Ennui et déliquescence du PS : c'est le constat d'Eric Coquerel, élu du Parti de Gauche, après le premier débat de la primaire de la gauche. Un échec prévisible qui décrédibilise, selon lui, le futur vainqueur. Quel qu'il soit.
RT France : «Assommant», «fastidieux», «une gauche à bout de souffle» : les internautes, journalistes et politiques ont tous pointé du doigt un premier débat de cette primaire de la gauche ennuyeux. Quel est votre ressenti ?
Eric Coquerel (E. C.) : Très franchement je me suis tenu de le regarder parce que je suis en campagne et que cela me semblait nécessaire. Mais sinon j'aurais zappé rapidement. Ce débat avait un côté somnifère. Je ne sais pas si vous avez remarqué mais à part Jean-Luc Bennahmias, qui n'avait pas de cravate, les autres avaient tous la même veste, la même cravate bleue et cela reflétait le côté somnolent de ce débat. Quand je dis cela, ce n'est pas une posture politique, je pense que ça a été assez communément admis.
RT France : Les audiences ont également reflété cet ennui. Est-ce que ce quasi échec était prévisible ?
E. C. : Oui, ça l'était car je crois que tout le monde sent bien que cette primaire n'a pas une force politique suffisante pour susciter l'intérêt. Pour ma famille politique, le principe des primaires n'est pas une voie vers laquelle nous pensons qu'il faut aller. C'est une américanisation de la vie et des campagnes politiques et un vote censitaire. La primaire de la droite, pour des raisons politiques qu'on pourra comprendre, a manifestement et clairement mobilisé son camp.
Le Parti socialiste n'est pas en état de pouvoir prétendre à rassembler toute la gauche comme il pouvait le faire il y a vingt ans
RT France : Qu'a-t-il manqué aux candidats lors du débat : des idées, de la personnalité ?
E. C. : C'est simplement qu'on est face à la primaire du Parti socialiste. Et qu'aujourd'hui ce parti n'est pas en état de pouvoir prétendre rassembler toute la gauche, comme il pouvait le faire il y a vingt ans, sur la foi d'un rapport de force électoral incontestable. On voit bien que ce n'est plus le cas aujourd'hui. Cette primaire se réduit au parti socialiste qui est en pleine crise, qui vient de gouverner le pays à droite pendant cinq ans. Comment voulez-vous aller chercher un électorat au-delà des électeurs encore convaincus par ce parti ? On a un congrès du parti socialiste en direct et cela n'intéresse personne.
La version sous laquelle le revenu de base est présenté dans ce débat s'appuie sur l'idée que le plein emploi n'est plus possible
RT France : L'un des points essentiels du débat s'est tenu sur la question du revenu de base ou universel, une idée qui avait déjà fait son apparition dans la primaire de la droite. Est-ce un sujet qui aura sa place dans le débat présidentiel ?
E. C. : Bien sûr que c'est un débat qui peut avoir sa place, mais on voit bien dans la façon dont il a été lancé par Benoît Hamon - et dans une autre version par Manuel Valls - que cela a été fait de manière totalement improvisée, afin de peser dans le débat politique et se singulariser des autres candidats. Il y a un problème majeur dans la façon dont ce revenu de base est présenté : elle repose sur l'idée que le plein emploi n'est plus possible. Cela rejoint tous les discours libéraux qui disent qu'il faudra se faire à l'idée qu'il y a une masse de chômeurs qui sera quasiment incompressible. Nous, nous ne pensons pas cela. La question n'est pas d'avoir un revenu de base, qui, de plus, est largement en-dessous du seuil de pauvreté. Nous voulons un partage du temps de travail, des mesures comme le droit opposable au travail, permettre d'éradiquer la pauvreté en s'occupant de tous ceux qui se retrouvent dans cette situation-là de façon à ce qu'ils ne vivent pas en dessous du seuil de pauvreté. La réponse que nous apportons part de l'idée qu'il faut avant tout partager le travail et les richesses. Je trouve que la façon dont cette mesure est proposée par Benoît Hamon, et dans une version encore plus dure par Manuel Valls, est une façon de ne pas avoir à poser ces problèmes-là. Et ça a été largement improvisé.
Quel que soit le vainqueur de cette primaire, il sera confronté à la question : «A quoi sert ma candidature ?» en face de candidats capables d'aller au deuxième tour de la présidentielle
RT France : Ce peu d'enthousiasme autour de la primaire de la gauche est bénéfique pour la campagne de Jean-Luc Mélenchon qui veut se poser en alternative crédible à gauche. Y a-t-il un candidat de la primaire que vous préfériez voir l'emporter dans cette perspective ?
E. C. : Je ne crois pas au succès de cette primaire. Je pense qu'elle est d'autant plus délégitimée que l'on voit bien qu'il sera très difficile pour Arnaud Montebourg ou Benoît Hamon de faire campagne pour Manuel Valls s'il gagne. Et inversement, si l'un des deux premiers l'emporte. Ce que je crois, c'est que quel que soit le vainqueur, il sera confronté à une difficulté : l'espace dans lequel il compte rassembler est déjà occupé et occupé de manière bien plus efficace. Si Manuel Valls l'emporte, il sera face à l'espace libéral dans la continuité de la politique du gouvernement durant ce quinquennat. Il est déjà pris par Emmanuel Macron. Benoît Hamon et Arnaud Montebourg auront le même problème vis-à-vis de Jean-Luc Mélenchon. Quelle serait la légitimité de dire : «Je suis élu donc Emmanuel Macron, Yannick Jadot ou Jean-Luc Mélenchon doivent me rejoindre» ? On voit bien qu'il n'y en a pas car les sondages les créditent de moitié moins d'intentions de vote que Jean-Luc Mélenchon. Ils n'arrivent pas non plus à autant de personnes que lui dans les salles de meeting. Quel que soit le vainqueur de cette primaire, il sera confronté à la question : «A quoi sert ma candidature ?» en face de candidats capables d'aller au deuxième tour de la présidentielle.
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