L'adoption du CETA, en dépit d'une pétition signée par quatre millions de personnes, atteste de l’arrogance et du mépris que portent aux peuples européens les institutions européennes, selon l'économiste Hélène Clément-Pitiot.
RT France : Le Parlement européen vient d'adopter le CETA. Cela veut-il dire que la bataille pour ses opposants est perdue ?
Hélène Clément-Pitiot (H. C. P.) : Tout est facilité au contraire quand l’évidence des intentions se démasque. C’est bien le sens de la résistance qu’il faut poursuivre contre ce nouveau tour de rouleau-compresseur européen. Aujourd’hui 15 février 2017, le Parlement européen a en effet voté en faveur du CETA ! Le Comprehensive Economic and Trade Agreement, accord de 1 600 pages, fruit de négociations secrètes depuis 2010... enfin révélé depuis quelques mois. Cet accord devra permettre la libéralisation croissante du commerce entre l'Europe et le Canada en supprimant 99% des droits de douane.
Avec ces milliers de pages, comme les funestes memoranda qui tuèrent la Grèce, cet accord est encore un bel exemple du «bureaucratisme européen», illisible pour le commun des mortels. On connait déjà le sens de telles dérives bureaucratiques à travers l’histoire, en Chine ancienne, comme plus près de nous en URSS. Des exemples qui inspirent l’UE toujours plus, et qui deviennent une évidence pour de plus en plus d’Européens qui souhaitent sauver l’idée d’une Europe harmonieuse de cet empilement de règlements émanant d’instances non élues. En face, l’UE se crispe : défiance vis-à-vis des peuples, goût du formalisme et de l’uniformisation. Des mots clés de la doctrine du fonctionnalisme qui tirent plus que son inspiration théorique des cercles de juristes du IIIe Reich. Les archives de plus en plus ouvertes et lues en attestent. Cette bureaucratie européenne se nourrit à nouveau de la soumission des peuples : près de quatre millions de personnes signataires d’une pétition contre les accords du CETA. Qu’elle reste ignorée atteste de l’arrogance et du mépris que portent aux peuples européens ces institutions.
L’UE s’affiche toujours plus anti-démocratique
Les «experts» seuls habilités à donner des avis se chargent avec les lobbies de mener le jeu. Ainsi l’UE s’affiche toujours plus anti-démocratique...
Ça n’a pas échappé aux Britanniques, qui de plus en plus soutiennent leur décision du Brexit et en Angleterre, il est un principe démocratique toujours actif : on ne revient pas sur un vote populaire. La démocratie est trop importante pour envisager de la détruire à la manière pratiquée dans les pays européens qui ne respectent plus le referendum.
RT France : Quelles conséquences économiques cet accord aura-t-il sur le marché français, notamment sur l'agriculture ?
H. C. P. : Les «bons» experts habilités, les mêmes certainement qui promettaient des miracles de l’Euro grâce à leur modèle – un accroissement de 200% des relations a-t-on lu parfois ! – nous disent qu’avec le CETA ce sera 25% de plus pour le commerce de l'Union avec le Canada. Qui profitera et qui perdra ?
L’expérience de longues années de promesses, de mensonges, d’erreurs de modélisation, de crises qu’on ne pouvait soi-disant pas prévoir... poussent à la méfiance naturelle.
Les évaluations de ces experts sont hors des contextes, eux-mêmes différents d’un lieu à un autre de l’Europe, mais ce n’est jamais pris en compte.
Fruits de calculs théoriques avec des hypothèses fausses sur les situations concurrentielles en jeu, elles donnent les tendances qui plaisent aux initiateurs de contrats.
Le CETA sera un pas de plus dans l’aggravation de la crise des campagnes en France
Déjà la tendance est claire sur les évolutions voulues par les instances européennes et leurs effets hors des modèles mais bien sur les territoires : le CETA sera un pas de plus dans l’aggravation de la crise des campagnes en France. De nombreux territoires sont déjà laminés par la désindustrialisation des petites villes et par la concurrence agricole des grandes exploitations agro-industrielles qui se sont constituées grâce à la réunification allemande. La politique internationale à courte vue a en plus aggravé le trait, les sanctions russes et contre-sanctions pèsent aux mêmes endroits.
Cette stratégie européenne est incohérente avec la structure agricole française, faite de savoir-faire et de tradition. L’industrialisation de l’agriculture française au nom de la rentabilité et de la concurrence qui veut salarier les agriculteurs dans de grands holdings agricoles monopolistes à la sauce Bayer-Monsanto, n’est pas l’avenir radieux du paysan français.
Elle est aussi incohérente avec ce qui reste une des richesses les plus importantes de la France : son attrait touristique. En dépit des désillusions des visiteurs de la capitale, les régions françaises attirent toujours, parce qu’il y règne encore un certains sens de la vie française, ambiance et esprit que ses habitants s’attachent tant bien que mal à préserver. Et ce malgré bien des menaces. L’heure sonnera-t-elle un jour de la mort des campagnes, comme dans ces régions de Moldavie ou de Bulgarie vidées par l’Europe de ses population et réduites à la désolation ? Une mort par suicide, en effet, qui touche chaque semaine un agriculteur français : il ne peut plus faire face à ses dettes, à l’image qui y est donnée dans son pays qu’un migrant à faux passeport est plus à choyer que lui. Lui, descendant de combattants de Verdun, de Narvik ou bien de résistants que le fascisme allemand et ses collaborateurs zélés avait aussi condamnés à mort.
Ce monde de l’histoire ignorée, cachée et qui tue toujours de même, comment la supporter ? Seuls la foi et l’espoir font vivre les Français qui résistent. Maladies économiques, suicides, la Russie a connu aussi ces drames durant la thérapie de choc et ils ont en Europe la même source. Ils procèdent d’une même logique de mort, fruit de l’austérité imposée par les élites européennes. On vous parle de liberté dans l’avortement économique et bientôt l’euthanasie économique mais cette liberté est celle du désespoir qui se voit dans les territoires de la France. Paris est hors sol, et méprise la France.
Le gouvernement français se plait à jouer sur les mots, les illusions, la communication, ce n’est pas nouveau
RT France : François Hollande et son gouvernement se sont ouvertement prononcés contre le TAFTA. Pourquoi alors opter pour le CETA, un autre accord de libre-échange ?
H. C. P. : Le gouvernement français se plait à jouer sur les mots, les illusions, la communication, ce n’est pas nouveau. On fait croire qu’on a un avis d’un côté puis de l’autre ; on dit et on fait voter autre chose en commentant éventuellement qu’il n’y avait pas d’autre alternative. Ainsi PS et LR ont voté le CETA en cœur, comme Emmanuel Macron, le candidat des financiers et des médias, le leur demandait... Et on dit aux Français que c’est la pression européenne, obligatoire ! Les gens sont dupés, les politiques et les médias pensent qu’ils ne s’en rendent pas compte et que c’est si facile de continuer.
Quand au TAFTA lui-même, de fait, il est mort. Le CETA est en somme ce qu’il en reste... Les Etats-Unis ont tourné la page de ces accords faussement concurrentiels qui ruinent les territoires. Avec le CETA, les Européens jouent au coq (c’est l’année du coq !) en voulant donner des leçons aux Etats-Unis et à Donald Trump. Ce côté pathétique illustre bien la politique française en ce moment. Au diable le futur, on brade... l’Etat n’est plus rien, sinon le règne des arrangements entre amis et familles. Les Français ne pourront pas dire qu’ils ne voyaient rien ! Ils vivent dans un «régime de souveraineté limitée» en reprenant le terme utilisé pour les satellites de l’URSS. Le CETA limitera encore plus ce qui reste de souveraineté dans le domaine de l’environnement, du droit et bien sûr dans le quotidien de chacun. Espérons que les lourdeurs bureaucratiques des procédures de confirmation des votes et les applications de l’accord permettront aux Français de respirer et de réagir. L’intérêt de la décision d’aujourd’hui est que cette souveraineté limitée de la France se donne encore plus à voir. Les Français et tout particulièrement les Françaises savent ainsi chaque jour davantage, avec ce qui les entoure, qu’ils sont à la veille d’un choix de société que Michel Houellebecq a si bien illustré dans son dernier roman au titre édifiant : Soumission. Cet écrivain s’inscrit dans une lignée d’hommes de lettres français qui ont eu le don de respirer leur époque.
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