A quelques jours du premier tour de la primaire de droite, le résultat est incertain. Les favoris sont talonnés par François Fillon. Après le Brexit et Trump, les sondages auraient-ils encore raté le coche ? Décryptage avec Claude Posternak.
RT France : Depuis un an, les sondages donnent le duo Alain Juppé-Nicolas Sarkozy au deuxième tour de la primaire de la droite et du centre, pourtant ces derniers jours François Fillon apparaît comme le troisième homme. Un sondage l'a même donné vainqueur au second tour quelque soit son rival. Est-ce possible qu'au deuxième tour l'un des deux favoris soit absent ?
Claude Posternak (C. P.) : C'est très clairement une possibilité. Il y a cinq ans, à la primaire de la gauche, les gens avaient choisi celui qui était le meilleur pour battre Nicolas Sarkozy. Les électeurs de droite vont se poser la même question : quel est celui qui a le plus de chance d'empêcher un second mandat du PS ? Cette problématique change un peu la donne, ça peut fragiliser Nicolas Sarkozy. François Fillon creuse son sillon depuis longtemps. Quand il est arrivé à Matignon il y a 10 ans, il a dit que la France était en faillite, c'est ce qui a constitué son périmètre d'image. Il est resté cohérent avec ça, contrairement à Sarkozy qui est Monsieur Zig-Zag. François Fillon prend plus de temps à être entendu car c'est plus facile d'aller dans tous les sens et de faire du bruit. Donc aujourd'hui, il y a trois possibilités Fillon-Sarkozy-Juppé et rien n'est joué.
Juppé peut même être éliminé au premier tour. Tout est possible à la primaire dimanche [20 novembre].
RT France : Mais au détriment de qui cette remontée subite de François Fillon se fait-elle ?
C. P. : Ce qui est sûr, c'est que François Fillon émarge sur Alain Juppé et sur Bruno Le Maire. Nicolas Sarkozy dispose d'un noyau d'inconditionnels. Il peut lui arriver n'importe quoi. Même les aveux de Takkieddine à Mediapart, ça ne change absolument rien pour eux. On se retrouve dans une situation où Alain Juppé peut même être éliminé au premier tour. Tout est possible.
RT France : L'une des explications de la remontée de François Fillon est que jusqu'à présent les sondeurs avaient sous-évalué son poids dans la campagne. Comment est-ce possible ?
C. P. : Cette sous-évaluation vient du fait que personne ne sait qui va aller voter. Les sondeurs interrogent des gens qui devraient aller voter mais on ne peut pas savoir s'ils iront véritablement le faire. Alors comment être sérieux et dire que tel candidat a le plus de chance ? Sachant que la donne change si il y a 1 million de votants ou 3 millions. Ce qui est dommage c'est d'avoir systématiquement mis en avant Alain Juppé et Nicolas Sarkozy et mis de côté François Fillon. C'est une erreur des commentateurs et des sondeurs.
D'autant que je crois peu à la mobilisation d'une partie de la gauche. Lors de la primaire socialiste, la droite n'est pas venue, même les électeurs des Verts ne sont pas venus. Ça va se jouer entre militants et sympathisants. Alain Juppé est vu comme la droite molle, Nicolas Sarkozy comme trop risqué face aux affaires qui s'accumulent contre lui. François Fillon devient alors une vraie réponse de droite. L'électorat peut prendre ça en compte. Il peut y avoir une résonance dans les votes. Mais personne n'est devin, il faut rester sérieux dans les commentaires.
Comment peut-on dire qu'une personne qui a voté Verts ira plutôt sur tel candidat de la primaire?
RT France : Les sondeurs ont récemment connu de grands ratés lors du référendum sur le Brexit ou de la victoire de Trump. En Allemagne, les chances de l'AfD, et en Autriche, celles de Höfer ont été sous-évaluées... Pourquoi y a-t-il un tel décalage entre les sondages et la réalité ?
C. P. : Il y a deux paramètres à prendre en compte. On l'a vu aux Etats-Unis, il y a beaucoup de personnes qui ont voté pour Trump mais ne le déclaraient pas. On a eu la même chose pendant longtemps en France avec le Front national, même si maintenant ça c'est stabilisé. Il y a des gens qui ne répondent pas aux questions en toute transparence.
Et puis, il y a aussi le problème de l'affinage des sondés qui rend les résultats non-représentatifs. Comment peut-on dire qu'une personne qui a voté Verts ira plutôt sur tel candidat de la primaire ? Sur un échantillon de 1 000 personnes, le poids des Verts c'est 2%, soit 20 personnes. Je ne vois pas comment ça peut être significatif, ni comment on peut en déduire ce que va penser l'électorat vert dans une primaire ou ailleurs. Autant vous pouvez avoir un échantillon représentatif quand vous demandez aux gens s'ils sont de droite ou de gauche, ça fait quasiment 50-50, là ça une valeur scientifique. Mais quand vous affinez pour dire ce que va voter un électeur Vert ou Front de gauche, ça ne l'est pas. Les sondeurs le savent et ne devraient ni le faire ni le dire.
C'est une réalité qu'il faut faire attention aux sondages.
RT France : Certains candidats à la primaire comme Jean-Frédéric Poisson ou François Fillon ont régulièrement dans leurs meetings ou lors des débats déclaré se méfier des sondages. Est-ce que la défiance des votants envers les sondages mais également envers les médias et les commentateurs peut devenir une stratégie politique efficace pour être élu?
C. P. : Non, c'est une réalité : il faut faire attention aux sondages. Le rappeler, c'est une stratégie quand on est mal classé, comme Jean-François Copé ou Jean-Frédéric Poisson à 2%. François Fillon a plus de légitimité à le faire parce qu'il sentait que quelque chose se passait dans l'opinion. C'est sûr qu'aujourd'hui, c'est une stratégie de se présenter en opposition au système médiatique et politique. Il y a un tel rejet ! Selon une étude du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), 91% des Français ne font plus confiance aux hommes et femmes politiques français. C'est énorme comme chiffre. Donc ceux qui sont anti-système, d'Emmanuel macron à Marine Le Pen, rentrent plus en résonance avec l'opinion.
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