Au lendemain de l'élection de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil, le géopolitologue Alexandre Del Valle revient sur son ascension et sur la façon avec laquelle il a été traité par la classe politico-médiatique.
Le moins que l’on puisse dire est que le vainqueur de l’élection présidentielle brésilienne, Jair Messias Bolsonaro, chef du parti social-démocrate (PSL), le «Trump brésilien», présenté en Occident comme un dangereux «populiste d’extrême-droite» ou un «nostalgique de la dictature militaire», un «climato-sceptique dangereux pour la planète», ne laisse pas indifférent. Cet ancien capitaine de l’armée, resté pendant trente an un député sans histoire du centre-droit, rivalise désormais avec Donald Trump, Victor Orban, Matteo Salvini ou Vladimir Poutine en tant que diable politiquement incorrect.
Mal connu en Occident, Bolsonaro est un véritable phénomène de société au Brésil. En fait, sa popularité a commencé à croitre au milieu des années 2010 lorsqu’il a pris la tête de la lutte contre la présidente Dilma Roussef et le parti des Travailleurs (PT), créé par l’ancien président Lula da Silva. Ce dernier est aujourd’hui emprisonné pour corruption et Roussef a été destitué en 2017 pour des raisons similaires. A l’opposé, l’ex-militaire Bolsonaro, aux propos souvent radicaux, mais connu pour sa probité, n’a fait que répondre, dès 2014, aux millions de Brésiliens exaspérés par la corruption, l’insécurité inouïe (64 000 homicides annuels…) et la grave crise économique dont le PT serait le premier responsable. En fait, ceux qui qualifient Jair Bolsonaro de «fasciste», «raciste», «misogyne» et «homophobe» en raison de ses provocations verbales souvent d’ailleurs citées hors de leur contexte ou exagérées, ne peuvent comprendre par cette seule posture moraliste, les raisons profondes du rejet du PT et du succès de cette nouvelle droite souverainiste, sécuritaire, chrétienne, libérale-conservatrice et politiquement très incorrecte dont le programme fédérateur est explicite : «Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous. »
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Brésil d’abord, valeurs chrétiennes, privatisations et guerre à la corruption
Le slogan de campagne de Jair Bolsonaro rejoint en partie celui de Donald Trump : «America First ; Make America Great again», avec certes un clin d’œil encore plus direct aux églises évangéliques et catholiques-traditionnalistes désormais aussi puissantes au Brésil qu’aux Etats-Unis. Le programme économique clairement «libéral-conservateur» de Jair Bolsonaro, qui le différencie des populistes étatistes (comme le gouvernement Conte-Salvini-Di Maio en Italie ou Marine Lepen et Nicolas Dupont-Aignan en France), consiste à : réduire la dette de 20% au moyen de privatisations massives ; créer un système parallèle de retraite par capitalisation accompagnée d’une réforme générale ; mettre en place un super-ministère de l’économie qui regrouperait Finances et Industrie, rendre la banque centrale légalement indépendante ; réduire la taille et les dépenses de l'État-Providence. Ce programme a tout pour plaire aux milieux d’affaires qui l’ont d’ailleurs plébiscité, ce qui a compté pour faire barrage au candidat du PT Fernando Haddad.
En matière de sécurité, Bolsonaro est encore plus clivant, lui qui propose de «faire la guerre au crime» en abaissant la majorité pénale de 18 à 17 ans, en permettant aux policiers de bénéficier d’une protection juridique s'ils tuent des suspects avec leur arme en service, en faisant qualifier de «terrorisme» les «invasions de propriétés rurales ou urbaines», puis en généralisant le droit au port d’armes et en facilitant la légitime défense, d’où son geste de campagne devenu fameux sur les réseaux sociaux : les index des deux moins pointés en signe de tir de révolver contre les voyous. Pour ce qui est de l’éducation, le candidat veut lutter contre l’endoctrinement marxiste et la «sexualisation précoce», en référence aux théories du genre et au cours d’éducation sexuelle promus dans les écoles par le PT. En août dernier, il avait convaincu des millions de Brésiliens en brandissant sur un plateau de télé le Guide du zizi sexuel de Zep en dénonçant ce «kit gay» distribué dans les écoles comme «une porte ouverte vers la pédophilie». En chrétien-conservateur, il a aussi promis d'opposer son veto à tout assouplissement de la loi sur l'avortement déjà restrictive puisqu’au Brésil, l'IVG n'est autorisée qu'en cas de viol, de risque pour la mère ou de malformation grave du cerveau du fœtus. Enfin, en proposant de « favoriser l'agrobusiness», donc la poursuite de la déforestation, il a également réussi à scandaliser les milieux environnementalistes. Toutefois, cet ennemi absolu de la corruption doit surtout son succès à sa probité, à son idée de former un «gouvernement de techniciens compétents et non-corrompus», à l’image de son futur ministre de l’économie, Paulo Guedes(diplomé de l’université de Chicago et disciple de Milton Freedman). D’où également sa proposition de rendre impossible les nominations de politiciens à la tête de grandes compagnies, comme cela était le cas lorsque les anciens présidents Lula et Roussef nommaient des ministres de la culture à la tête d’industries minières…
Au-delà des polémiques, que propose le nouveau #président du #Brésil, Jair #Bolsonaro ?
— RT France (@RTenfrancais) 28 octobre 2018
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«PT dehors» ou la fin du «lulopétisme»
Le secret de la victoire de Jair Bolsonaro tient en fait au rejet massif du «parti-Etat» (PT) mis en place dès les années 1990 par Lula et Roussef, et dont le rival de Bolsonaro, Fernando Haddad (PT), était l’héritier. Ce vaste mouvement de «dégagisme» a poussé dans les rues des millions de Brésiliens déterminés à empêcher à tout prix la victoire de Haddad. Les millions de Brésiliens de toute catégorie sociale qui ont manifesté ces dernières semaines aux cris de «PT Fora» («le PT dehors»), reprochent au parti et à ses figures son hyper-corruption; sa «complicité avec le Crime», qui fait du Brésil un des pays les plus violents du monde ; son étatisme et son fiscalisme, qui ont découragé les entreprises et paupérisé le pays ; son hostilité envers les valeurs chrétiennes et la famille traditionnelle, et sa complicité avec les Narco-Etats (Bolivie), les organisations terroristes (FARC colombiennes) et les derniers Etats communistes Continent (Cuba, Vénézuéla). Jair Bolsonaro n’a d’ailleurs jamais manqué une seule occasion de rappeler que l’ex-présidente Dilma Roussef (PT) fut elle-même dans sa jeunesse une cadre du mouvement terroriste «Grupo Vanguardia», et qu’elle participa à la guérilla non pas en «réaction» à la dictature militaire mais en militante révolutionnaire pro-cubaine. Un de ses anciens compagnons de guérilla, Fernando Gabeira, l’a souvent rappelé.
L’une des premières dérives du PT et de Lula qui scandalisa les classes moyennes fut de détourner la Banque brésilienne d’Etat BNDES (banco nacional do desenvolvimento), créée au départ pour financer les petites et moyennes entreprises, et d’investir ses fonds en investissant dans des infrastructures à Cuba ou au Vénézuéla par «solidarité idéologique»… Selon les électeurs de Bolsonaro, le «Parti-Etat PT» aurait plongé ce pays jadis plein d’espoir et à la croissance économique enviée par tous dans la pire crise économique depuis les années 1940 : chômage de masse, assistanat, clientélisme, prébendes politico-administratives, manne pétrolière source de corruption. Dans un article intitulé A agonia da esquerda brasileira («l’agonie de la gauche brésilienne», 21 octobre), le chroniqueur brésilien José Augusto Filho a défini le système du Parti des Travailleurs de Ignacio Lula, le «Lulopétisme», qui consista à « octroyer de garanties et des droits sans jamais se préoccuper de la façon dont allait payer tout cela. Ceci allait être fatal : un jour ou l’autre viendrait la facture, elle celle-ci est arrivée sous la forme de la plus grande crise économique jamais traversée dans l’histoire du Brésil […]. Le responsable direct de cette catastrophe est le Parti des Travailleurs de Lula da Silva», conclut sévèrement le chroniqueur. Pour nombre d’électeurs de Bolsonaro, les dirigeants du PT seraient également coupables d’avoir démantelé les valeurs nationales chrétiennes-conservatrices du Brésil («Ordem e Progresso», «Ordre et Progrès») en promouvant les théories du genre, le mariage gay, en soutenant des mouvements subversifs puis en créant une «culture de l’excuse» en faveur des criminels. Pour une majorité de Brésiliens qui exigent une alternance radicale, le «lulopetismo», assumé par le candidat PT Fernando Haddad, a agi comme un véritable repoussoir.
La fin de l’hégémonie du PT au Brésil aura des conséquences dans tout le continent latino-américain
Un parti adepte d’un projet révolutionnaire global : le forum de Sao Paolo
Souvent présenté comme un parti de gauche «respectable», quasi social-démocrate, le Parti des Travailleurs, mélange de théologie de la Libération (gauche tiers-mondiste catholique) et de marxisme-révolutionnaire trotskisant, n’est en réalité ni un parti «modéré» de centre-gauche ni un mouvement irréprochable. Au départ, l’idée du PT consistant à faire sortir les gens de la pauvreté partait d’une bonne intention et cela explique qu’une partie de l’Eglise et nombre de personnalités respectables l’aient rejoint. Mais une fois arrivé au pouvoir, Lula montra un autre visage, plus idéologique et oligarchique, lorsque la fraction la plus radicale l’emporta. Évènement curieusement jamais évoqué dans la grande presse en Europe, Ignacio Lula Da Silva, le créateur du PT, actuellement emprisonné et présenté de ce fait comme une victime, est lui-même un militant de la première heure de la gauche radicale-révolutionnaire et un admirateur de modèle castriste cubain. C’est dans cet esprit qu’il fonda, en 1990, avec Fidel Castro, le «Forum de Sao Paulo», l’une des plus grandes organisations politiques révolutionnaires d’Amérique latine, sorte d’«internationale» rouge qui rassemble Etats et organisations rouges et qui a des contacts assumés avec des entités narcoterroristes communistes comme les FARC colombiennes ou le MIR chilien.
De ce fait, la fin de l’hégémonie du PT au Brésil aura des conséquences dans tout le continent latino-américain, surtout au moment où trois autres pays-phare du gauchisme continental, Cuba castriste, le Vénézuéla de Chavez-Maduro et le Nicaragua de Daniel Ortega, déclinent, avec la tournure dramatique que l’on sait au Vénézuéla. Augusto Filho observe ainsi que «la déroute du "Lulopetismo" va entraîner celle de l’ensemble du système politique brésilien du PT qui, depuis des années, a été la principale force de gauche du continent». D’où l’extraordinaire campagne de diabolisation intentée par les responsables du PT et les médias pro-Haddad au «fasciste Bolsonaro» durant toute la campagne. Pour nombre de militants d’extrême-gauche, l’enjeu est tel que la violence pourrait être une alternative au «péril populiste d’extrême-droite», d’où la tentative d’assassinat de Jair Bolsonaro par un militant de gauche et les nombreuses menaces d’attentats qui ont expliqué en partie le peu de meetings du candidat, par ailleurs obligé de suivre une stricte convalescence. Malgré cette violence terroriste dont il a été la cible, c’est exclusivement Bolsonaro, leader du Parti Social Libéral, aux antipodes de l’idéologie fasciste, qui a été systématiquement qualifié «d’extrémiste», de «violent». Une inversion à méditer.
Plus Bolsonaro a été nazi-fascisé par le parti PT bien plus honni que lui, plus il a présenté les attaques comme des "galons"
«Nazi-Fasciste-misogyne-raciste-homophobe-populiste» ?
Bolsonaro n’est pas un roi de la communication malgré son incroyable succès sur les réseaux sociaux qui l’ont connecté avec le peuple. Il ne manie pas bien l’intrigue et il a conservé la rigidité, la franchise naïve des officiers, d’où les pièges dans lesquels il est tombé et qu’ont exploité ses détracteurs. On peut rappeler par exemple le cas d’école d’inversion-manipulation de la dispute de Bolsonaro avec la députée de gauche Maria Do Rosario qui, suite à un viol suivi de mort d’une fille par un mineur, l’avait mis hors de lui en l’accusant de «favoriser la violence» et «d’être un violeur» alors qu’il exigeait un durcissement des peines pour les violeurs et qu’il réclamait d’abaisser la majorité pénale pour les délinquants mineurs comme le violeur en question. Bolsonaro répondit : «Jamais je ne vous aurais violé car vous ne le mériteriez pas.»
Depuis que la vidéo qui date de 2003 a été opportunément exploitée durant la campagne, la presse présente systématiquement Bolsonaro comme un «misogyne». On rappellera en passant que les deux femmes les mieux élues aux dernières législatives sont de son parti : Janaina Pascual, la juriste qui initia l’impeachment contre Dilma Roussef, et Joyce Hasselmann, la journaliste qui tient la chaîne web politique la plus visitée du pays. A propos du supposé «racisme anti-noir» du capitaine, on rappellera en passant que le candidat le mieux élu à Rio aux dernières élections législatives est le célèbre député noir Hélio Fernando Barbosa Lopes, alias «Hélio Negao», qui le soutient corps et âmes et qui ne cesse de faire des vidéos avec lui.
Pour comprendre la «guerre des représentations» qui a prévalu dans cette violente campagne, on rappellera ce fait parmi tant d’autres : le 7 octobre dernier, deux jours après le premier tour de l’élection, une jeune militante LGBT avait accusé des militants pro-Bolsonaro d’être les auteurs de l’agression qu’elle avait subie et de lui avoir lacéré une croix gammée sur le ventre. On sait aujourd’hui que la jeune militante a inventé «l’attaque nazie», la police ayant prouvé qu’elle s’était automutilée pour diaboliser le camp adverse… L’intox a fait le tour des médias et des réseaux sociaux du monde entier. Fernando Haddad, candidat du PT, trop content d’y trouver LA «preuve» des liens entre Bolsonaro et des «groupes nazis», a exploité au maximum ce mensonge avant de recevoir la moindre preuve d’une implication des supporteurs de Jair Bolsonaro, de ce fait soumis à la reductio ad hitlerum. Mais au Brésil, à la différence de la Vieille Europe culpabilisée, c’est l’effet contraire qui a été produit : plus Bolsonaro a été nazi-fascisé par le parti PT bien plus honni que lui, plus il a présenté les attaques comme des «galons», suivant en cela le conseil de Steve Bannon : «Prenez les accusations de fascisme come des galons, ne vous justifiez pas, c’est leur fonds de commerce.»
Il est vrai qu’au Brésil, où ce qui traumatise les masses ne sont pas les insultes mais les 64 000 homicides annuels et donc l’insécurité endémique, peu d’électeurs de droite et du centre tentés de voter pour «Jair» se sont laissés impressionner par ce genre de «guerre des représentations». De la même manière, Fernando Haddad, qui – dans une sorte de reproche-miroir – accusait Bolsonaro de lancer des «fake news», n’hésita pas non plus à reprendre à son compte les accusations fallacieuses du chanteur Geraldo Azevedo qui avait affirmé que le colistier de Jair Bolsonaro, le général Mourao, avait été l'un de ses tortionnaires sous la dictature militaire. Le général en question était adolescent à l'époque de la dictature… Depuis, le chanteur a admis une «erreur»… En fait, ces attaques contre Bolsonaro ne doivent rien au hasard : la classe politique brésilienne a peur que la police fédérale fasse le ménage si «monsieur-propre» arrive au pouvoir. On comprend cette crainte de l’establishment sachant que 40% des hommes politiques sont sous enquête, que beaucoup pourraient rejoindre Lula en prison, et que même le président sortant, Michel Temer, n’est pas à l’abri d’un emprisonnement.
Insécurité endémique : plus d’assassinats au Brésil que de morts de la guerre civile en Syrie…
Les Brésiliens reprochent au PT d’être responsable de l’incroyable insécurité qui fait de ce pays l’un des plus violents au monde : d’après l’Atlas 2018 de la violence publié par le Forum Brésilien de Sécurité Publique (FBSP), 553 000 personnes seraient décédées par meurtre au Brésil entre 2006 et 2016. Depuis 2016, la hausse aurait culminé à 64 000 assassinats par an ! Et le phénomène des braquages collectifs (arrastào), digne des pires westerns, créent des vagues de paniques jusque sur les plages d’Ipanema. Jair Bolsonaro est devenu naturellement populaire en faisant de la «guerre contre le crime» son principal axe de campagne. Et il a durement secoué la légitimité du PT en affirmant que Lula, Roussef et Haddad ont favorisé les syndicats du crime comme Primer Comando de Capital ; Comando Vermelho ou d’autres gangs. Bolsonaro reproche au PT son idéologie «anti-répression», sa critique permanente de la police, et il touche le point faible de la gauche quand il rappelle que durant les années Lula-Roussef, les policiers obligés d’utiliser leurs armes contre les voyous étaient traînés devant la justice, d’où sa proposition-phare (choquante en Europe), d’exempter les forces armées et la police de poursuites judiciaires dans des certains cas, ce qui n’a pu qu’horrifier les partis de gauche, passés maîtres dans la culture de l’excuse et de la «responsabilité sociale» du crime...
Rappelons qu’après des années de laxisme judiciaire instauré par le PT, un homme qui n’a pas d’antécédent ne va presque jamais ou très peu de temps en prison, même s’il a poignardé quelqu’un – comme l’assaillant de Bolsonaro. Beaucoup de Brésiliens estiment que ces failles ont incité les cartels du crime à recruter chez les mineurs, «légalement» impunis. D’où la proposition de Bolsonaro visant à abaisser l’âge des peines à 17 ans et à les renforcer. Rappelons en passant que lorsqu’il était aux commandes, le PT fit voter une loi qui permet aux prisonniers de recevoir un pécule plus élevé que le salaire minimum, le but cynique étant de fidéliser des électeurs. En fait, le déni des préoccupations sécuritaires dont fait preuve la gauche explique en grande partie la déroute de Fernando Haddad et du PT, qui ont semblé dénoncer plus durement les propos «fascistes» de Bolsonaro que le fléau de l’insécurité qui obsède la majorité des Brésiliens, trop souvent pris de peur lorsqu’ils sortent dans la rue.
Son ascension remonte même à l’époque où il avait pris la tête de la lutte acharnée contre le PT et Dilma Roussef au sein du Parlement
Réseaux sociaux versusmédias officiels
Défavorisé durant la campagne dans les médias officiels, par rapport à son rival « bien-pensant » Haddad, chouchou du show bizz, du journal O Globo et des TV mainstream, Jair Bolsonaro a su miser presque exclusivement, comme Trump aux Etats Unis, sur les réseaux sociaux. Ces nouveaux moyens de communication asymétriques, concurrents de la presse classique, ont assuré un succès incroyable au candidat «alternatif» (dans tous les sens du terme). On dit qu’il aurait été conseillé par le chantre de «l’internationale populiste», Steve Bannon, artisan de la victoire de Donald Trump grâce notamment aux réseaux sociaux. En réalité, l’équipe Bolsonaro n’a pas attendu Bannon pour s’emparer de la com' web. Un seul exemple permet de mesurer l’efficacité de la stratégie web de Bolsonaro : lorsqu’il était à l’hôpital après avoir été poignardé en pleine foule par un militant de gauche, une seule vidéo diffusée sur la toile improvisée dans sa chambre de soin rencontrait plus de succès que les chaînes officielles qui perdaient alors des millions de téléspectateurs! Précisons à ceux qui affirment que le candidat ne devrait sa victoire qu’à son statut de victime d’une tentative d’assassinat que le «phénomène Bolsonaro» est né bien avant l’agression : dès 2016 déjà, « Jair » était devenu très populaire sur le net et dans les quartiers de toutes les villes qu’il a arpentés sans relâche depuis 2015. En 2015-2016, lorsqu’il allait visiter chaque jour le pays en pleine ébullition anti-PT, Bolsonaro était accueilli par des milliers de personnes en liesse, un peu comme Salvini en Italie. Son ascension remonte même à l’époque où il avait pris la tête de la lutte acharnée contre le PT et Dilma Roussef au sein du Parlement.
Ces Eglises évangéliques ont soutenu corps et âme Bolsonaro comme elles ont fait élire Donald Trump
Une révolution conservatrice ?
Outre l’insécurité, le second thème qui a fait le secret de l’ascension de Bolsonaro a été celui des valeurs chrétiennes-conservatrices : défense de la famille, refus de la théorie du genre, du mariage gay, de la tyrannie des minorités et de l’anticléricalisme de la gauche. D’une certaine manière, la vague «populiste» qui a porté Bolsonaro s’apparente à une «révolution conservatrice» qui précède et dépasse le candidat, lequel n’a fait que l’incarner, mais qui grandit dans la population depuis des années. Les masses de Brésiliens – bien plus conservateurs que l’on croit – qui ont voté en faveur de Jair Bolsonaro ont voulu dire non à l’excès de progressisme sociétal du PT qui leur semblait menacer les valeurs chrétiennes et familiales et qu’ils ont vu comme une diversion destinée à empêcher de répondre aux vrais défis : manque de croissance, pauvreté galopante, insécurité. Cet appel à défendre les valeurs chrétiennes, conservatrices et patriotiques n’est pas seulement porté par les militaires, la droite catholique et les classes moyennes-blanches du sud, mais aussi les 40% des chrétiens protestants-évangéliques du Brésil. Ces Eglises évangéliques, très prosélytes, qui ont convertis des millions de Brésiliens modestes ces dernières décennies, ont mis tout leur poids mobilisateur dans ces élections. Elles ont soutenu corps et âme Bolsonaro comme elles ont fait élire Donald Trump. On peut citer par exemple le Parti républicain brésilien (PRB), formation chrétienne-évangélique liée à la très puissante Église universelle du «royaume de Dieu», qui a mis tout son poids en faveur de «Jair». Ces églises évangéliques représentent aujourd’hui 35 % des Brésiliens. Leur vision du monde sont voisines de celles de l’aile évangélique du Tea Party américain. Leur exigence de retour de la morale familiale et leur «théologie de la prospérité», qui prend le contre-pied de la vieille «théologie de la Libération» gauchiste de l’Eglise brésilienne post-Concile chère au PT, a été largement prise en compte par le catholique Bolsonaro.
La question sociale, point faible de Bolsonaro ?
Quand «Jair» et son équipe ne sont pas traités de «fascistes-racistes-misogynes-homophobes», le PT les accuse d’incarner l’autre bête-noire obsessionnelle de la gauche tiers-mondiste que serait le «néolibéralisme», le monde de «la haute finance» et des «patrons», presque aussi honnis que les forces de l’ordre. Et c’est là aussi, comme tous les procès en sorcières lancées contre le candidat «populiste», l’un des secrets de sa victoire. Je me rappelle d’un témoignage, en 2010, d’un dirigeant d’une grande société brésilienne de construction, A. Lindenberg, qui expliquait, déconcerté : «Dans ce pays, faire tourner une entreprise dans le secteur privé ne peut se faire que malgré le gouvernement…»
Cette idée est plus que partagée par des millions d’artisans, créateurs d’entreprises, dirigeants, professions libérales, indignés d’être diabolisés par une gauche démago qui déteste les «patrons» mais adore les prébendes et qui n’a cessé d’écraser les créateurs de richesses de taxes et prélèvements obligatoires en tout genre. Pourtant, les services de l’Etat-Providence ne garantissent pas le minimum vital régalien : sécurité des personnes, justice dissuasive et défense de la propriété privée. Pour autant, contrairement à ce qui a été parfois dit, le projet de Bolsonaro et de son ministre de l’économie, Paulo Guedes ne consiste pas à démanteler d’un coup les politiques d’aides aux pauvres. Sur ce point, Bolsonaro, qui a parfois recadré ses collaborateurs, notamment le général Hamilton Mourao et son futur ministre de l’économie lui-même, a bien annoncé durant sa campagne qu’il n’est pas un «néo-libéral», mais un libéral-conservateur, qu’il ne compte aucunement supprimer les aides aux plus démunis mais plutôt remplacer graduellement l’assistanat par des emplois générateurs de richesse et donc de dignité.
Conclusion : « malédiction du pétrole » versus thérapie de choc
Le PT a fait les mêmes erreurs que le Vénézuela ou l’Algérie : sous sa gouverne népotiste et socialiste, le Brésil est resté trop dépendant de la manne pétrolière, qui a de ce fait éclipsé les autres activités et qui est devenue l’épicentre de la corruption. Cela a valu à Lula son incarcération (affaires liées à la société nationale Petrobras). Le Brésil a été trop exposé au cours mondial du baril et donc aux exportations de matières premières, au lieu de développer les services et de diversifier son économie, comme l’ont fait les pays producteurs de la Mer du Nord. La chute du cours du baril a littéralement achevé l’économie brésilienne agonisante dans les années 2013-2016. La croissante n’a cessé de ralentir, les recettes ont baissé et l’industrie non suffisamment modernisée est devenue de moins en moins compétitive. La corruption endémique et les réseaux de distribution de prébendes allouées par «l’Etat-PT» sont devenus le «modèle» économique du pays au point de déclencher une vague de procès sans précédents. Rappelons seulement que 40% des députés brésiliens sont soit sous enquête soit inculpés dans ces affaires de corruption, la plupart étant issus du PT. La promesse de Bolsonaro de «faire le ménage», de «dégager» la classe politicienne corrompue, et d’appliquer une «thérapie de choc» libérale alliée à une diversification, a été littéralement plébiscitée par des millions de Brésiliens. Une nouvelle ère commence dans le plus grand pays d’Amérique du Sud. Bolsonaro sera-t-il aussi «dangereux» que tous les médias l’annoncent ? «Le pire n’est jamais certain!» Et puis le Pape Jean Paul disait cette phrase si sage : «N’ayez pas peur !»
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