quelle valeur ajoutée le Brésil en matière militaire ? [...] Aucune, évidemment

A quoi assistons-nous ? A une nouvelle mise devant le fait accompli de leurs alliés par les Etats-Unis. Qui, dans l’OTAN, a été préalablement consulté par l’administration américaine avant que Donald Trump ne préconise cet élargissement ? Toute adhésion à l’Alliance atlantique doit faire l’objet d’un vote à l’unanimité. Il aurait donc semblé logique que la Maison Blanche consulte ses partenaires au préalable, la France, notamment, qui est le seul Etat de l’OTAN disposant d’une frontière commune avec le Brésil mais qui ne tient pas, nécessairement, à ce que celui-ci intègre l’organisation. Mais peu importe. En 2008 les Américains ont proposé aux Géorgiens et aux Ukrainiens de rejoindre l’OTAN, s’attirant l’hostilité de la Russie, en dépit des mises en garde et du veto de la France et de l’Allemagne. Cela ne les empêche pas de poursuivre cet objectif aujourd’hui encore. Alors pourquoi pas le Brésil, infiniment moins problématique en apparence ?

Précisément parce que les apparences ne seraient pas sauvées. L’OTAN, c’est l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord. Nord. Le Brésil se trouve à 80% au sud de l’Equateur. L’Alliance atlantique a par ailleurs été créée, il y a soixante-dix ans, pour combattre l’Union soviétique, dont les troupes stationnaient à une cinquantaine de kilomètres de Hambourg. On voit mal en quoi l’intégration du Brésil aurait aujourd’hui la moindre pertinence, alors que l’Armée rouge est morte et que les forces armées russes ont effectué un retrait vers l’Est de plus de 1 500 kilomètres, l’OTAN étant inversement aujourd’hui à 130 kilomètres de Saint-Pétersbourg. Quelle valeur ajoutée le Brésil en matière militaire ? Sa connaissance du combat en jungle en cas d’affrontement dans les forêts avoisinant la trouée de Suwalki ? Sa marine constituée de navires de seconde main français, britanniques et américains ? Sa capacité de réaction rapide, à 10 000 kilomètres de l’Europe ? Aucune, évidemment.

Une nouvelle mise devant le fait accompli de leurs alliés par les Etats-Unis.

Certes, comme au bon vieux temps de la guerre froide première mouture, le combat contre le socialisme en Amérique latine, qu’il s’appelle castrisme ou chavisme, qu’il prenne les traits de Morales ou de Lula, demeure une priorité pour les Etats-Unis. A fortiori lorsqu’il affiche sa proximité avec Moscou. Et dans ce cadre Jair Bolsonaro donne toutes les garanties. Certes le Brésil, membre des BRICA, entretient depuis des années des relations cordiales avec la Russie. Mais Bolsonaro n’est pas Lula. Affichant sa complicité avec un faucon tel John Bolton, le très néoconservateur conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, il ne sera certainement pas dans le camp du Venezuela, de Maduro et de Vladimir Poutine en cas de crise majeure. Pas plus que dans celui d’Evo Morales ou de tout ce qui s’apparente, de près ou de loin, à un sympathisant du socialisme.

Ardent défenseur de la junte militaire qui gouverna le Brésil entre 1964 et 1985, installée avec la complicité de la CIA au terme d’une classique opération de Regime Change américaine, Bolsonaro n’est pas du genre à pleurer sur l’opération Condor, vaste campagne d’élimination de tous les éléments suspects de communisme en Amérique latine. De ce point de vue aussi, les Américains font fi des apparences. Pourquoi ? Parce qu’ils savent que leur influence décline, qu’ils sont déterminés à tout faire pour maintenir leur leadership et que, dans ce cadre, il n’y a pas plus d’alliés que de méthodes honteuses. Certes, cela a toujours été comme cela. Et c’est de bonne guerre. La seule différence est que Trump ne tente même pas, comme ses prédécesseurs, de maquiller son action sous une apparence de vertu. Désinhibé, sans scrupules, il a trouvé en Bolsonaro un alter ego.

Si Bolsonaro veut être réélu, il a tout intérêt à s’abstenir

Ce dernier, cependant est un nationaliste. Il sait pertinemment que l’OTAN est le principal levier d’influence de la diplomatie américaine. Qu’accepter d’y entrer c’est faire acte de vassalité envers la Maison Blanche. De quoi hérisser une bonne partie des Brésiliens, y compris au sein de son propre électorat. S’il veut être réélu, il a tout intérêt à s’abstenir. D’autant que le Brésil a son propre calendrier en termes de défense et de souveraineté. Le concept d’Amazonie Bleue, visant à faire une chasse gardée brésilienne des eaux s’étendant entre Natal et le Golfe de Guinée, riches en pétrole et en ressources halieutiques, est peu compatible avec la volonté américaine de régner sur les mers et de contrôler les sources d’énergie. L’industrie aéronautique et de défense brésilienne, dont le principal acteur, Embraer, devrait rapidement passer sous le contrôle des Etats-Unis via Boeing, a beaucoup investi dans des programmes visant à faire du Brésil une puissance régionale majeure : lanceurs spatiaux, construction navale avec le concours du Français DCNS. Elle n’entend pas nécessairement subir le sort de toutes les industries de défense de l’OTAN, dominées par le complexe militaro-industriel américain, imposant ses matériels, si nécessaire sous pression. Ce n’est pas l’intérêt de la France non plus, car ses grands groupes de défense et d’aéronautique (Dassault Aviation, Airbus Helicopters…) ont beaucoup parié sur le Brésil depuis une décennie.

Au-delà de la connivence immédiate, évidente, entre deux hommes de droite décomplexée, Trump et Bolsonaro, une intégration du Brésil dans l’OTAN ne servirait donc, en définitive que les intérêts des Américains, au détriment des Brésiliens et des Européens, russes compris.

Lire aussi : Le Brésil de Bolsonaro et les relations internationales

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

Raconter l'actualité

Suivez RT en français surTelegram

En cliquant sur "Tout Accepter" vous consentez au traitement par ANO « TV-Novosti » de certaines données personnelles stockées sur votre terminal (telles que les adresses IP, les données de navigation, les données d'utilisation ou de géolocalisation ou bien encore les interactions avec les réseaux sociaux ainsi que les données nécessaires pour pouvoir utiliser les espaces commentaires de notre service). En cliquant sur "Tout Refuser", seuls les cookies/traceurs techniques (strictement limités au fonctionnement du site ou à la mesure d’audiences) seront déposés et lus sur votre terminal. "Tout Refuser" ne vous permet pas d’activer l’option commentaires de nos services. Pour activer l’option vous permettant de laisser des commentaires sur notre service, veuillez accepter le dépôt des cookies/traceurs « réseaux sociaux », soit en cliquant sur « Tout accepter », soit via la rubrique «Paramétrer vos choix». Le bandeau de couleur indique si le dépôt de cookies et la création de profils sont autorisés (vert) ou refusés (rouge). Vous pouvez modifier vos choix via la rubrique «Paramétrer vos choix». Réseaux sociaux Désactiver cette option empêchera les réseaux sociaux de suivre votre navigation sur notre site et ne permettra pas de laisser des commentaires.

OK

RT en français utilise des cookies pour exploiter et améliorer ses services.

Vous pouvez exprimer vos choix en cliquant sur «Tout accepter», «Tout refuser» , et/ou les modifier à tout moment via la rubrique «Paramétrer vos choix».

Pour en savoir plus sur vos droits et nos pratiques en matière de cookies, consultez notre «Politique de Confidentialité»

Tout AccepterTout refuserParamétrer vos choix