Doit-on craindre une pénurie en Guyane ? Quelle place prend le débat autour du statut du territoire dans les revendications ? Quinze jours après le début de cette mobilisation exceptionnelle, George Patient, sénateur, fait le point sur la situation.
RT France : Le Conseil des ministres a entériné le 5 avril un plan d’urgence de plus d’un milliard d’euros en faveur de la Guyane. Que pensez-vous de cette proposition ? Est-elle suffisante ?
Georges Patient (G. P.) : La réponse immédiate donnée par les collectifs est que ce plan n'est ni suffisant, ni satisfaisant. Suite à cette première proposition, les collectifs ont fait une demande supplémentaire de 2 milliards, pour arriver à 3 milliards. Le collectif travaille désormais sur la nouvelle stratégie à adopter. On sait très bien que les jours passent. Il reste peu de temps de négociation avec ce gouvernement sur les dispositions. Ce qui est en cours de discussion en terme de stratégie est de savoir si le mouvement, en terme de barrages, va se renforcer et devenir plus sévère ou si un répit va être accordé. Les organisations professionnelles ont demandé la levée des barrages. Ce qui est certain est qu'aujourd'hui, c'est avant tout la population guyanaise qui est tétanisée. Il ne faudrait pas avoir à attendre le nouveau gouvernement pour entamer la totalité des discussions.
Le Premier ministre a laissé entendre qu'il ne voulait pas laisser un cadeau empoisonné au prochain gouvernement
RT France : Craignez-vous que quelque part le gouvernement décide de «jouer la montre» afin de laisser une grande part des discussions à la prochaine administration ?
G. P. : Je n'irai pas jusque-là dans la mesure où un certain nombre de points ont été actés autour du Pacte d'avenir. 1,85 milliard avait pu être obtenu dans un premier temps. Je pense que ce 1,85 milliard – comme l'a dit le Premier ministre – était tout ce qui était possible de faire dans ce laps de temps. D'autant plus que les lois de finances qui permettent de débloquer des fonds ont déjà été votées. On ne pouvait procéder que par décret d'avances ou par déploiements de crédits. Le Premier ministre a laissé entendre qu'il ne voulait pas laisser un cadeau empoisonné au prochain gouvernement et qu'il voulait mettre en place ce qu'il pensait réalisable. Alors évidemment, entre ce que pense le Premier ministre et ce que pensent les collectifs, il y a une différence. Je pense qu'il faut qu'on aille vers une solution de ce genre. Une solution pragmatique. C'est-à-dire acter ce qui a été accordé et ce qu'on peut vérifier comme réalisable et faire en sorte que certaines dispositions juridiques qui nécessiteront un passage par le Parlement soient prises en considération afin que le prochain gouvernement soit «lié» en quelque sorte par ces engagements.
Si la situation se maintient, on pourra arriver à une pénurie pour un certain nombre et type de produits qui nous viennent uniquement par l'importation
RT France : Certains experts craignent que si la mobilisation se poursuit, une situation de pénurie pourrait s'installer. Est-ce une réalité ?
G. P. : Les problèmes de pénurie viennent du fait que de nombreux produits sont importés. Le carburant par exemple vient de la raffinerie de la SARA, aux Antilles. Le problème est de savoir si les dockers vont poursuivre leur mouvement de grève et empêcher que le port – qui est un élément principal et indispensable en Guyane – reprenne ses activités. Je sais qu'aujourd'hui de nombreux conteneurs sont bloqués au port et effectivement, si le mouvement de grève et les barrages se poursuivent, on risque d'arriver à une pénurie. Les supermarchés commencent à manquer d'un certain nombre de produits. Il y a des réserves de carburant qui permettront de tenir encore quelques jours. Si la situation se maintient, on pourra arriver à une pénurie pour un certain nombre et type de produits qui nous viennent uniquement par l'importation. Néanmoins par rapport à d'autres territoires d'outre-mer, la Guyane a la possibilité de vivre sur ses ressources mais également sur sa production locale.
Cela a surpris beaucoup de gens que la question de l'évolution statutaire de la Guyane apparaisse
RT France : La mobilisation était au départ entièrement tournée vers des revendications sociales. La question de faire changer le statut de la Guyane pour un statut permettant plus d'autonomie, à l'instar de la Polynésie française, a ensuite émergé. Rencontre-t-elle une grande popularité ?
G. P. : C'est un sujet qui apparaît et qui ne fait pas l'unanimité. Je suis de mon côté partisan d'une évolution statutaire depuis très longtemps. Force est de reconnaître que ce n'est pas un sujet fédérateur comme toutes les revendications sur la santé, l'éducation ou la sécurité. Cela a surpris beaucoup de gens que cette question apparaisse. Effectivement, certains leaders du mouvement ont ressorti l'évolution statutaire dans le cadre de la République. Quelques-uns sont même allés plus loin en préconisant purement et simplement l'indépendance. Certains leaders n'hésitent pas à dire que poser le problème uniquement en terme de revendications et de réalisations immédiates ne résoudra pas tout. Il faut un véritable statut qui desserre un peu l'étau centralisateur de l'Etat et qui permette à la Guyane d'être un peu plus autonome, d'avoir un peu de pouvoir législatif et de pouvoir aller vers un développement endogène qui permettra un développement pérenne. Cela reste néanmoins un sujet qui n'est pas fédérateur dans cette mobilisation. Il existe, Il est posé. Mais ne serait-ce que dans sa prise en considération, il faudra passer par un certain nombre d'étapes : il faut un congrès au cours duquel la décision soit prise d'aller vers une évolution statutaire. Il faudra ensuite consulter la population. Ce n'est donc pas un sujet que l'on peut considérer comme ayant une issue immédiate.
Les gens sont prêts à tous bouger face aux manquements palpables, réels et quotidiens, autant l'évolution statutaire n'est pas un sujet qui cristallise la population
RT France : Quinze jours de mobilisation, une grève générale, l'ensemble des corps de métier soudés, ce conflit social est exceptionnel. Cela vous a-t-il surpris?
G. P. : Il y avait un malaise et un mal-être que nous n'avons pas manqué de faire connaître au gouvernement. Nous alertions sur l'éventualité de cette crise sociale car les problèmes existent depuis longtemps sur des sujets sensibles comme la sécurité, la santé ou l'éducation. Nous avons reçu une écoute insuffisante. Il a donc suffi d'une étincelle pour que la population se dresse de façon unanime. On a vu toutes les couleurs et toutes les composantes de la société défiler sur la base de ces revendications légitimes. Quand apparaît l'évolution statutaire – comme je vous l'ai dit – cela fissure un peu la mobilisation. Autant les gens sont prêts à tous bouger face aux manquements palpables, réels et quotidiens, autant l'évolution statutaire n'est pas un sujet qui cristallise la population comme cela l'a été sur d'autres sujets.
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