Dans un discours prononcé après l'attentat de Rouen, François Hollande «se voulait martial» ; un discours qui fait «plus penser à Paul Reynaud (nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts) qu’à de Gaulle», estime l'économiste Jacques Sapir.
Le président de la République a fait, hier soir, une courte allocution télévisée à la suite du crime atroce commis par deux djihadistes, l’un et l’autre fichés «S» en l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray. L’instant était particulièrement solennel. Les mots utilisés par François Hollande sont importants. On connaît en effet la formule «le style c’est l’homme». Et ces mots, comme ce style, sont révélateurs des manques et des limites du personnage.
Сe nouveau crime appelait d’autres mots et les français attendaient autre chose
«Françaises, Français,
Un prêtre, le père Jacques HAMEL, un homme plein de bonté, a été sauvagement assassiné, égorgé dans une église à Saint-Étienne-du-Rouvray, au milieu de ses fidèles, eux-mêmes pris en otage. Les deux terroristes ont été abattus par la police. Je salue le courage de ces policiers qui sont intervenus dans un délai très court.
Cet acte abominable est une nouvelle épreuve pour la Nation alors que nous portons encore le deuil des 84 victimes de l’attentat de Nice et que Paris, l’année dernière, avait été si durement frappée.»
Si l’attaque de cette déclaration porte bien la solennité du moment, si François Hollande nous a épargné le «mes chers concitoyens» d’usage depuis Jacques Chirac, les deux paragraphes qui suivent retombent dans l’un des travers du président actuel. L’usage du registre compassionnel pose problème. Non que la compassion ne soit une valeur hautement respectable. Mais ce nouveau crime appelait d’autres mots et les français attendaient autre chose. On ne peut, en effet, rester en permanence dans ce registre. Il le dit lui-même, ce crime survient après celui de Nice. Et, déjà, l’attentat de Nice était l’attentat de trop, celui qui exige des autorités un autre discours. Les dirigeants qui ont fait l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, Churchill, de Gaulle, ont-ils usés et abusés du registre compassionnel ? Ce passage révèle en réalité la profonde inadéquation tant du discours que du personnage de François Hollande dans la situation actuelle. Et le mot cruel, mais hélas si juste, de Jean-Luc Mélenchon à l’égard de François Hollande revient à la mémoire : capitaine de pédalo. Nous n’exigeons pas de tout dirigeant qu’il se hisse à la hauteur de ses illustres prédécesseurs. Mais les Français sont en droit d’attendre que ceux qui n’en sont pas capables cèdent la place à ceux qui – eux – sauront faire face à cette situation à la fois dramatique et exceptionnelle.
Est-ce par peur que le président a évité le mot laïcité ?
«Les catholiques de France et du monde sont meurtris, mais ce sont tous les Français, quelles que soient leurs convictions et leur confession, qui se sentent atteints au fond d’eux-mêmes. Attaquer une église, tuer un prêtre, c’est profaner la République qui garantit la liberté de conscience. C’est semer l’effroi car ce que veulent les terroristes, c’est nous diviser, nous séparer, nous opposer, nous déchirer.»
Le président de la République ici se trompe, soit par ignorance – ce qui est peu probable – soit à dessein, ce qui est pire. La République garantit la liberté des cultes, dans le cadre de la laïcité et non la seule «liberté de conscience » qui est un principe restrictif au regard de la laïcité. Ce que les djihadistes et leurs complices dans une fraction de l’Islam politique remettent en cause c’est bien la laïcité. C’était ce mot, devenu un marqueur politique important, qu’il fallait employer. Le fait qu’il ne l’ait pas été soulève alors des questions fondamentales : est-ce par peur que le président a évité ce mot ou bien est-ce pour signifier qu’il entend reculer de la laïcité, qui – on le rappelle – implique le cantonnement des religions dans la sphère privée vers la notion de simple «tolérance» qu’implique la «liberté de conscience» ? Est-ce qu’il ne se souvient donc pas que la République est dite «laïque» dans notre Constitution ?
Honte à notre Président d’avoir choisi des mots qui laissent à penser qu’il est prêt à reculer
En parlant de «conscience», François Hollande se place sur le versant individuel. Or, ce qui est mis en cause par ce crime, c’est un principe d’action collective, la laïcité. La laïcité est un principe d’organisation politique alors que la tolérance est une valeur individuelle. Rappelons que quand Bodin se décide à écrire le Colloque des sept savants ou Heptaplomeres (Bodin J., Colloque entre sept savants qui sont de différents sentiments des secrets cachés des choses relevées, traduction anonyme du Colloquium Heptaplomeres de Jean Bodin, texte présenté et établi par François Berriot, avec la collaboration de K. Davies, J. Larmat et J. Roger, Genève, Droz, 1984, LXVIII-591, désormais Heptaplomeres), sa conclusion tient en trois points : il faut que nous restions ensemble plutôt que de retourner chacun dans sa communauté religieuse ; il nous faut travailler au bien commun ; il faut limiter la religion à la sphère privée. Ces points sont essentiels. Ils définissent le périmètre de la République sur la question religieuse. Reculer sur ces points, c’est reculer sur les principes les plus fondamentaux. Honte à notre président d’avoir choisi des mots qui laissent à penser qu’il est prêt à reculer.
Le Président prend le contrepied de ceux qui, chez les «Républicains», appellent à des actes d’exception
«Face à cette menace qui n’a jamais été aussi grande en France comme en Europe, le gouvernement fait preuve d’une détermination absolue dans la lutte contre le terrorisme. Il mobilise tous les moyens humains et matériels, avec une présence à un niveau jamais atteint sous la Ve République de nos policiers, de nos gendarmes et de nos militaires sur l’ensemble de notre territoire.
Le gouvernement applique et appliquera avec la plus extrême fermeté les lois que nous avons fait voter et qui donnent à la justice, aux préfets, aux forces de l’ordre et aux services de renseignement la capacité d’agir, amplifiée par la prolongation et le renforcement de l’état d’urgence.
Mais je le dis clairement, restreindre nos libertés, déroger à nos règles constitutionnelles n’apporterait pas d’efficacité dans la lutte contre le terrorisme et affaiblirait à coup sûr la cohésion si précieuse de notre Nation.»
Le président prend ici le contrepied de ceux qui, chez les «Républicains», appellent à des actes d’exception. Il est vrai que la situation, pour grave qu’elle soit, ne le nécessite pas. Mais, quand bien même elle le nécessiterait, cela ne signifierait pas la fin de la démocratie et de la République. On sait que les études de cas proposées dans l’ouvrage de David Dyzenhaus, The Constitution of Law, aboutissent, à une critique du positivisme. Cette dernière est fondamentale. Elle permet de comprendre comment l’obsession pour la rule by law (i.e. la légalité formelle) et la fidélité au texte tourne bien souvent à l’avantage des politiques gouvernementales quelles qu’elles soient. A quelques reprises, l’auteur évoque ses propres analyses des perversions du système légal de l’Apartheid (Dyzenhaus D, Hard Cases in Wicked Legal Systems. South African Law in the Perspective of Legal Philosophy, Oxford, Clarendon Press, 1991) en rappelant que cette jurisprudence avilissante tenait moins aux convictions racistes des juges sud-africains qu’à leur «positivisme» ( Dyzenhaus D., The Constitution of Law. Legality In a Time of Emergency, op.cit., p. 22).
L’état de droit n’est pas l’alpha et l’oméga de la République. Il faut par contre se demander si les lois existantes ont été appliquées avec la rigueur nécessaire. Et, sur ce point, qu’il nous soit permis d’en douter.
«Notre pays doit éviter les surenchères, les polémiques, les amalgames, les suspicions. Notre pays fait la guerre. Une guerre à l’extérieur – c’est le sens des décisions que j’ai prises en Syrie et en Irak –, fait la guerre à l’intérieur en lutte contre la radicalisation, en traquant les individus djihadistes, en éradiquant les réseaux criminels et nous continuerons.»
L’état d’urgence est aujourd’hui bien plus un acte de communication qu’un acte de nécessité
Le président reprend le thème de la guerre. Mais ce n’est pas une guerre que la France mène mais bien deux. On ne reviendra pas ici sur les errements de notre intervention en Irak ou en Syrie. Ce qui est fait devrait l’être différemment. Mais, dans notre pays, les mesures d’urgences qui s’imposent n’ont pas été prises. On les rappelle car elles sont simples :
- Interdiction du financement étranger direct des lieux de culte et associations cultuelles.
- Contrôle par le ministère de l’Intérieur des prêches et expulsion des prédicateurs refusant les principes figurant dans le préambule de la Constitution (et en particulier de l’article premier du préambule de notre Constitution), ainsi que ceux appelant à la haine (et ceci sans entrer dans les arguties théologiques qu’impliquerait une interdiction spécifique des mosquées «salafistes» ; la République n’a pas à prendre partie entre courants et chapelles au sein d’une religion).
- Interdiction aux Français étant allés combattre dans une organisation terroriste et génocidaire de revenir sur le territoire national. Cette mesure de bannissement, qui n’implique pas la perte de la nationalité, aurait pu être employée contre l’un des auteurs du crime de Saint-Etienne-du-Rouvray.
Ces mesures ne nécessitent pas l’état d’urgence et peuvent être prises dans le cadre législatif normal. Elles montrent que l’état d’urgence est aujourd’hui bien plus un acte de communication qu’un acte de nécessité.
«C’est dans la persévérance que nous l’emporterons. Je vous dois aussi cette vérité, cette guerre sera longue. Ce qui est visé, c’est notre démocratie. Elle est la cible, elle sera notre bouclier. C’est notre unité qui fait notre force.
Alors, Françaises, Français, faisons bloc, c’est ainsi que nous gagnerons la guerre contre la haine et contre le fanatisme car je vous l’assure, cette guerre, nous la gagnerons. Vive la République et vive la France !»
Le président se veut martial. Hélas, les mots, comme le ton utilisé, font plus penser à Paul Reynaud (Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts) qu’à ceux de de Gaulle ou de Churchill. Certes, on devine que François Hollande n’est ni l’un ni l’autre. Mais on peut légitimement se demander s’il est à sa place.
Du même auteur : Cinq questions sur Nice
Source : russeurope.hypotheses.org
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