En élisant Emmanuel Macron, «la France a fait un saut dans le vide»

En élisant Emmanuel Macron, «la France a fait un saut dans le vide»© Christian Hartmann Source: Reuters
Emmanuel Macron et son épouse Brigitte Trogneux
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Inspiré «non pas par la foi, mais par le désespoir» la France a choisi l'inconnu en élisant Emmanuel Macron à la présidence de la République. L'historien John Laughland réfléchit aux conséquences de la présidentielle.

RT France : On a pris l’habitude de qualifier cette campagne électorale de surréaliste, pourtant on arrive à un résultat très prévisible. Que vous inspire cette élection ?

John Laughland (J. L.) : Elle me désole. J’ai envie de faire une comparaison assez osée : Quand Jeanne d’Arc a été capturée en 1430 par les Bourguignons, elle a été enfermée dans une tour. Pour s’évader, elle a sauté du troisième étage. A son procès, on lui a reproché une volonté de se suicider. En réalité, elle pensait que Sainte-Catherine d’Alexandrie allait la sauver, Sainte-Catherine qui était la sainte patronne des évasions miraculeuses.

Je pense qu’hier la France a aussi fait un saut dans le vide, tout comme Jeanne d'Arc. Mais non pas un saut dans le vide inspiré par la foi, mais au contraire par le désespoir. Le désespoir, car on le voit bien entre les résultats du premier et du second tour, 10 millions de voix se sont rabattues sur Emmanuel Macron, qui sont des voix négatives – contre Marine Le Pen. Emmanuel Macron en avait 10 millions au départ, maintenant il en a 20. Mais les 10 millions qui s’y sont ajoutées hier sont des voix négatives, auxquelles il faut bien sûr ajouter les votes blancs et les abstentions. Et désespoir aussi parce que comme le souligne – hélas, trop clairement – l’acronyme de son mouvement En Marche!, son projet est absolument vide de sens. Pourquoi ? Parce que EM – En Marche! – cela reflète non pas un programme, non pas une idéologie – il aurait pu appeler cela le parti européen, le part libéral, le parti atlantiste, social-démocrate – mais il a pris ses propres initiales pour désigner son mouvement.

Emmanuel Macron va faire exactement ce qu’ont fait ses prédécesseurs – gouverner à partir du centre mou

C’est un mouvement qui est constitué autour d’une personne et non pas autour d’un projet ou d’une idéologie. Nous devons donc nous attendre à la même déception qui a accompagné tous les mandats précédents. Il faut remonter à 1974 pour voir un autre ancien ministre des Finances – Valéry Giscard d’Estaing – jeune, pas aussi jeune qu’Emmanuel Macron, mais il était considéré comme jeune à l’époque. Depuis Giscard, tous les présidents ont successivement été élus avec un certain optimisme, surtout parce qu’ils ont battu leur adversaire dont on ne voulait pas. Cet optimisme s’est vite effondré et a vite abouti à des défaites électorales, que ce soit sur le plan législatif ou sur le plan des mandats présidentiels. François Hollande et Nicolas Sarkozy n’ont pas été réélus, mais les présidents précédents, Jacques Chirac et François Mitterrand ont dû faire face à des cohabitations – c’est-à-dire à des majorités parlementaires hostiles. Je pense que nous aurons la même chose avec Emmanuel Macron : un optimisme, un espoir d’un renouveau aujourd’hui, peut-être, mais je pense que cet espoir va se révéler très aléatoire. Car Emmanuel Macron va faire exactement ce qu’ont fait ses prédécesseurs : gouverner à partir de ce centre mou, qui a fait que la France ne répond pas aux défis et qu’elle se laisse filer depuis bientôt deux générations. Depuis les années 1970, elle refuse en effet de faire les réformes nécessaires, elle gouverne à partir du plus petit des dénominateurs communs et je ne vois aucune raison qui nous laisserait croire que cela va être différent sous le président Macron.

C’est une double défaite pour le Front national

RT France : Dans quelques semaines on aura les élections législatives qui vont donner le ton du début de mandat du nouveau président. Quel est votre pronostic pour ces législatives ? Réussira-t-il à rassembler une majorité ?

J. L. : Je trouve assez difficile de faire un pronostic. Rappelons-nous que l’électorat au premier tour était très éclaté. C’est le paradoxe de la politique française. On voit qu’il y a de manière répétitive une volonté de contestation. On l’a vu par exemple en 2005 avec le vote contre la Constitution européenne. Nous avons vu au premier tour un électorat très éclaté, avec 40% pour ce qu’Emmanuel Macron appelle «les extrêmes», c’est-à-dire Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. Allons-nous voir les mêmes résultats aux législatives ? Je ne crois pas beaucoup à la recomposition de la droite que Marine Le Pen a évoquée et a appelée de ses vœux hier soir. Ne serait-ce que parce que cette droite et centre-droite qui est incarnée par le parti Les Républicains, ne veut pas de cette alliance. Peut-être une petite partie [de la droite] va se rallier, mais elle sera minoritaire. Je pense qu’il est donc difficile de faire un pronostic. Ceci dit, j’ai plutôt tendance à croire que les Français vont donner une majorité à Emmanuel Macron. Tous les nouveaux présidents de la République ont toujours eu une majorité et à cet égard je pense que l’Histoire là aussi va se répéter.

L’hymne européen est en quelque sorte le cœur du projet d’Emmanuel Macron

RT France : Je voudrais revenir avec vous sur le score du Front national, qui n’a jamais été aussi haut. Le Parti a-t-il atteint un plafond ou bien est-il encore en progression ?

J. L. : Personnellement, je pense que c’est une double défaite pour le Front national. D’abord parce que Marine Le Pen n’a pas été en première position au premier tour, alors que depuis cinq ans tous les sondages la donnaient gagnante au premier tour avec entre 26 et 30%. Donc déjà au premier tour c’était un échec. Ensuite, 35% au second tour, c'est très en deçà de ce qu’il aurait fallu pour se profiler comme la dirigeante de la droite et de l’opposition. Donc non, je pense que c’est un très mauvais score pour le Front national, qui n’a absolument pas réussi sa percée. Par rapport à ses scores précédents on peut considérer que c’est une amélioration, mais pour gagner l’élection présidentielle, il faut avoir non pas 35, non pas 45, mais [plus de] 50%.

RT France : Emmanuel Macron est arrivé hier soir sur l’esplanade du Louvre au son de l’hymne européen. Peut-on considérer ceci comme un symbole ?

J. L. : Très certainement. Nous savons tous que la vie personnelle d’Emmanuel Macron est très liée au théâtre et le symbolisme n’aurait pas pu être plus fort. D’ailleurs il y avait deux symboles : bien sûr, l’hymne européen qui est en quelque sorte le cœur du projet d’Emmanuel Macron, mais le second symbole c’est qu’il a mis la main sur la cœur quand il a chanté la Marseillaise – à l’américaine, personne en France ne fait cela quand il chante l’hymne national, mais il l’a fait à l’américaine. Donc je pense qu’avec ces deux symboles forts, il voulait souligner le fait que la France a voté le 7 mai pour une France européenne et une France américaine.

Lire aussi : Qui intégrera le gouvernement d'Emmanuel Macron ?

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