John Laughland est un universitaire britannique spécialisé en géopolitique et philosophie politique. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages traduits en sept langues.

Pourquoi les manifestations en Iran font-elles tant rêver l'Occident ?

Pourquoi les manifestations en Iran font-elles tant rêver l'Occident  ?© Monica Almeida Source: Reuters
Des Américains à Los Angeles soutenant les manifestations anti-gouvernement en Iran.
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Les stratèges américains poursuivent toujours le même agenda en Iran depuis 1953. L’historien John Laughland montre comment tous les éléments sont désormais rassemblés pour une nouvelle tentative de «révolution téléguidée» depuis les Etats-Unis.

Selon l'anthropologue René Girard, les hommes commencent à se ressembler quand ils se battent. Le désir mimétique, qui est à l'origine de tout conflit social, et dont l'évacuation est nécessaire pour la paix, fait que les ennemis deviennent presque identiques les uns aux autres.

Lorsque des manifestations anti-régime ont éclaté en Iran fin décembre, elles ont reçu le soutien inconditionnel du gouvernement américain. L'ambassadrice américaine aux Nations unies, Nikki Haley, s'est exprimée avec véhémence sur ce sujet. Pour elle, «le peuple iranien» veut la liberté tandis que le régime étouffe toute opposition, y compris en tuant ses ennemis.

L'affirmation selon laquelle les manifestations auraient été dirigées par les ennemis de l'Iran n'est pas totalement sans fondement, d'autant plus que le département d'Etat lui-même se vante d'avoir communiqué avec les manifestants

Dans ses interventions, madame Hailey a insisté sur le caractère «complètement spontané» des manifestations, et ceci pour réfuter l'affirmation de Téhéran qu'elles auraient été téléguidées par les ennemis de l'Iran à l'étranger. Le régime iranien accuse notamment le Conseil national de la résistance iranienne d'en être à l'origine — et de n'être rien d'autre que l'aile politique de l'Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI ou MEK en persan), une milice armée qui s'oppose à la République islamique. Les deux organisations sont basées à Paris. L'OMPI a effectivement été classée comme terroriste par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Conseil de l'Europe, à différentes reprises et selon l'humeur politique du moment.

Or, l'affirmation selon laquelle les manifestations auraient été dirigées par les ennemis de l'Iran n'est pas totalement sans fondement, d'autant plus que le département d'Etat lui-même se vante d'avoir communiqué avec les manifestants, pour exprimer son soutien, via ses comptes Twitter et Facebook.

Le sous-secrétaire d'Etat Steve Goldstein a affirmé le 2 janvier que les Etats-Unis voulaient «encourager les manifestants en Iran à continuer à se battre pour la justice en Iran et pour l'ouverture du pays.» Il poursuit : «Nous continuons à communiquer avec les gens en Iran par Facebook et Twitter, nous mettons constamment à jour nos deux sites en persan. Le peuple iranien peut accéder à ces sites par des réseaux virtuels privés.» Pour le Conseil national de la résistance iranienne, le but de cet accès aux réseaux sociaux est justement «de pouvoir continuer à avoir accès au monde extérieur...».

Les conspirationnistes américains affirment notamment que la Russie se serait servie des réseaux sociaux pour créer un soutien virtuel à Donald Trump. C'est très exactement ce que les Etats-Unis cherchent à faire actuellement en Iran

La tentative américaine de tourner en ridicule l'affirmation iranienne d'ingérence étrangère dans les manifestations est d'autant plus drôle que la quasi-totalité de la classe politico-médiatique américaine, y compris la partie la plus hostile à l'Iran, cherche, depuis bientôt un an, à prouver la même affirmation à l'égard d'une ingérence supposée de la Russie dans les élections présidentielles américaines de 2016. Les conspirationnistes américains affirment notamment que la Russie se serait servie des réseaux sociaux pour créer un soutien virtuel à la candidature de Donald Trump qui, soi-disant, n'aurait pas été victorieux sans cette ingérence. C'est très exactement ce que les Etats-Unis cherchent à faire actuellement en Iran. 

Tout cela ne serait finalement que l'hôpital qui se moque de la charité si l'histoire ne nous montrait pas que les Etats-Unis, et leurs alliés européens, se sont très clairement mêlés à des opérations clandestines de changement de régime depuis... 1953, en Iran. Le renversement du Premier ministre iranien, Mohammed Mossadegh, par un coup d'état en août 1953, est un cas d'école de changement de régime téléguidée par les services secrets étrangers, en l'occurrence américains et britanniques.

Cette opération, l'opération «Ajax», a été commandée par Churchill et Eisenhower mais l'initiative venait à l'origine de la Anglo-Persian Oil Company, qui s'appelle aujourd'hui BP (British Petroleum). Celle-ci s'opposait au programme de nationalisation de l'industrie pétrolière que Mossadegh voulait poursuivre. Le prétexte donné aux Américains pour les convaincre de s'y associer était le combat contre l'influence soviétique, qui, en réalité, était négligeable.

Le but de l'opération clandestine américaine de 1953 en Iran était de créer l'instabilité pour provoquer une réaction démesurée de la part du gouvernement et ainsi engendrer les conditions propices pour un putsch

La réalisation du complot a été confiée à un officier de la CIA, Kermit Roosevelt, petit-fils du président Theodore Roosevelt. Cette opération a été très bien documentée, par les historiens comme par les acteurs eux-mêmes. Roosevelt, l'Américain Donald Wilber, le concepteur du plan, et C. M. Woodhouse – un ancien officier de la Direction des Opérations spéciales britanniques (SOE) en Grèce pendant la guerre, et un futur directeur général de Chatham House — qui assurait la liaison avec les Américains, ont tous rédigé des mémoires racontant leurs exploits. Celui de Wilber, un mémorandum officiel et interne, est disponible en ligne, grâce aux lois américaines sur la liberté d'accès aux documents administratifs. Celui de Roosevelt a été publié comme livre, Countercoup, après, toutefois, avoir vu une grande partie de son contenu être censurée par la CIA.

Les grandes lignes de cette opération clandestine relèvent du domaine public. Deux éléments étaient essentiels : le soutien d'une partie de l'Etat iranien, en l'occurrence le Shah, qui, avant le coup, régnait mais ne gouvernait pas, et la foule, mobilisée et payée par les Américains à raison d'un million de dollars pour donner l'impression d'un mouvement populaire. Le but en était de créer de l'instabilité pour provoquer une réaction démesurée de la part du gouvernement et pour ainsi engendrer les conditions propices pour le putsch. Pour «restaurer l'ordre», l'armée a été mobilisée contre le gouvernement, tout comme elle le fera par exemple vingt ans plus tard au Chili. La suite sera une dictature royale sous tutelle américaine, renversée dans le sang par la révolution islamique de 1979.

Cette histoire fait partie du récit national de la République islamique d'Iran, qui était une révolution non seulement islamique mais aussi nationale — tout comme les révolutions russe et française, elles aussi des soulèvements nationaux contre un monarque perçu, à tort ou à raison, comme appartenant au parti de l'étranger. Voilà pourquoi les mollahs au pouvoir aujourd'hui à Téhéran sont parfaitement conscients du danger d'une révolution téléguidée contre eux depuis l'Amérique.

Aujourd'hui, il est de notoriété publique que le régime islamique a toujours plusieurs centres de pouvoir — le gouvernement et le guide ont chacun leur «camp». Les aspirants architectes de la future révolution anti-islamique espèrent sans doute pouvoir profiter de ces tensions intérieures

Certains éléments du régime iranien en 1953 sont présents aujourd'hui, surtout l'existence de plusieurs centres de pouvoir. C'est la rivalité entre le gouvernement de Mossadegh et l'armée qui soutenait le Shah qui a rendu possible le coup d'état de 1953. Aujourd'hui, il est de notoriété publique que le régime islamique a toujours plusieurs centres de pouvoir — le gouvernement et le guide ont chacun leur «camp». Les aspirants architectes de la future révolution anti-islamique espèrent sans doute pouvoir profiter de ces tensions intérieures.

Ces architectes existent. En juin dernier, un des officiers de la CIA les plus notoires et les plus redoutés a été nommé pour diriger les opérations contre l'Iran. Michael D'Andrea, surnommé «le sombre prince» ou «le croque-mort», aurait inspiré le personnage de «Wolf» («Le Loup») dans le film Zero Dark Thirty (2012) sur l'assassinat d'Oussama ben Laden, car il a été un acteur clé du fameux programme de torture pratiqué par la CIA pendant les années 2000 en Afghanistan et condamné par le Sénat en 2014. Robert Baer, un ancien collègue de D'Andrea a commenté sa nomination ainsi: «Une guerre contre l'Iran est maintenant possible.» Le président Trump n'a pas tardé à faire ce qui ressemblait à une déclaration de guerre dans son discours aux Nations unies en septembre.

Autrement dit, il est ridicule d'accuser les Iraniens de paranoïa quand tous les éléments sont rassemblés pour une répétition des événements de 1953, au moins du point de vue américain. S'ajoute à cette situation dangereuse, du point de vue de la République islamique, le soutien inconditionnel accordé par les Etats-Unis à l'ennemi mortel de l'Iran dans la région, l'Arabie saoudite et, bien sûr, à Israël. Le commentaire de Robert Baer semble plausible.

Du même auteur : «Mort aux Moscovites!» : cette Ukraine que Bruxelles tolère

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