Les problèmes structurels du système bancaire européen expliquent les crises financières que connaissent certains de ses membres. Le candidat à la présidentielle française, Jacques Nikonoff, partage avec RT sa vision de l'avenir de l'UE.
RT France : L'économiste Jacques Sapir estime que la situation des banques italiennes est critique. Pensez-vous que la crise en Italie peut se répandre dans l’Union européenne ?
Jacques Nikonoff (J. N.) : Je ne pense pas qu’elle puisse s’étendre parce que la situation est différente dans les autres pays en termes de développement économique. Le risque de contagion me paraît limité à l’heure actuelle. Il y a en réalité deux crises en Italie, la crise bancaire et la crise constitutionnelle. Plus exactement, on se dirige vers une crise constitutionnelle. Un référendum doit se tenir au mois d’octobre. Ce référendum a été convoqué par le gouvernement pour modifier les règles électorales et le bicaméralisme. Aujourd’hui en Italie, le Sénat a les mêmes pouvoirs que l’Assemblée nationale en matière de renversement du gouvernement. La question d'améliorer la stabilité gouvernementale en donnant, comme en France, la prééminence à l’Assemblée nationale sur le Sénat.
On sent que l’on arrive vers la fin du système de l’Union européenne, ça sent le sapin
Or, le mouvement cinq étoiles propose d’organiser un référendum sur la sortie de l’Italie de l’euro. Cet aspect très particulier éclaire la crise bancaire et la manière dont la grande presse occidentale et les responsables européens parlent de la crise bancaire en Italie, parce qu’en arrière plan, il y a la possibilité de la sortie de l’Italie de l’euro. Cela serait une situation politique encore plus difficile pour l’Union européenne. Aprèsla victoire du Brexit en Grande-Bretagne, ce serait encore une épine dans le pied du système de Bruxelles. Cette affaire peut entraîner un effet domino, il y a la Tchéquie, la Pologne, quel que soit leur régime politique, on sent que l’on arrive vers la fin du système de l’Union européenne, ça sent le sapin.
La crise bancaire italienne témoigne de l’absurdité du système européen
RT France : Quelles sont les particularités de la crise italienne ?
J. N. : La crise italienne témoigne également de l’absurdité du système européen, parce que l’union bancaire qui a été mise en place au 1er janvier 2016, interdit aux Etats d'aider les banques. Or, au moment de la crise de 2008, c’est bien l’intervention des Etats, aux Etats-Unis comme en Europe, qui a permis, comme l’a dit la grande presse, de sauver les banques. Un grand nombre de banques aujourd’hui n’existeraient plus si les Etats ne les avaient pas sauvées. Or, l’union bancaire interdit désormais aux Etats d’aider les banques et oblige ces dernières à se tourner vers leurs clients, vers leurs actionnaires.
Les Allemands se sont érigés eux-mêmes en gardiens de l’ordre monétaire européen et font pression sur le gouvernement italien
Le problème particulier de l'Italie, c'est qu'une partie significative des actionnaires des banques sont des personnes à revenu moyen et modeste, qui ont acheté des obligations bancaires. Par conséquent, si on leur demandait de mettre la main à la poche pour sauver les banques alors que c’est le rôle de l’Etat, ce serait une façon de voler les personnes peu fortunées qui ont placé leur épargne dans des obligations émises par les banques italiennes. Mais les Allemands se sont érigés eux-mêmes en gardiens de l’ordre monétaire européen et font pression, avec la Banque centrale européenne et les autres pays européens, pour interdire au gouvernement italien de permettre à l’Etat d’aider les banques. Les sommes ne sont pas énormes. On estime que ces aides de l’Etat pour recapitaliser les banques italiennes se situent entre 40 et 70 milliards d’euros, ce qui n’est pas grand-chose finalement.
Les menaces qui sont proférées contre le Portugal et l’Espagne peuvent, au lieu de résoudre les problèmes, les aggraver
RT France : Pensez-vous que la décision des ministres des finances de la zone euro de décréter des sanctions à l’égard de l’Espagne et du Portugal, témoigne d’une crise au sein de l’Union européenne ?
J. N. : Vous avez raison. L’application un peu mécanique de règles absurdes qui sont édictées au sein de l’Union européenne concernant les déficits publics – qui ont entraîné les politiques d’austérité – au lieu de résoudre les problèmes, on le voit, ne fait qu’aggraver le chômage, la précarité, les difficultés de toutes sortes pour la population. Les menaces qui sont proférées contre le Portugal et l’Espagne peuvent, au lieu de résoudre les problèmes, les aggraver. C’est en quelque sorte une fuite en avant de l’Union européenne, de ses dirigeants pour essayer de donner l’impression qu’ils gardent le contrôle. Ils tentent de faire preuve d’autorité parce qu’ils n'en ont plus. La réaction des dirigeants portugais et espagnols sera intéressante à cet égard. Ce sont des gouvernements qui sont très fragiles. S’ils obéissent aux dirigeants européens, ils risquent de susciter des troubles politiques et sociaux dans leurs pays. On ne sait pas ce qui va se passer sur ce plan. En tout cas, il y a des risques.
RT France : Pensez-vous que les troubles sociaux que vous évoquez en Espagne et au Portugal pourraient déboucher sur la volonté des peuples espagnol et portugais de sortir de l’Union européenne ?
J. N. : La situation est un peu différente entre le Portugal et l’Espagne. Au Portugal, il y a un front pour la sortie de l’euro qui est plus fort qu’en Espagne. Le parti communiste portugais – qui reste d’ailleurs assez influent – avec d’autres forces se prononce pour la sortie de l’euro. La situation est différente en Espagne. Il y a également le parti communiste espagnol qui s’est prononcé pour la sortie de l’Espagne de l’euro, mais le parti communiste espagnol est tout petit. Son alliance avec Podemos est faite sur des bases assez floues. Podemos reste favorable à l’Union européenne et à l’euro et risque de faire les frais de la situation parce qu’il n’a pas eu le succès qu’il escomptait lors des dernières élections législatives en Espagne.
Les turbulences dans l’Union européenne convergent vers une montée de l’appel à sortir soit du système de l’euro [...] soit de l'Union européenne
Je pense que la protestation populaire va se développer en dehors de Podemos. Il n’y a pas aujourd’hui en Espagne de structures syndicales et politiques organisées permettant d’organiser la protestation efficacement pour la sortie de l’euro, voire de l’Union européenne. Au Portugal il y a une partie de la CGT portugaise et du parti communiste portugais qui, avec leur influence, peuvent le faire. C’est donc une affaire à suivre. Tout ceci pour dire que les turbulences dans l’Union européenne avec le Brexit, la situation en Italie, au Portugal et en Espagne, ainsi qu’en République Tchéque et dans d’autres pays, parfois pour des raisons diverses, convergent vers une montée de l’appel à sortir du système de l’euro pour les pays qui sont dans l’euro, soit de l’Union européenne. C’est une situation très intéressante parce que c’est cela qui permet d’affaiblir les politiques néolibérales.
Le Grexit reste à l’ordre du jour
RT France : Certains experts disent que la situation est encore pire en Grèce qu’en Espagne et au Portugal. Cependant, les sanctions n'ont pas été décrétées contre la Grèce car les autorités européennes craignent un Grexit. Pensez-vous que ce soit le cas ?
J. N. : Le Grexit reste à l’ordre du jour parce que la trahison du Premier ministre Alexis Tsipras a été très mal vécue par la population grecque qui a été démoralisée par cette reddition. Les termes du troisième mémorandum qui est désormais appliqué par le gouvernement Tsipras sont pires que les deux premiers et aggravent la situation économique et sociale en Grèce, tout comme la situation politique et morale du pays. La question de la sortie de la Grèce de l’euro et même de l’Union européenne reste posée bien que, malheureusement, il n’y a que 30% à 40% des Grecs interrogés par les sondeurs qui sont favorables à la sortie de l’euro, ce qui, pour les dirigeants européens, ne constitue pas une menace. Au contraire, cela les encouragent à appuyer encore plus sur la tête des Grecs. C’est donc un élément qui n'est pas décisif parce que les Grecs aujourd’hui sont dans un état de dépression morale qui les a abattus.
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