Algérie : le soulèvement populaire éclipse un simulacre d’élection

Algérie : le soulèvement populaire éclipse un simulacre d’élection© Ryad Krami Source: AFP
Un drapeau algérien pendant les manifestations.
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Adlène Mohammedi, géopolitologue, déplore l’absurdité d’une nouvelle candidature du président Abdelaziz Bouteflika qui a poussé les Algériens à crier leur refus et leur indignation.

Le pouvoir algérien avait pris l’habitude de se tenir à distance de la population algérienne. De la mépriser, pour dire les choses comme elles sont. Il disait tirer sa légitimité du peuple algérien, mais il s’est surtout attelé à l’exclure de la vie politique. Cette négation du peuple par les dirigeants algériens a paradoxalement davantage abîmé ces derniers que le premier : à force de s’isoler (à la fois physiquement et symboliquement) du pays, ils se sont crus dispensés du moindre effort intellectuel.

Et c’est pour cela que ce pouvoir clandestin (caché, obscur) a cru devoir humilier les Algériens une fois de trop en leur imposant encore (car la configuration était hélas la même en 2014) un homme incapable de prononcer le moindre discours. De façon assez surprenante, les Algériens – que leurs gouvernants avaient méthodiquement écartés, marginalisés, menacés – ont dit non à l’absurde. En sortant le 22 février pour crier leur refus d’un cinquième mandat, ils se sont libérés d’une torpeur encouragée par des clans qui se partagent l’État algérien depuis des décennies.

Une cryptocratie

Le système politique algérien est un système cryptocratique (dans les deux sens du terme : un pouvoir souterrain et un président sans vie) que des millions d’Algériens qui sont sortis et qui sont déterminés à sortir de nouveau (la peur commence à changer de camp) veulent conquérir et transformer. Maintenant que les gardiens de la crypte ont décidé de maintenir leur candidat fantôme, il est possible d’affirmer que l’élection est devenue un non-sujet.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas seulement l’armée qui dirige le pays. Ce sont des groupes mafieux (c’est un exemple postmoderne de ce que Norbert Elias appelait des «féodalités en concurrence», à l’origine de l’État moderne) qui se partagent diverses institutions mises au service d’un système «étatique» corrompu sans aucune autre légitimité que celle qu’il s’est lui-même octroyé.

La révolte algérienne est d’autant plus respectable que les corps intermédiaires et les principaux partis politiques sont intégrés au système cryptocratique. Comment expliquer, sinon, que le patronat et le principal syndicat du pays (l’Union générale des travailleurs algériens) se soient prononcés avec enthousiasme pour la candidature d’un homme sans vie ? Les Algériens ont dû contourner toutes sortes d’obstacles de ce type pour crier leur dégoût. Heureux d’être ensemble pour la première fois (et contrairement à ce que l’on pourrait croire, un contexte politique peut être cause de dépressions individuelles), ils se sentent vivants. La crypte est entrouverte.

Abdelaziz Bouteflika s’en va comme il est venu

Les admirateurs béats du président algérien aiment répéter – à tort – que la colère ne le vise pas. Des pseudo-experts, notamment en France mais aussi en Algérie – y compris dans les rangs de l’opposition –, veulent inventer une frontière imaginaire entre Bouteflika et ceux qui s’expriment éhontément (et avec un certain cynisme) en son nom.

Certes, les cryptocrates se sont substitués à lui selon toute vraisemblance. Ils n’ont pas eu besoin de lui pour organiser une élection frauduleuse (qui contredit à la fois le droit, la morale et la raison) et pour s’exprimer frauduleusement à sa place mais contrairement à ce que l’on répète, c’est bien son portrait que des Algériens ont fait tomber dans l’euphorie collective.

Non seulement Abdelaziz Bouteflika a participé à la création de la cryptocratie en 1962, mais il lui a donné un nouveau souffle après son grand retour en 1999. Le mépris à l’égard du peuple algérien, il était perceptible dans sa bouche dès l’élection d’avril 1999. Alors que les autres candidats, flairant la fraude et déplorant le soutien que lui apportait l’armée, se retiraient du jeu – pipé –, il réagissait dans ces termes devant les caméras de France 2 : «Si je n’ai pas un soutien franc et massif du peuple algérien, je considère qu’il doit être heureux dans sa médiocrité. […] Je sais rentrer chez moi et y rester pendant vingt ans…»

Des pseudo-experts, notamment en France mais aussi en Algérie, veulent inventer une frontière imaginaire entre Bouteflika et ceux qui s’expriment en son nom

Une fois ce soutien «massif» (en grande partie fictif, en réalité) obtenu, se rêvant en futur prix Nobel de la Paix, Bouteflika – poursuivant le travail de son prédécesseur – a présenté un projet de «concorde civile», assimilé à tort à une sorte de réconciliation nationale après la guerre «civile» (qui n’avait rien de civil), approuvé par référendum. En réalité, il n’y a jamais eu de réconciliation. On s’est contenté de pardonner aux terroristes survivants et de répandre la bigoterie à leur place. Aucun dialogue sérieux et aucune recherche de la vérité.

Halte à la déraison !

A l’irrationalité du pouvoir algérien, enfermé dans sa bulle cryptique, s’ajoute celle de beaucoup de commentateurs et d’observateurs extérieurs. Continuer à parler d’élection dans de telles conditions est déjà la preuve d’une forme d’irrationalité, d’aveuglement ou de complicité. Continuer à attribuer la moindre action ou le moindre propos à Bouteflika devrait être assimilable à une forme de folie.

A la rescousse de ce pouvoir algérien, on trouve les aveugles (quand le ministre français des Affaires étrangères parle de «laisser le processus électoral se dérouler», par exemple), mais aussi les anti-impérialistes de pacotille (à l’image des dirigeants algériens eux-mêmes, à la fois comploteurs et complotistes, et même si le risque d'ingérence est réel, le pouvoir actuel est un drôle de rempart). On retrouve ces gens si prompts à évoquer les exemples syrien et libyen (bizarrement, jamais l’exemple tunisien), à distraire les Algériens.

Heureusement, leur détermination les rend, pour l’instant, imperméables à ces distractions. Il faut dire que le pouvoir algérien s’est mis lui-même dans une impasse : il s’est rendu si détestable, si fou, si absurde, que ses victimes (les Algériens) ont du mal à concevoir pire et ses alliés ont du mal à soutenir l’insoutenable.

Les Algériens méritent mieux qu’une fausse élection présidentielle. Ils méritent de nouvelles institutions qui ne peuvent émaner que d’une constituante. C’est ainsi qu’ils prendront leur destin en main, certainement pas en faisant semblant de voter pour un fantôme ou pour ses faux adversaires.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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