Dans son interview au Figaro, l'ex-champion du monde d’échecs Garry Kasparov a annoncé que fermer RT serait «un bon début». Le journaliste Pierre Lévy livre le fond de sa pensée sur cette déclaration on ne peut plus provocante.
«Prenez la chaîne Russia Today, qui est devenue un outil de propagande essentiel, et qui ne cesse de répandre des fausses informations. Commencez par l’interdire, afin d’éradiquer cette propagande. Ce sera un bon début.»
Ces mâles propos émanent de Garry Kasparov, ancien champion du monde d’échecs et farouche opposant au Kremlin. Ils ont été publiés par Le Figaro (24/01/17), qui, il y a cinq ans (01/11/12), lui ouvrait déjà ses colonnes. A l’époque, le stratège de l’échiquier annonçait que la position du président russe était en passe de s’affaiblir notablement.
On peut pointer l’amusant paradoxe qu’un si aimable projet en matière de liberté de la presse ait pu être recommandé par un combattant autoproclamé des «droits de l’Homme»
Cette fois, il faut remercier Monsieur Kasparov pour sa franchise. Même parmi les adversaires de Moscou les plus acharnés, peu ont osé réclamer à haute voix une interdiction pure et simple de RT. Face à cette audace, plusieurs réactions sont possibles.
On peut légitimement s’indigner d’une tentation liberticide aussi ouvertement affichée. On peut également pointer l’amusant paradoxe qu’un si aimable projet en matière de liberté de la presse ait pu être recommandé par un combattant autoproclamé des «droits de l’Homme».
On peut aussi sourire de voir un héraut du camp occidental fustiger les «fausses nouvelles» à l’image de l’hystérie actuelle qui prête à la Russie les plus sombres méthodes de «désinformation». En la matière pourtant, la compétence et les performances des dirigeants, institutions et médias occidentaux n’est plus à prouver. De la première guerre d’Irak (1991) jusqu’à la stratégie ouverte de renversement du président syrien (lancée en 2011), on ne peut tenir le compte des inventions et mensonges promus par les responsables politiques et ceux qui les relaient. En 1999, le porte-parole d’une OTAN alors engagée dans la guerre contre la Yougoslavie lâchait, avec une candeur cynique, cette phrase restée célèbre : «L’opinion, ça se travaille.»
Chaque jour apporte son lot de déclarations qui traduisent non plus l’inquiétude, mais comme un début de panique
On peut surtout être attentif à l’état d’esprit qui étreint depuis quelques semaines les élites mondialisées – et qui peut faire perdre le sens des réalités à certains de leurs fantassins. Depuis l’élection de Donald Trump en particulier, celles-ci semblent voir leur monde amorcer un basculement vertigineux. Chaque jour apporte son lot de déclarations qui traduisent non plus l’inquiétude, mais comme un début de panique. Parmi tant d’autres, Manuel Valls, évoquant récemment sa frayeur de voir s’esquisser une «alliance Trump-Poutine», lâchait : «C’est la fin du monde.»
On peut enfin méditer sur l’exhortation de Monsieur Kasparov, qui conclut à propos de son appel à l’interdiction de RT : «Ca sera un bon début.»
Hélas, notre estimé confrère du Figaro n’a pas eu la curiosité de demander au champion d’échecs ce qui pourrait suivre ce «bon début». Une diagonale du fou ?
Ou bien l’amorce d’une fin de partie pour l’ordre mondial libéral ?
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