Depuis sa décision de ne pas se représenter François Hollande n'a pas commenté la primaire de gauche. L'essayiste Eric Verhaeghe y voit une «affaire un peu lamentable» qui fait passer les règlements de comptes personnels avant les intérêts de l'Etat.
RT France : En voyage en Amérique du Sud, François Hollande a choisi de ne pas commenter le résultat du premier tour de la primaire. Il n'a d'ailleurs fait aucun commentaire sur les débats, allant au théâtre pendant l'un d'eux. Ce silence du président est-il étonnant ?
Eric Verhaeghe (E. V.) : François Hollande aurait eu la possibilité de finir son mandat de façon prestigieuse ou, du moins, élégante en prenant une position conforme aux intérêts de la France. Malheureusement on constate qu'il préfère prendre une position capricieuse digne d'un congrès du parti socialiste. Il pourrait, dans l'intérêt de l'Etat, soutenir ouvertement la politique qu'il a menée et essayer d'instaurer une sorte de continuité en manifestant sa préférence pour Manuel Valls qui lui a été fidèle et loyal. Mais par son silence, on sent bien qu'il manifeste sa réticence vis-a-vis du personnage et du programme. Ce qui est absurde ! On a l'impression qu'il y a une sorte de règlement de comptes, de rivalité entre les personnes. On a l'impression que l'Etat en est prisonnier comme dans un congrès du Parti socialiste. Alors qu'on aurait pu sortir par le haut de cette affaire un peu lamentable.
Le silence de François Hollande manifeste bien ce qu'a été son quinquennat : une succession de caprices personnels, de petits calculs et d'arrangements
RT France : Cela peut-il être préjudiciable pour Manuel Valls ?
E. V. : C'est toute la particularité du quinquennat de François Hollande. Il est tellement catastrophique qu'on ne sait pas si son silence est préjudiciable ou non. Peut-être que Manuel Valls pourrait se dire que sa position serait pire s'il bénéficiait du soutien officiel de François Hollande. Il n'en reste pas moins que, du point de vue de l'élégance, le silence de François Hollande manifeste bien ce qu'a été son quinquennat depuis le début : une succession de caprices personnels, de petits calculs et d'arrangements. L'intérêt de l'Etat est passé derrière toutes ces considérations extrêmement aristocratiques.
RT France : Ce silence ne peut pas être vu pour vous comme le choix de François Hollande de rester dans sa position de président plutôt que de se présenter en chef de la majorité de gauche ?
E. V. : Je ne sais pas si François Hollande est un homme de gauche ou s'il a été un président. Mais il incarne sans doute la fin d'une époque. On le voit bien suite aux résultats des primaires des deux grands partis, celle de la droite et celle de la Belle Alliance - qui est en fait le faux nez du parti socialiste. L'élite traditionnelle sortie de l'ENA, qui bénéficiait beaucoup des arrangements de couloirs et de connivences, est en train d'être balayée. François Hollande, c'est la fin de cette époque. Il est arrivé au pouvoir dans le sillage de François Mitterrand. Il a progressé grâce au système et à l'héritage de François Mitterrand. Or ce système-là fait aujourd'hui l'objet d'un rejet viscéral. Tous ceux qui incarnent la génération Mitterrand sont aujourd'hui repoussés. C'est le cas de Vincent Peillon et de François Hollande. C'est le cas dans une certaine mesure de Manuel Valls. Une génération différente arrive. Le naufrage de François Hollande est donc aussi celui de tout un système fondé sur l'accession au pouvoir par la connivence, par le copinage et les arrangements de couloir. Le scrutin démocratique, quoi qu'on en pense, est en train de promouvoir une nouvelle génération.
Le report des voix de l'élite du parti socialiste vers Emmanuel Macron est un vrai danger pour sa candidature
RT France : Certains analystes se demandent si ce silence n'est pas une manière de ménager un futur report de la part du camp Hollande vers Emmanuel Macron. Une voie que semble avoir d'ors et déjà choisie Ségolène Royal. Une telle situation pourrait-elle asseoir la position d'Emmanuel Macron dans les sondages ou au contraire le desservir ?
E. V. : Aujourd'hui la candidature d'Emmanuel Macron est très soutenue par les médias et par une forme de superficialité qui est la caractéristique profonde de la génération Hollande. Je pense que si une partie des soutiens de François Hollande se reporte sur Emmanuel Macron, le caractère très illusoire de sa candidature apparaîtra clairement. Elle ne fera qu'amplifier la dimension «homme du système» qu'incarne déjà Emmanuel Macron. De ce point de vue, je serais lui, je me méfierais de la vague à venir : celle du report massif de l'élite du PS sur sa candidature. Elle pourrait très bien être le baiser de la mort de sa campagne. Aujourd'hui Emmanuel Macron est très soutenu par les médias. Objectivement sans eux, sa candidature n'existerait même pas. Le report des voix de l'élite du parti socialiste vers Emmanuel Macron est un vrai danger pour sa candidature.
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