De la rencontre entre les présidents russe et américain, le dossier de la supposée ingérence russe était le plus attendu par les détracteurs de Donald Trump. Qui a marqué des points ? Analyse avec l'universitaire et professeur Jean-Robert Raviot.
RT France : La rencontre de plus de deux heures entre Donald Trump et Vladimir Poutine au G20 à Hambourg a été qualifiée de «constructive» et «fructueuse», tant par Sergueï Lavrov et Rex Tillerson que par les deux présidents eux-mêmes. Est-ce selon vous positif pour l'avenir des relations russo-américaines ?
Jean-Robert Raviot (J.-R. R.) : Oui, c'est une bonne nouvelle dans le sens où un dialogue direct a été possible. Les présidents russe et américain ont dialogué pendant plus de deux heures, ce qui veut dire qu'ils ont trouvé des terrains de discussion propices à l'expression de leurs positions. En cela, c'était très important qu'ils se rencontrent directement.
Je pense que cette rencontre témoigne d'un retour à une certaine realpolitik dans les rapports entre les deux pays. D'un côté, c'est très positif car les deux dirigeants ont pu dialoguer sans filtre idéologique et sans l'ensemble de non-dits qui pouvaient exister auparavant. D'un autre côté, cette rencontre a mis en évidence les points de divergence qui existaient. A l'issue de leur entretien, il y a eu un communiqué dans lequel on a constaté que les deux parties ne s'étaient pas accordées sur grand chose. Le communiqué faisait surtout état d'une série de points de divergences, notamment sur les dossiers syrien et ukrainien. Cette rencontre a donc permis d'une certaine manière de clarifier le paysage politique et diplomatique.
Sur la question de la supposée ingérence russe, Donald Trump a été très clair et est entré une nouvelle fois en conflit avec l'establishment américain
RT France : La question de la supposée ingérence russe dans l'élection américaine a été, selon Rex Tillerson, le premier sujet abordé par Donald Trump. Ce dernier a par la suite déclaré qu'il avait entendu les dénégations de Vladimir Poutine et souhaitait mettre cette affaire derrière eux. Une réaction qui a été vivement critiquée par les médias et une partie des élus américains. Etait-ce selon vous inévitable ?
J.-R. R. : Je pense que Donald Trump est lui-même en butte à une lutte interne au système politique américain, une lutte avec ce qu'on appelle généralement «l'Etat profond» mais qui est en réalité bien plus vaste car il s'agit d'une partie de l'establishment sécuritaire, financier et politique du pays et qui a besoin, selon moi, de la Russie comme ennemi. Et ce afin de maintenir ses objectifs économiques et stratégiques, avec l'OTAN et toute la dynamique du complexe militaro-industriel.
Sur la question de la supposée ingérence russe, Donald Trump a été très clair et est entré une nouvelle fois en conflit avec l'establishment américain. Cette position claire est plutôt positive pour l'avenir des relations russo-américaines, mais c'est pour cela qu'il a été très fortement critiqué. Sur ce point, contrairement à d'autres, je trouve que Donald Trump a une ligne de conduite assez claire. Sur le terrain politique et stratégique, par exemple au Moyen-Orient, on peut avoir des difficultés à lire la politique de Donald Trump. On a une impression de flottement ou de revirement stratégique dû à cette prégnance de l'establishment américain.
Il a su utiliser cette rencontre avec Vladimir Poutine pour retourner la situation. Beaucoup d'observateurs américains – on pouvait le lire dans les colonnes du Washington Post par exemple – s'attendaient à ce que Donald Trump donne des signes d'une évidente connivence antérieure à son élection avec Vladimir Poutine. Cela n'a pas eu lieu.
Donald Trump a réussi à dissocier le terrain diplomatique et stratégique de celui de la politique intérieure des Etats-Unis
RT France : La question des liens supposés de Trump avec la Russie et la polémique sur l'ingérence de cette dernière dans le processus électoral du pays expliquent en partie pourquoi cette rencontre entre les deux chefs d'Etat a tardé. Ces soupçons seront-ils toujours un frein à l'amélioration des relations entre les deux pays ?
J.-R. R. : Je pense que, pour Vladimir Poutine, cela a clarifié la position de Donald Trump. Pour Donald Trump, cela permet de mettre cette affaire de côté tout en menant une politique qui ne sera pas nécessairement en accord avec la Russie. Il a réussi à dissocier le terrain diplomatique et stratégique de celui de la politique intérieure des Etats-Unis, alors que l'establishment américain veut sans cesse lier ces deux questions pour discréditer sa politique. J'analyse donc cela comme un relatif succès de Donald Trump car il a réussi, aux yeux de tous, à dissocier la politique américaine sous sa direction et cette histoire d'ingérence qui se poursuit.
Tant qu'on reste sur une ligne aussi flottante et peu claire que le «ni-ni», toutes les initiatives de coopération stratégique en Syrie sont à très, très court terme
RT France : Le point crucial, à l'issue de cette rencontre, a été l'accord sur un cessez-le-feu en Syrie et une coopération entre les deux pays dans les zones de désescalade. De telles initiatives avaient déjà été prise sous Barack Obama, mais avaient été des échecs. Dans ce nouveau contexte, l'initiative peut-elle être plus pérenne ?
J.-R. R. : La vraie question, à mon sens, est de savoir s'il peut y avoir, à terme, une stratégie réelle entre les deux coalitions. Pour l'instant, les Etats-Unis ne montrent pas de signe d'évolution sur la question de Bachar al-Assad. Or c'est un point essentiel. Tant qu'on n'accepte pas de reconnaître Bachar al-Assad comme un acteur possible et légitime de la sortie de crise, tant qu'on reste sur une ligne aussi flottante et peu claire que le «ni-ni», toutes les initiatives de coopération stratégique sont à très, très court terme. Un rien, la moindre étincelle, peut changer la situation sur le terrain. Or, les deux pays ont des stratégies extrêmement divergentes. La Russie a une stratégie très claire et identifiable, celle des Etats-Unis reste souvent masquée. Je ne pense donc pas que, sur ce point, il y ait eu d'avancées ou que cette rencontre ait changé quoi que ce soit.
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