La France est confrontée à une vaguee terroriste sans précédent. Des répercussions sur la communauté musulmane sont-elles inévitables ? Alain Juillet, ancien chef du renseignement français, répond aux questions de RT.
RT : Depuis deux ans, la France a été trois fois la cible d’attentats terroristes. Face à cette série d'attaques beaucoup de personnes se demandent : pourquoi la France ?
A. J. : Parce que nous avons été le premier pays à lutter contre eux en Syrie, les premiers, donc, à agir de manière aussi ferme. En outre, comme vous le savez, il y a deux ans, la France a voté une loi interdisant de porter le niqab dans l'espace public. Au regard de ces raisons, ils considèrent la France comme leur pire ennemi, et nous voyons les attaques se succéder. Le problème est que les choses ont évolué : avant c'était des meurtres ciblés ou des attaques contre une catégorie d’individus donnée (les juifs, les journalistes et d'autres), alors que, maintenant, avec le Bataclan en novembre et l'attentat de Nice, ils sont clairement passés à des meurtres de masse, ils ont envie de tuer les gens indépendamment de leurs origines, religion ou âge, ils veulent tuer le plus de personnes possible. En plus, ils aspirent à faire peur à notre population et à encourager les touristes potentiels à éviter de venir en France. Telle est leur politique.
La France est un pays qui a toujours connu des migrants. A chaque fois nous avons toujours réussi à trouver une solution
RT : Un nombre sans précédent de forces armées patrouillent les rues, pourtant les célébrations du 14 juillet à Nice n'ont pas été suffisamment sécurisées. Pourquoi ?
A. J. : Trouver le lieu possible pour un attentat est un problème pour le terroriste. Par exemple, pendant l'Euro-2016, il était très difficile pour eux de faire une attaque dans les endroits encombrés, parce que tout était contrôlé et le système sécuritaire mis en place en France s'est sans doute avéré très efficace. Ils se sont retournés vers Nice, parce que c'était également encombré, mais à la différence des autres éventements, celui-là n'était pas sécurisé par les forces de l’ordre, étant donné que personne n'avait songé à la possibilité d'une attaque. L'attaque peut survenir à n'importe quel moment, mais on ne pensait pas que c'était là une cible prioritaire.
Le nombre des terroristes potentiels a été largement réduit
RT : Les auteurs d'attentats en France sont non seulement sous l'influence d'une idéologie radicale, mais ils partagent également la haine contre la France, le pays où ils vivent, où ils sont nés, où ils ont grandi. Pourquoi la deuxième ou troisième génération des migrants haït le pays qui est leur pays natal ?
A. J. : Ne faites pas d'erreur. La France est un pays qui a toujours connu des migrants venant du Nord, du Sud, de l'Est, de l'Ouest, nous en avons toujours eu. A chaque fois, à un moment donné, on est face au besoin de les intégrer et on rencontre des difficultés. A chaque fois, au bout du compte, nous avons toujours réussi à trouver une solution. Tous ces migrants ont été assimilés et sont devenus Français. Le problème, maintenant est que certains représentants de la deuxième génération de ceux qui sont venus du sud, d’Afrique du Nord et d’Afrique, sont extrêmement inquiets et frustrés, parce qu'ils ont des difficultés à trouver un emploi, à travailler dans notre pays, à cause du chômage que nous avons dans le pays. Du coup, ils réagissent de deux manières : certains d'eux ne font qu'attendre, estimant que le gouvernement français ne fait pas pour eux ce qu'il devrait faire, alors qu'une petite partie d'entre eux cherche à lutter contre ce gouvernement, ce régime, ce pays où on ne les reconnaît pas. C'est comme ça qu'ils deviennent terroristes. Heureusement, le nombre des terroristes potentiels a été largement réduit. Mais une seule personne peut faire beaucoup de choses, ce qui est déplorable.
Ce n'est pas la première fois que la France souffre du terrorisme, donc c'est une question de temps pour réduire le risque à zéro
RT : Le chef du service français de renseignement intérieur a annoncé à la commission parlementaire que la France était au bord d’une guerre civile entre l’extrême droite et le monde musulman. Croyez-vous qu'on en soit arrivé là ?
A. J. : Non, pas du tout. On ne peut pas dire ça. Il y a beaucoup de musulmans en France. L'islam est la deuxième religion en France et la grande majorité des musulmans est très heureuse de vivre en France et ne veut rien changer. Vraiment, ça n’est qu’une petite partie... Et cette partie-là, à cause des difficultés, elle a maintenant des liens avec ceux qui font des vols à main armée, les trafiquants de drogue, avec des gens violents. Par conséquent, les personnes violentes des cercles criminels et celles qui font du terrorisme créent cette instabilité en France aujourd'hui. Mais ce n'est qu'une question de temps. Je suis sûr que dans un, deux ou trois ans tout cela sera fini. Ce n'est pas la première fois que la France souffre du terrorisme, et ce n'est non plus la dernière, donc c'est juste une question de temps pour résoudre ce problème et réduire le risque à zéro.
RT : Ces attentats sont-ils susceptibles de provoquer une répression policière contre la communauté musulmane ? Est-ce ce que Daesh veut vraiment ?
A. J. : Non. Ils ont essayé. La stratégie de Daesh est absolument claire. Ils veulent créer une opposition entre le peuple musulman et le reste de la population en France. Mais ils ont fait une grosse erreur, parce que la grande majorité des musulmans font partie du système Français et n'ont rien envie de changer. Ils ne veulent pas revenir dans leur pays d'origine, être impliqués dans ces histoires. Ils sont restés très calmes, sans bouger, jusqu'à présent, la police le sait très bien. La police est consciente de tout cela. La police française et l'armée française ne tomberont jamais dans ce piège, je crois. Ils vont voir la différence entre les vrais musulmans et des terroristes qui sont une sorte de secte et rien de plus.
Si l'on oublie nos valeurs, on perdra, Daesh gagnera, et c'est cela l’inacceptable
RT : Les attaques de Bruxelles ont révélé des lacunes dans la sécurité des aéroports, des gares, du métro, ce qui a poussé certains pays européens à imposer un contrôle aux frontières et à réduire la liberté du mouvement des individus. Où se trouve la frontière entre les valeurs démocratiques de l'UE et la sécurité ?
A. J. : Vous avez la réponse en France, dans la législation : le parlement a voté il y a quelques mois ce qu'on appelle une «loi de l’information» portant sur la recherche des informations. Celle-là ne ressemble pas à un Patriot Act américain, elle respecte nos valeurs, mais en même temps, avec cette loi, il est beaucoup plus difficile d'agir contre la République, contre notre pays. Je pense que beaucoup de pays européens on eu la même réaction après l'attentat de Bataclan ou ceux de Bruxelles : l'Allemagne, l'Espagne, l'Italie, la Grande-Bretagne, tous ces pays ont décidé d'être plus fermes, de renforcer le contrôle, toute en gardant à l’esprit nos valeurs. Parce que si l'on oublie nos valeurs, on perdra, Daesh gagnera, et c'est cela l’inacceptable.
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