Les vitupérations des néo-conservateurs contre la Turquie et son président vont se multiplier après le grave conflit diplomatique turco-hollandais, mais le problème d'Erdogan est créé par les élites transnationales, selon le journaliste Neil Clark.
Où va mener la querelle de plus en plus injurieuse entre la Turquie et les Pays-Bas (et d'autres pays de l'UE) ? Pourquoi cette dispute politique entre les Etats membres de l'OTAN se produit-elle à ce moment précis ?
Rappelons-nous les événements.
Deux hauts fonctionnaires turcs n'ont pas été autorisés le 11 mars à prononcer leurs discours à l'occasion de rassemblements politiques aux Pays-Bas. Les autorités néerlandaises ont empêché le ministre des Affaires étrangères de la Turquie Mevlut Cavusoglu de débarquer à Rotterdam, alors que la ministre de la Famille Fatma Betul Sayan Kaya n'a pas été autorisée à entrer dans le Consulat turc et a ensuite été expulsée.
La réaction d'Ankara a été furieuse, le président Erdogan a adressé un avertissement sévère aux Néerlandais, en comparant leurs actions au nazisme.
Les Néerlandais vont «payer le prix» pour leur traitement «sans vergogne» du ministre turc, a déclaré le président Recep Tayip Erdogan, employant un vocabulaire musclé. Il a également exhorté les organisations internationales à décréter des sanctions contre les Pays-Bas.
Les Néerlandais ont riposté, le Premier ministre Mark Rutte exigeant des excuses du président Erdogan. Les Danois et les Allemands ont également pesé dans cette dispute. Ainsi, le Premier ministre danois a reporté une réunion prévue avec son homologue turc, tandis que le ministre de l'Intérieur allemand a estimé qu'une campagne turque n'avait pas sa place en Allemagne.
Quoi qu'on pense d'Erdogan et de son gouvernement, les actions des Néerlandais semblent être une violation claire de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques
Les Européens ont évoqué des préoccupations au sujet de la sécurité comme raison principale pour interdire ou empêcher les rassemblements pro-Erdogan dans leurs pays avant le référendum constitutionnel en Turquie du 16 avril. Il y a également eu des critiques à l'égard de la répression gouvernementale qui a suivi la tentative de coup d'Etat en juillet dernier. Si le «sultan» Erdogan remporte le vote le mois prochain, il aura de nouveaux pouvoirs et pourrait rester légalement au pouvoir jusqu'en 2029.
Mais les craintes sur la sécurité et la démocratie sont-elles réellement la raison pour laquelle les leaders européens ont abandonné leur Turquie ?
Quoi qu'on pense d'Erdogan et de son gouvernement (remarquez comme les faucons en carton-pâte occidentaux emploient maintenant le mot «régime»), les actions des Néerlandais semblent être une violation claire de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Si c'est vraiment la question des «préoccupations démocratiques», interdire aux gens de s'exprimer lors de rassemblements politiques est une manière bien étrange de répondre. Et où, peut-on se demander, étaient ces «préoccupations démocratiques» quand les autorités turques réprimaient brutalement les manifestations en 2013 ? Comme je le relevais sur RT à l'époque, les principales personnalités politiques occidentales se taisaient.
Il est intéressant de mesurer le contraste entre cet échange de tomates pourries et les relations si amicales qui prévalaient entre l'UE et la Turquie il y a très peu de temps. En octobre 2015, la «reine de l'Europe», j'ai nommé Angela Merkel, était assise à côté du «sultan» Erdogan sur une chaise en or au palais présidentiel d'Ankara et faisait diverses promesses quant à la candidature de la Turquie à l'intégration dans l'UE.
La visite, deux semaines seulement avant l'élection générale en Turquie, avait donné un élan indéniable à la campagne d'Erdogan. Peu de temps après, le dirigeant turc et sa femme Emine ont été reçus à un banquet par «Leurs Majestés le Roi et la Reine des Belges» à Bruxelles, lors d'un voyage au cours duquel Erdogan a également été chaleureusement accueilli par le président du Conseil européen Donald Tusk.
Divers commentateurs respectés croient que le nouveau rapprochement de la Turquie avec la Russie est la principale raison pour laquelle la position de l'UE a changé si radicalement
Beaucoup d'eau a coulé depuis. Divers commentateurs respectés croient que le rapprochement nouveau de la Turquie avec la Russie, en particulier sur la Syrie, est la principale raison pour laquelle la position de l'UE a changé si radicalement.
Il est certainement intéressant de voir que la position de l'Occident vis-à-vis de Recep Tayyip Erdogan se durcit chaque fois que les leaders turc et russe se réunissent pour discuter d'une coopération économique et militaire plus étroite (comme ils l'ont fait à Moscou récemment), et que, à l'inverse, les préoccupations démocratiques semblent s'évaporer quand Ankara a des contradictions avec la Russie. La promesse du président Erdogan de soutenir l'intégrité territoriale de la Syrie et son opposition à la balkanisation du pays ne pouvaient pas passer auprès de ceux qui veulent que la République arabe soit découpée en petits morceaux.
Même s'il ne mentionne pas explicitement la Turquie dans son nouveau livre The New World Order In Action, Vol. 1: Globalization, the Brexit Revolution and the "Left", (Le nouvel ordre mondial en action, Vol.1 : la mondialisation, la révolution du Brexit et la «gauche» chez Progressive Press, 2016), l'écrivain grec de gauche Takis Fotopoulos nous aide à clarifier ce qui se passe. Sa thèse est que l'élite transnationale, qui se compose d'un réseau d'élites économiques et politiques basées principalement dans les pays du G7 et agissant dans l'intérêt des sociétés transnationales et du capital mondial, a pour objectif l'intégration complète de chaque pays dans le nouvel ordre mondial néo-libéral. Tous les pays qui résistent à cette intégration – par exemple, la Yougoslavie, l'Irak, la Libye ou la Syrie – sont des cibles pour un changement de régime ou la destruction.
La Turquie est partiellement intégrée, en tant que membre de l’OTAN, mais elle est toujours écervelée. La promesse d’adhésion à l’UE, en échange d’autres faveurs telles que la limitation des flux des réfugiés en Europe, est utilisée comme une carotte pour garder Ankara dans le droit chemin.
Mais il y a un hic grand comme l’un des minarets de la Mosquée bleue : les élites transnationales soutiennent la politique migratoire libérale et la «libre circulation» des personnes dans les pays de l’UE. Ce n'est pas parce qu’elles sont constituées de hippies attachés à la paix et jouant de la guitare en faveur de la fraternité internationale entre les hommes, mais à cause de la baisse des salaires (avec un impact conséquent sur les bénéfices) à laquelle mène l’immigration à grande échelle à une époque de syndicats affaiblis.
Les leaders politiques/leaders potentiels appuyés par les élites transnationales font face à des défis sérieux avec Geert Wilders du Parti pour la liberté et Marine le Pen en 2017
Toutefois, l’opinion publique dans les pays gouvernés par les élites transnationales, en période d’austérité et de difficultés économiques considérables, s’est retournée abruptement contre la politique migratoire libérale et les électeurs sont de plus en plus attirés par les partis néo-nationalistes de droite populiste, dont certains se déclarent islamophobes assez ouvertement.
En fin de compte, les leaders politiques/leaders potentiels appuyés par les élites transnationales – tels que Mark Rutte aux Pays-Bas, Angela Merkel en Allemagne et Emmanuel Macron en France – font face à de sérieux défis avec Geert Wilders du Parti pour la liberté et Marine le Pen en 2017.
Par conséquent, ils doivent montrer, au moins dans les semaines qui précèdent les élections dans leurs pays (l’élection générale néerlandaise aura lieu le 15 mars) qu’ils adoptent une position plus nationaliste, en particulier quant à la présence musulmane en Europe et la «menace» de l’islam. Et donc, de leur point de vue, les rassemblements politiques tenus en Europe en faveur du Président islamiste de la Turquie sont la meilleure occasion pour cela, d’autant plus que ce dernier se lie d’amitié avec l’épouvantail numéro un des élites transnationales : Vladimir Poutine.
Tout de suite après cela, les globalistes ont privilégié le candidat à la présidentielle française, l’ancien banquier d’affaires et soi-disant «centriste», Emmanuel Macron, qui a a appelé la France à soutenir ses partenaires européens et à «rejeter les abus de la part du gouvernement turc», qui, selon lui, ciblent «les valeurs européennes».
Cependant, cette stratégie profondément cynique de dénigrement de la Turquie pour obtenir l’approbation des électeurs pourrait facilement se retourner contre ses initiateurs. Si c’était une partie de whist, où les trèfles seraient les atouts, alors Erdogan tiendraient un as et un roi, tandis que les leaders européens, avec tout leur franc-parler retrouvé, n'auraient entre les mains qu’un sept et un cinq.
Un nouvel afflux massif de migrants peut propulser Marine Le Pen à l’Elysée et mettre fin au règne d’Angela Merkel en Allemagne
L’as d’Erdogan c’est la menace d’ouvrir les frontières turques pour permettre aux millions d’autres réfugiés d’entrer en Europe. En réalité, cette menace avait déjà été prononcée en novembre dernier, au cas où l’UE bloquerait les négociations d’adhésion.
Un nouvel afflux massif de migrants peut propulser Marine le Pen à l’Elysée et mettre fin au règne d’Angela Merkel en Allemagne.
Le roi Erdogan pourrait être tenté de se rapprocher encore plus de Moscou et annoncer qu’il envisage de «réviser» l’adhésion de la Turquie à l’OTAN. Cela provoquerait aussi la panique dans les capitales occidentales.
En juin de l’année dernière, Foreign Policy, qui appartient au Washington Post, a publié un article intitulé Comment résoudre le problème Erdogan.
On peut s’attendre à d'autres choses de ce genre dans les publications des néo-conservateurs au cours des semaines à venir. Mais n’oubliez pas que tout cela, tout comme le terrorisme de l’Etat islamique et d’Al-Qaïda, est un «problème» créé par les élites transnationales.
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