Crise en Algérie : le difficile rôle d’équilibriste de Paris
Depuis l’émergence en Algérie d’une mobilisation contre un cinquième mandat d'Abdelaziz Bouteflika, la France, ancienne puissance coloniale, marche sur des œufs. Si elle assure ne pas s'ingérer dans la situation, elle ne peut y être indifférente.
Depuis l’officialisation le 10 février de la candidature du président algérien à sa propre succession, l’Algérie est le théâtre d’importantes manifestations. La perspective d’un cinquième mandat du chef de l’Etat est en effet loin de susciter l’unanimité au sein de la population et divise plus que jamais la classe politique. En cause, notamment : l'incapacité actuelle des partis traditionnels de l’opposition à incarner, aux yeux de protestataires, une alternative crédible face à un camp présidentiel déterminé à rester aux commandes du pays.
La France et l’Algérie, une relation interdépendante
En raison de son histoire commune et tumultueuse avec l’Algérie, la France peut difficilement se désintéresser de la situation dans ce pays. La présence sur son territoire d’un nombre important d’Algériens de nationalité ou d’origine est le signe tangible des liens forts qui unissent les deux pays. Au-delà des volets humain et historique, les deux pays sont également liés sur le plan économique. L’Algérie est le premier partenaire économique de la France dans la région MENA («Middle East and North Africa»). Les échanges commerciaux entre les deux pays pèsent près de cinq milliards de dollars et plus de 500 entreprises françaises y sont implantées.
En outre, même si Paris et Alger ont maintes fois affiché leurs divergences concernant la résolution de crises internationales comme en Syrie ou en Libye, leur coopération sur le plan sécuritaire demeure indispensable au regard des enjeux communs. La stabilité de l’Algérie, interface géographique entre la Méditerranée et une bande sahélienne toujours instable, constitue un sujet de préoccupation majeur pour la France et ses partenaires européens. Et ce, d'autant plus que ces derniers sont confrontés aux conséquences sécuritaire et migratoire de la déstabilisation de la Libye par l’intervention de l’OTAN en 2011.
Inquiets, l’exécutif et la classe politique française tentent de ne pas verser dans l’ingérence
La dernière réaction, le 4 mars, du Quai d’Orsay témoigne de cette volonté affichée de Paris de maintenir une position neutre à l'égard la situation algérienne : «Nous avons pris note de la candidature du président Bouteflika. Nous souhaitons que l'élection présidentielle se déroule dans de bonnes conditions. C'est au peuple algérien qu'il appartient de choisir ses dirigeants et de décider de son avenir.» Pour autant, les autorités françaises ne peuvent cacher leurs préoccupations. Comme le rapporte l’AFP, le chef de l'Etat français s'est entretenu au téléphone le 26 février avec l'ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, pour évoquer la situation dans le pays. Il lui a notamment demandé de se rendre à Paris le lendemain pour qu’il rencontre le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
De même source, on apprend en outre que les manifestations en Algérie ont été abordées en Conseil des ministres français. A cette occasion, le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a fait par de sa «grande vigilance».
«C'est un vrai sujet. Je pense que c'est le plus gros "objet" politique des prochains jours et semaines, sur fond d'élections européennes. Ça mobilise en temps le président de la République et le Premier ministre», a confié à l’AFP un ministre dont l'identité n'a pas été révélée. «Instabilité, questions de sécurité, immigration, questions économiques, ressenti et comportements de nos compatriotes franco-algériens...» : selon lui, les éventuelles répercussions de cette crise sont nombreuses.
Cette attention portée à l’Algérie gagne également une partie de la classe politique française. «Une déstabilisation du régime algérien entraînerait une submersion migratoire sans précédent sur l'Europe, donc c'est l'affaire de la France», a averti ce 4 mars, sur France 2, Jordan Bardella, chef de file du Rassemblement national (RN) pour les prochaines élections européennes. De son côté, le député socialiste Luc Carvounas, vice-président du groupe parlementaire d’amitié France-Algérie, s’est dit le même jour sur Sud Radio «très inquiet» et «très attentif et vigilant» face à la situation algérienne.
Dans ce contexte, Paris est contraint de peser chacun de ses mots. Une critique à l’encontre des autorités algériennes serait perçue comme une ingérence, un silence serait quant à lui interprété par les adversaires d’Abdelaziz Bouteflika comme un appui implicite des autorités française à ce dernier. Sur la scène politique française également, la politique du Quai d'Orsay vis-à-vis de la situation algérienne est scrutée de près. En d'autres termes : un positionnement tranché de la France pourrait occasionner de profonds remous en Algérie, mais également en France...
Malik Acher