Ce n'est pas uniquement la crise des banques italiennes qui risque de provoquer une nouvelle récession, la crise chinoise pourrait aussi avoir un impact sur la croissance européenne, estime l'économiste Dominique Plihon.
RT France : Certains disent que la prochaine crise économique dans l’Union européenne viendra de l’Italie. Partagez-vous cet avis ?
Les règles européennes sont peu favorables à une solidarité européenne pour le sauvetage des banques
Dominique Plihon (D. P.) : C’est une des possibilités. En effet les banques italiennes ne vont pas bien. Elles ont beaucoup de créances douteuses, ou comme on dit en anglais des «non performing loans», dans leurs bilans. Elles sont en très mauvaise santé et fragiles. Les règles européennes qui sont peu favorables à une solidarité européenne pour le sauvetage des banques et qui sont désormais moins favorables à une intervention des Etats dans ce que l’on appelle les nouvelles procédures de résolution des faillites bancaires, peuvent en effet mettre en difficultés le système bancaire et compte tenu des ramifications qui existent entre les banques italiennes, allemandes et européennes en général. Cela peut provoquer des réactions en chaîne.
Il peut y avoir un problème de propagation de la crise chinoise vers le reste du monde, notamment l’Europe
Le système bancaire italien est très mal en point mais il y a aujourd’hui d’autres régions du monde que l’Europe où il y a des systèmes bancaires en très mauvais état et je pense en particulier à la Chine. En ce moment, la Chine connaît une bulle immobilière énorme, beaucoup de banques ont des «non performing loans» dans le domaine immobilier, secteurs privé et bureaux confondus. Il y a donc un vrai problème en Chine et il n’est pas impossible qu’il que cette crise chinoise se propage vers le reste du monde, notamment vers l’Europe.
La Chine connaît une crise bancaire importante
Il y a deux cas de propagation possibles. Premièrement, les investisseurs européens ou américains qui ont mis des billes en Chine, même partiellement, peuvent perdre beaucoup d’argent et cela peut leur causer des problèmes. Deuxièmement, il y a la croissance, c’est-à-dire que si le secteur bancaire chinois connaît véritablement une crise importante, cette dernière aura un impact sur la croissance : les entreprises auront plus de mal à se financer, du fait du rationnement du crédit nécessaire pour sortir de cette crise. Etant donné que la Chine est un marché énorme pour les pays développés comme les pays européens – l’Allemagne par exemple exporte énormément en Chine – cela pourrait avoir des répercussions sur la croissance européenne.
RT France : Les actions de la Deutsche Bank ont chuté de 48% en un an. Cette banque est l'un des piliers de l’économie européenne. Certains experts prédisent que la Deutsche Bank pourrait devenir le nouveau Lehman Brothers. Pensez-vous que cela va être le cas ?
D. P : Je dirais non. Si une grande banque allemande est en grande difficulté, cela n’aura pas le même effet sur l’économie allemande ou italienne que si c’était une grande banque française. En France, si vous imaginez que BNP Paribas soit en difficultés, c’est tout le système bancaire qui pourrait être immédiatement touché, parce qu’il n’y a que des grandes banques. Il y aura alors un effet de contagion systémique très fort qui n’aura pas lieu en Allemagne, du fait de la fragmentation du secteur bancaire outre-Rhin.
Derrière cette baisse de la valeur en bourse, il y a en réalité une restructuration de la banque qui pourrait peut-être la rendre plus solide à l’avenir
La deuxième raison pour laquelle je ne pense pas que la Deutsche Bank sera un nouveau Lehman Brothers, c'est parce que la Deutsche Bank a procédé à une restructuration profonde. Avant, c’était une banque un peu comme les banques françaises, universelle, ou une banque qui servait à la fois de banque de détail et de banque d’investissement, comme c'est par exemple le cas de BNP Paribas ou de Société Générale. Or, les actionnaires de la Deutsche Bank ont fait pression et les dirigeants, qui ont d’ailleurs changé, ont profondément restructuré la banque pour la recentrer d’avantage sur les activités de banque de détail tournée vers l’économie réelle, délaissant une partie de leurs activités dans la banque d’investissement. Cela peut expliquer pourquoi la banque a perdu de sa valeur par rapport à l’évaluation qu’en font les marchés.
Ce n’est pas du côté de la Deutsche Bank qu’il faut regarder si on craint des changements ou des risques importants
Fondamentalement, derrière cette baisse de la valorisation boursière de Deutsche Bank, il y a en réalité cette restructuration qui pourrait peut-être la rendre plus solide à l’avenir parce qu’elle sera moins axée sur les activités de marché, comme dans le passé. Avant, c’était une banque dans laquelle la spéculation avait un rôle très important mais elle s’est réorientée. Ce n’est pas du côté de cette banque-là qu’il faut regarder si on craint des changements ou des risques importants.
RT France : Une analyse d’un ancien membre du comité de direction de la Banque centrale européenne, Lorenzo Bini Smaghi, affirme que l’Europe est extrêmement malade et qu’elle devrait commencer à faire face à ses problèmes très rapidement. Concernant le système bancaire, Lorenzo Bini Smaghi a également déclaré dans son analyse que l’Europe n’aura pas besoin d’un bail-out aussi important que celui des Etats-Unis. 150 milliards d’euros seraient suffisants pour recapitaliser les banques européennes. Pensez-vous que les Etats seront obligés de recourir au bail-out ?
D. P. : Dans le cadre de l’Union bancaire européenne, il y a un troisième pilier qu'on appelle pilier de résolution. C'est un système unique pour l’ensemble des pays de l’Union européenne et normalement, il est prévu qu’une procédure commune à tous les pays européens se mette en place pour venir en aide aux banques européennes qui seraient en difficulté. Cela devrait normalement faciliter le sauvetage des banques mais malheureusement, ce pilier est loin d'avoir été mis en place. De plus, les différents pays européens ne sont pas d’accord entre eux, en particulier l’Allemagne qui conserve la même attitude qu’elle a eue vis-à-vis de la Grèce et des pays de l’Europe du Sud. Elle ne veut pas payer pour les pays du Sud et pourrait donc bloquer le système pour empêcher ou ne pas accepter qu’il y ait un bail-out permettant de sauver une banque espagnole ou italienne par exemple. D’un côté, on a mis en place une procédure qui est, par principe, européenne, qui devrait faciliter les choses, mais d’un autre côté, comme les pays ne sont pas d’accord entre eux et que certains pays comme l’Allemagne ne veulent pas jouer le jeu de la solidarité européenne, on ne sait pas ce qu’il se passera.
Je pense qu’il y a un élément positif dans l’idée de dire que ce n’est pas au contribuable de payer, c’est aux actionnaires
RT France : Qu'en est-il du système de bail-in ?
D. P. : Quand une banque sait qu’elle va être sauvée – c’est l’argument de l’aléa moral – ses dirigeants vont avoir tendance à prendre plus de risques et à être moins rigoureux dans sa gestion. C’est notamment le cas des très grandes banques systémiques qui pensent que, quoi qu’il arrive, elles bénéficieront de mesures de sauvetage parce que leur défaillance pourrait menacer l’ensemble du système bancaire européen. C’est la raison pour laquelle, dans les nouveaux textes des résolutions européennes mais même dans les lois bancaires françaises, allemandes etc. on a mis en place un système de bail-in, c’est-à-dire un système pour que les banques sachent que si elles prennent trop de risques et enregistrent des pertes énormes, il ne faut pas qu’elles comptent sur un sauvetage automatique de la part des autorités publiques. L’idée est qu’à ce moment-là, ce sont les actionnaires qui devront payer, pas les contribuables. Je pense qu’il y a un élément positif dans le simple fait de dire que ce n’est pas au contribuable mais aux actionnaires de payer.
Le bail-in n’a pas que des inconvénients
Je pense donc que dans les nouvelles règles européennes, tout n’est pas mauvais. Il y a l’idée d’un bail-in en cas de difficultés des banques, et pas de bail-out. C’est quelque chose qui peut être bien pour d’une part, obliger les banques et leurs dirigeants à faire attention et à ne pas prendre trop de risques, sachant qu’ils seront de toute façon sauvés, et d’autre part, pour faire en sorte que ce soient les actionnaires qui payent et non pas les contribuables. Je crois que ce sont des règles qu’il ne faut pas rejeter et qui pourraient faire changer les comportements, c’est-à-dire que dans une prochaine crise bancaire, s’il y a une grosse banque qui est en difficulté, et si cette banque n’est pas sauvée ou en tout cas que l’on fait payer un maximum les actionnaires, c’est très bien.
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