La décision du roi du Maroc, Mohammed VI, de réintégrer l'Union africaine (UA) va conférer une meilleure valeur ajoutée à l'organisation, estime le politologue Mustapha Tossa.
RT France : Qu’est-ce qui a poussé le roi Mohammed VI à vouloir revenir dans l'Union africaine ?
Mustapha Tossa (M. T.) : Deux raisons principales ont poussé le roi à exprimer la volonté du royaume de revenir au sein de l’Union africaine. La première, c’est que les récentes évolutions de la politique africaine du Maroc ont connu énormément de succès. Lors de ses récentes visites dans un certain nombre de pays africains, le Maroc a montré qu’il était présent économiquement et politiquement et qu’il y avait une demande de la part de ces pays africains pour que le Maroc retrouve pleinement sa position au sein de l’Union africaine. Les dernières tournées du roi du Maroc l’ont montré concrètement. Il n’y a qu’à voir l’accueil populaire et les véritables demandes formulées par des pays africains qui disent que le Maroc ne doit pas rester en dehors de la famille africaine.
Le roi du Maroc signale qu’il veut que son pays assume son rôle de puissance africaine pleine et entière et il ne peut le faire que s’il réintègre les structures de l’Union africaine et s’implique dans son leadership
Le deuxième facteur c’est que depuis un certain temps, à cause des performances multiples de la diplomatie marocaine qui a proposé l’autonomie comme sortie le Sahara Occidental de la crise, et grâce à son activisme, de nombreux pays africains ont retiré leur reconnaissance diplomatique aux séparatistes du Front Polisario et à la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Ils sont en effet de moins en moins nombreux à le soutenir au sein de l’Union africaine, d’où la décision marocaine de revenir et de demander à la direction de l'UA d'être en cohérence avec la tendance observée au sein de ces pays africains. La stratégie du Maroc c’est de dire : «Nous allons revenir dans l’Union africaine et nous vous proposons d’observer une neutralité à l’égard de ce conflit, sachant qu’il est sur la table des négociations aux Nations unies. On ne peut pas anticiper l’issue de conflit, il faut attendre que le processus se termine au sein des Nations unies et, à ce moment-là, vous pourrez prendre position, soit en soutenant le résultat de ce processus, soit en prenant d’autres positions. C’est ce que le roi appelait la neutralité de l’Union africaine. Mais il y a aussi une raison psychologique : il ne faut pas oublier que le roi du Maroc signale depuis un certain nombre d’années qu’il veut que le Maroc assume son rôle de puissance africaine pleine et entière et il ne peut le faire que s’il réintègre les structures de l’Union africaine et s’implique dans son leadership.
Le fait que le Maroc soit en dehors du cadre africain était anormal pour une telle puissance régionale
RT France : Est-ce déjà décidé ? D'autres pays ou courants politiques marocains peuvent-ils s'y opposer ?
M. T. : Le roi l’a dit, au sein du Maroc cette décision est mûrement réfléchie et collective. Toutes les forces politiques de la nation sont favorables à ce que le Maroc fasse des efforts pour revenir dans l’Union africaine qui est sa place naturelle. Le fait qu’il soit en dehors du cadre africain était anormal pour une telle puissance régionale qui aspire à jouer un rôle de liaison entre les continents africains et européens, de liaison économique entre les grandes puissances comme la Russie, la Chine et l’Europe qui comptent sur le Maroc pour être leur porte d’entrée en Afrique. Toutes ces raisons-là militaient pour que le Maroc réintégre l’Union africaine.
Il y aura bien sûr des oppositions, les militants acharnés du séparatisme vont tout faire pour faire échouer cette initiative. Mais je crois que si le roi de Maroc a décidé d'annoncer cette intention à l'occasion du 27e sommet de l’Union africaine à Kigali, c'est parce qu'il y avait beaucoup de rencontres diplomatiques de haut niveau avec des dirigeants africains, et une volonté de préparer un cadre général pour accueillir le Maroc et essayer de donner une logique à sa présence dans l’Union.
ll faut absolument suivre le Maroc pour éviter à la région une balkanisation et une déstabilisation
Le consensus international est qu'il faut convaincre les derniers réticents, à savoir l’Algérie, le Front Polisario et quelques pays comme le Venezuela et l’Afrique du Sud de suivre pleinement le Maroc pour éviter à la région une balkanisation et une déstabilisation. Il y a de plus en plus de rapports très pointus sur le plan international qui montrent la conjonction sécuritaire extrêmement dangereuse entre les organisations terroristes comme Daesh ou AQMI [Al-Qaïda au Maghreb islamique] et les camps du Front Polisario. Tous les travaux diplomatiques actuels sont concentrés pour empêcher une déstabilisation de l'ensemble de la région.
Le Maroc est traditionnellement, historiquement, connu en Afrique comme un médiateur, stabilisateur de conflits sur beaucoup de territoires africains
RT France : Quelles seront les conséquences de la réintégration de l'Union africaine pour le Maroc ?
M. T. : Une réintégration du Maroc dans la famille institutionnelle africaine signifie automatiquement un rôle accru sur les plans économique, politique et diplomatique dans tout le continent africain. Le roi du Maroc l’a déjà initié, il a lancé des projets structurants sur un certain nombre de pays. Le Maroc est un grand investisseur, presque le premier investisseur dans certains pays, il va encore renforcer sa présence économique et bien sûr politique et militaire afin de s'impliquer dans la stabilisation des pays et déboucher sur la résolution des conflits.
L’Union africaine disposera d'une importante valeur ajoutée si le Maroc intègre ses structures dirigeantes
Il ne faut pas oublier qu’avant de connaître le phénomène du séparatisme du Front Polisario, le Maroc est traditionnellement et historiquement connu en Afrique comme un médiateur, stabilisateur de conflits sur beaucoup de territoires africains. Réintégrer l'UA va lui donner encore plus de poids et d’importance pour jouer un rôle de médiateur. Avec le Maroc dans ses rangs, l’Union africaine sera plus audible sur le plan international. Le Maroc a une voix qui compte en Europe, aux Etats-Unis, en Russie et en Chine. Il a des relations exceptionnelles avec les pays du Golfe. Il a donc un réseau de relations extrêmement importantes qu'il mettra au service de la stabilité et de la prospérité de l'Afrique. Le Maroc accueille dans quelques mois la COP-22, c’est extrêmement important pour l’Afrique, car voilà un pays africain qui accueille un sommet mondial sur l’écologie après celui de Paris. L’Union africaine disposera d'une importante valeur ajoutée si le Maroc intègre ses structures dirigeantes.
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