Nadia Le Brun est journaliste, écrivain et consultante auprès de groupes de presse. Elle a dirigé plusieurs titres nationaux et elle écrit actuellement des livres d’investigations.

Les Misérables : le retour

Les Misérables : le retour© Philippe Wojazer Source: Reuters
A Paris, un sans-abri est assis sur des couvertures posées à même le sol.
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Réagissant au plan pauvreté annoncé par le gouvernement, la journaliste et écrivain Nadia Le Brun revient sur la paupérisation de la société française au cours des 40 dernières années et la méconnaissance d'Emmanuel Macron de cette dernière.

«Misère, misère! Peut-être qu’un jour ton président sentant monter notre colère. Misère, Misère ! Alors, il s’en mordra les dents,» chantait Coluche en 1978. Pourtant, cette année-là, les Français étaient bien mieux lotis qu’aujourd’hui. Le taux de croissance était de 4%. La France comptait moins de 1,4 million de chômeurs. En 1979, selon l’INSEE, il y avait 1,213 million de ménages pauvres.

Quarante ans plus tard, ce sont 8,8 millions de Français qui vivent sous le seuil de pauvreté – avec 1 026 euros par mois en 2016. Selon une étude du ministère de la Santé réalisée la même année, 4,15 millions de personnes touchaient des minima sociaux comme le RSA, le minimum vieillesse, l’allocation aux adultes handicapés…

Avec un record de 5,66 millions de chômeurs, c’est donc plus de 10 millions de personnes qui vivent dans la précarité. La situation est alarmante, la nation pessimiste, l’ambiance morose, l’atmosphère anxiogène. Un constat désolant que chacun d’entre nous fait tous les jours. Une déprime française confirmée par le sondage Odoxa pour RTL du 27 septembre dernier où 86% des Français estimaient avoir perdu du pouvoir d'achat dans les douze derniers mois, et 82% prévoyaient en perdre dans l'année qui vient. A juste titre, avec la hausse de la CSG, et celle du prix des carburants – un plein coûte en moyenne 100 euros !

Si par le passé, nos politiques en place savaient que la mondialisation avait un coût, celui de sacrifier la classe ouvrière, il s’avère que l’idéologie libérale et sans doute l’opportunisme électoraliste de nos gouvernants ont appauvri d’autres catégories socio-professionnelles comme les agriculteurs, artisans, commerçants et chefs d'entreprise également touchés par la pauvreté à 23%, toujours selon l’INSEE.

Une personne sur cinq déclare ne pas être en mesure de s’alimenter sainement.

Malgré les prestations et protections sociales dont nous bénéficions en France, parmi les 1,8 millions de familles monoparentales, 34,9% sont défavorisées. En France, trois millions d’enfants sont touchés par le fléau de la pauvreté. Seuls 5% d’entre eux sont accueillis à la crèche contre 22% des plus favorisés, ce qui les pénalise au niveau du langage et entraîne d’autres problèmes : à l’âge de quatre ans, ils ont entendu 30 millions de mots de moins que les enfants issus de milieux aisés ; ils ont six fois plus de caries que les autres. Et pour cause. Quand on sait qu’une personne sur cinq déclare ne pas être en mesure de s’alimenter sainement – c’est-à-dire de faire trois repas par jour – selon le baromètre du secours populaire ; que 19% des parents reconnaissent ne pas  avoir les moyens de payer la cantine ; ou que les plus précaires renoncent aux soins médicaux, on attend beaucoup du plan pauvreté annoncé en septembre dernier par le gouvernement.

Le président Macron débloque ainsi une enveloppe de 8 milliards d’euros pour les quatre prochaines années, avec des aides dirigées vers la petite enfance, des subventions accordées aux enfants dans les cantines ou l’annonce d’un revenu universel d’activité… déclarant toutefois : «Si nous voulons que la pauvreté ne soit plus une impasse définitive, nous devons aussi permettre à tous de retrouver le chemin du travail, […] parce que le travail procure un salaire, un revenu, bien sûr, parce qu’il ouvre la porte à une vie sociale plus dense, plus riche, parce qu’il donne une fierté, une place dans la société et qu’il permet l’émancipation et la mobilité sociale.» En d’autres termes, sa stratégie de lutte contre la pauvreté passera par l’emploi.

Qu’en pensent les Français lorsqu’on les interroge sur le positionnement du président ? Force est de constater qu’ils sont désabusés et n’accordent plus aucun crédit à ses déclarations, au regard des coupes budgétaires prévues dans le projet de loi de finances 2019, avec notamment la suppression de 2 100 conseillers de la caisse d’allocations familiales et de 800 conseillers à Pôle Emploi… Ils s’estiment laissés pour compte et voient derrière ce plan de pauvreté, une manœuvre  politique.

Au fur et à mesure que mon patron milliardaire s’enrichit, nous, ses salariés, nous nous paupérisons.

Tiago, employé dans un supermarché : «Je fais partie des nouveaux pauvres. J’ai toujours travaillé pour nourrir ma famille mais je n’arrive plus à joindre les deux bouts. Ce plan pauvreté me donne l’impression d’une charité publique. Je suis dans la même boîte depuis plusieurs années sans avoir été augmenté. Au fur et à mesure que mon patron milliardaire s’enrichit, nous, ses salariés, nous nous paupérisons. C’est un problème de fond auquel le président des riches ne risque pas vraisemblablement de s’attaquer.»

«La crise a bon dos, réagit Sylvie. Je bosse pour une grande enseigne qui profite du système en me faisant cumuler des CDD, espacés de périodes de  chômage. C’est illégal mais faute de boulot ailleurs, je n’ai pas d’autre choix que d’accepter. Je gagne 1 150 euros, j’ai deux heures de trajet par jour, j’élève, seule, mes deux enfants, je perçois des aides sociales mais je suis pauvre. Heureusement que mes parents, malgré leur faible revenu, m’aident.»

«Qu’est ce qu’il croit, Macron ? Que les Français préfèrent être assistés plutôt que de travailler ?», s’emporte Daniel, retraité, qui bricole à gauche à droite pour subvenir aux besoins de sa mère en  maison de retraite. Depuis 2012 où il a été conseiller à l’Elysée, ministre de l’Economie puis président, on voit bien que sa politique néo-libérale n’a donné aucun résultat. Qu’il revoit sa feuille de route, afin d’augmenter la croissance pour plus d’emplois, des salaires décents et une mobilité qui fonctionne… Au lieu de s’en prendre au petit peuple, il devrait exiger notre dû à des groupes comme Airbnb qui ne paie que 161 000 euros d’impôts en France ou Google, Facebook, Amazon, Apple qui font leur beurre sur notre dos sans respecter les lois fiscales de notre pays. Son plan de 8 milliards, c’est un ajustement et certainement pas la solution pour redynamiser la société française.»

La colère gronde. Le clivage entre une France d’en haut et une France d’en bas revient dans toutes les bouches à l’évocation d’Emmanuel Macron. L’inquiétude s’exprime dans notre territoire où la pauvreté touche autant la population, où le niveau du chômage concerne 1/3 des actifs, où le nombre d'allocataires du RSA et autres aides sociales atteint des records. Sans parler du socle majoritaire représentant les classes moyennes qui se précarise et dont les conditions de vie se détériorent. Cette  catégorie qui intégrait l’ouvrier au cadre est désormais déclassée, désorientée, appauvrie. Cependant, les politiques s’adressent à elle comme à des cadres sup sans avoir perçu, entendu, compris sa mutation.

La démocratie n’est pas une entreprise, et ne se gère pas comme telle.

Cette méconnaissance de la majorité des Français n’augure rien de bon pour la démocratie qui n’est pas une entreprise, et ne se gère pas comme telle. Le peuple attend du chef de l’Etat écoute et prise de conscience de ses réalités. Il espère confiance et protection. Il veut le voir mener un projet politique équitable, plus ambitieux que celui, désuet de la mondialisation et du libéralisme ; il souhaite voir déminer les zones de non droit et dynamiser les régions où la pauvreté est concentrée ; en un mot réguler l’économie et les flux migratoires. Agir et fédérer. Pour aspirer à un avenir meilleur.

Lire aussi : «Quel mépris !», «une honte !» : les politiques fustigent l'échange entre Macron et un jeune chômeur

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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