La perte de la «substance démocratique» engendrée par l’euro a «des conséquences dramatiques» pour la France. Elle «entraîne une corrosion inéluctable du pacte républicain, et risque de mener à la guerre civile», considère l'économiste Jacques Sapir.
La question de la compatibilité entre l’euro et un système démocratique se pose aujourd’hui avec une acuité toute particulière. Cette monnaie a imposé à la France de céder sa souveraineté monétaire à une institution non élue, la Banque Centrale européenne. Elle lui impose maintenant d’abandonner à la Commission européenne, elle aussi non élue, des pans entiers de la politique budgétaire et fiscale. Que reste-t-il donc du pacte politique qui veut que le consentement à l’impôt ait pour contrepartie le contrôle souverain de la représentation populaire sur le budget du pays ?
Ce processus avait déjà commencé dans la période antérieure (de 1993 à 1999), avec l’établissement d’un statut d’indépendance de la Banque de France. Mais il ne faisait sens qu’en raison de la mise en place à venir de l’euro. On constate, néanmoins, que ce premier abandon de souveraineté fut décisif.
La perte de la substance démocratique engendrée par l’euro a des conséquences dramatiques pour notre pays. Cette perte entraîne une corrosion inéluctable du pacte républicain, et risque, par ses conséquences, de nous conduire à la guerre civile.
Nous sommes revenus à la situation d’avant 1789. Le lien entre le citoyen et le contribuable a été rompu
L’euro avant l’euro
L’indépendance de la Banque de France, instaurée après le traité de Maastricht a été une étape décisive dans la perte de la souveraineté monétaire. Mais, l’indépendance des Banques centrales résulte en réalité du processus de sa mise en œuvre. Or, ce qu’implique ce premier abandon de souveraineté est encore plus important que cet abandon lui-même. Une fois que vous avez laissé à d’autres le choix de la politique monétaire, vous devez admettre que ces «autres» vont déterminer par leurs actions les règles budgétaires que vous devrez suivre. Privé de sa liberté de faire varier les paramètres de la politique monétaire, le gouvernement perd l’un des principaux instruments de politique économique. Mais, il perd aussi en partie le contrôle de ses ressources fiscales, car ces dernières sont étroitement liées au niveau d’activité économique ainsi qu’au taux d’inflation. En effet, les ressources fiscales sont des grandeurs nominales (et non des grandeurs réelles). Plus élevé est le taux d’inflation et plus grandes seront les ressources fiscales. Notons, enfin, qu’une partie du déficit public constitue bien une «dette» similaire à celle des agents privés qui empruntent pour pouvoir commencer une activité productive. Se pose alors la question de son rachat, en tout ou partie, par la Banque centrale. Mais, cela, l’euro l’interdit.
Les conséquences politiques de l’euro
Ne pouvant plus ajuster la politique monétaire aux besoins de l’économie, le gouvernement découvre qu’il doit se plier à des règles strictes dans le domaine budgétaire et fiscal. Si un pouvoir extérieur fixe désormais la politique monétaire, il faudra à terme que le même pouvoir fixe les règles budgétaires et fiscales. C’est ce que le TSCG, ou traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, adopté en septembre 2012, a institutionnalisé. Si le processus budgétaire échappe au contrôle du gouvernement, il en va de même pour le processus fiscal. Or, le fondement de TOUTE démocratie réside dans le fait que la représentation du peuple, le Parlement, doit avoir – et lui seul – le dernier mot en matière de budget et d’impôt. Nous sommes donc revenus à la situation d’avant 1789. Le lien entre le citoyen et le contribuable a été rompu.
La politique d’abandon du politique de la part des politiques ne peut que mener le pays soit à la tyrannie soit à la guerre civile
L’euro et la crise politique
C’est la cause de la crise de la démocratie. Elle se manifeste d’abord par une abstention importante lors des différents scrutins. Cela se manifeste aussi par un repli vers différentes communautés et la montée du «communautarisme». Or cette montée du communautarisme prend désormais un tour tragique avec les attentats commis par des «jihadistes» sur le territoire national. De ce point de vue, la situation a été aggravée par le laxisme et les compromissions de l’Etat et de certains de ses élus, par clientélisme (Voir Pina C., Silence Coupable, Paris, Kero, 2016), avec les représentants de cette idéologie.
Il faut impérativement mettre fin à ces pratiques. La politique d’abandon du politique de la part des politiques ne peut que mener le pays soit à la tyrannie soit à la guerre civile. Mais cela impose de redonner aux politiques les moyens d’agir, et cela dans tous les domaines.
Retirant aux gouvernements le moyen d’agir, l'euro accrédite l’idée de leur impuissance
Les Français, se sentant désormais de moins en moins citoyens, et ce d’autant plus que l’on a de cesse de galvauder ce mot dans des emplois qui sont autant de contre-sens, se replient sur ce qui semble leur offrir une protection : communautés religieuses, communautés d’origines… Ce faisant, ils se précipitent vers la guerre civile. C’est là la critique la plus radicale que l’on peut faire à l’euro : celle de déchirer de manière décisive le tissu social et de dresser, à terme, les Français les uns contre les autres. Il n’est dans la logique de l’euro d’autre avenir que celui décrit par Hobbes : la guerre de tous contre tous.
Si l’on prend donc en compte tous les aspects, tant économiques, sociaux, fiscaux, mais aussi politiques, l’euro a eu, depuis maintenant près de 17 ans, un rôle extrêmement négatif. Retirant aux gouvernements le moyen d’agir, il accrédite l’idée de leur impuissance. Nous n’avons pas fini d’en payer le prix.
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Source : russeurope.hypotheses.org
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