A «la vieille question» de l'indépendance de la presse vis-à-vis du pouvoir, l'essayiste Eric Verhaeghe prône la transparence – des élus comme des journalistes – et le droit des citoyens à demander des comptes à leurs administrations et gouvernants.
RT France : Lors de la conférence de presse conjointe avec Vladimir Poutine, Emmanuel Macron a répondu avec beaucoup de virulence et sans preuve concrète à une journaliste de RT l'interrogeant sur le traitement de notre média lors se campagne présidentielle. Etait-ce lieu et le moment d'une telle réponse selon vous ?
Eric Verhaeghe (E. V.) : Il a eu le mérite de la franchise et de s'être clairement exprimé sur les raisons qui le poussent à mettre en balance les accréditations de deux médias russes en France. Il a été d'une franchise qui me paraît tout à fait claire. Personnellement, je n'aurais pas posé cette question à Emmanuel Macron dans cette enceinte pour éviter de m'attirer cette réponse. Je n'ai pas connaissance des calomnies qu'il semble évoquer et je pense que pour le coup, je serais RT, je crèverais l'abcès puisque visiblement le président français souhaite avoir un discours de vérité sur ces questions – ce que je trouve plutôt sain. Je pense que dans ce genre de situation, l'idéal serait d'interroger officiellement, probablement à l'abri des regards, le président français afin de mettre à plat les éventuels malentendus.
Le pluralisme de la presse est quelque chose d'indispensable pour l'esprit démocratique
RT France : Quelles que soient les acrimonies existantes, est-ce le rôle d'un dirigeant d'attaquer un média aussi frontalement ?
E. V. : Je suis un grand partisan du pluralisme de la presse et je pense que, dans tous les cas de figure, ce pluralisme est quelque chose d'indispensable pour l'esprit démocratique. Ce pluralisme et son respect sont une des grandes forces de l'esprit républicain. Ce qui fait d'ailleurs que des publications comme le Canard enchaîné sont connues internationalement et respectées pour leur audace vis-à-vis du pouvoir. Le pluralisme est toujours une bonne chose.
Il est vrai qu'en France, il y a eu, en dehors de la République, une tradition de méfiance vis-à-vis de la liberté de la presse. Louis XV persécutait Voltaire. Napoléon III a mis en fuite un certain nombre de personnalités qui écrivaient dans la presse comme Victor Hugo ou Charles Baudelaire. Néanmoins je pense qu'en aucun cas le président Macron n'a le souhait de se rattacher à cette tradition liberticide.
La meilleure réponse que les journalistes puissent apporter dans la pratique de leur métier reste d'invoquer les principes révolutionnaires de 1789 et notamment leurs droits d'interpeller les pouvoirs publics sur l'usage qu'ils font de leurs prérogatives et de leurs pouvoirs
RT France : Depuis son investiture en tant que président, de nombreux papiers racontent comment la communication autour d'Emmanuel Macron est très corsetée. La question des choix des journalistes participant aux déplacements du président par l'Elysée a également entraîné une levée de boucliers juste avant son voyage au Mali. Comment peut-on aujourd'hui marier la possibilité pour les journaliste d'accomplir leur travail face au storytelling de plus en plus affûté des politiciens ?
E. V. : Cette situation a été très bien décrite par Noam Chomski qui a montré que bien souvent la liberté de la presse était réduite par les pouvoirs en place, y compris en démocratie, car l'accès à l'information est généralement lié à la subordination ou la soumission des journalistes. Un journaliste, pour avoir un scoop, a besoin de bien s'entendre avec le pouvoir en place car c'est ce dernier qui les produit. Cela a été particulièrement le cas avec François Hollande qui a adoré distillé scoops, petites phrases ou révélations à la presse permettant aux journalistes d'alimenter leurs papiers. Evidemment si vous étiez fâché avec François Hollande vous n'aviez pas accès aux scoops.
La question, en démocratie, de l'indépendance de la presse vis-à-vis du pouvoir est une vieille question que l'on ne découvre pas, qui a longtemps était analysée et dont on connait tous les travers. En France, il y a une réponse qui a été apportée en 1789 qui est l'article 15 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Il prévoit que tout citoyen peut demander à n'importe quel agent de l'administration – ministre ou fonctionnaire – des comptes sur son administration et sa gestion. Il y a un principe de transparence et de droit du citoyen à interroger les pouvoirs publics sous toutes leurs formes sur leurs réalisations et l'utilisation du denier public et du pouvoir qui leur est confié. Je crois que c'est là la meilleure réponse que les journalistes puissent apporter dans la pratique de leur métier : invoquer les principes révolutionnaires de 1789 et notamment leurs droits d'interpeller les pouvoirs publics sur l'usage qu'ils font de leurs prérogatives et de leurs pouvoirs.
Cette obligation de transparence sur le capital social dont on dispose doit s'appliquer aux élus et à l'ensemble de ceux qui s'expriment publiquement et qui participent au débat public
RT France : La défiance des citoyens est aujourd'hui très importante à l'égard de la presse et des journalistes. De nombreux internautes ont fait état de leur agacement face à des journalistes et éditorialistes qui, à leur goût, montraient de manière trop importante leurs préférences politiques. Faut-il plus de transparence dans les liens entre journalistes et politiques mais également sur les orientations politiques des journalistes ?
E. V. : J'ai toujours écrit qu'il fallait, à partir d'un certain rôle joué dans la société, une transparence à la fois financière mais aussi culturelle et sociale. C'est-à-dire être capable de déclarer publiquement à quels réseaux on appartient, quelles sont les filiations et les amitiés que l'on a ainsi que tout autres affectio societatis qui influencent la façon de rédiger, de penser et d'informer.
Je pense que cette obligation de transparence sur le capital social dont on dispose doit s'appliquer aux élus et à l'ensemble de ceux qui s'expriment publiquement et qui participent au débat public. C'est une exigence démocratique saine. Elle n'est bien sûr pas facile à résoudre et à appliquer car porteuse de difficultés qu'il ne faut pas sous-estimer. Néanmoins, je trouve cela assez sain de savoir clairement quelles sont les relations d'une personne qui écrit. Les sites scientifiques américains le font très bien. Un certain nombre de sites obligent à faire une déclaration d'absence de conflit d'intérêt lorsque l'on s'exprime dessus. Je pense notamment à l'excellent site The Conversation où tous ceux qui y écrivent doivent déclarer leurs éventuels liens d'intérêts avec les sujets qu'ils traitent. Je trouve que cette transparence là est un modèle à suivre et je trouverais cela tout à fait naturel qu'elle s'applique à la presse.
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