Terrorisme : «Une faillite de nos services de renseignement et de la coopération internationale»

Terrorisme : «Une faillite de nos services de renseignement et de la coopération internationale»© Charles Platiau Source: Reuters
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Le gouvernement français, sera-t-il bientôt privé de son immunité et obligé d'être responsable de ses fautes ? Samia Maktouf, avocate franco-tunisienne, partage avec RT son avis là-dessus.

RT : Les membres de familles de 17 victimes des attentats à Paris du 13 novembre 2015 s’apprêtent à porter plainte contre le gouvernement. Qu’est-ce qui les y pousse ?

Samia Maktouf (S. M.) : Les familles des victimes des attentats du 13 novembre ont décidé de porter plainte contre l’Etat parce qu’il y a eu de très graves disfonctionnements de la part des services de l’Etat, notamment dans le cadre de la surveillance d’un des assaillant, kamikaze du Bataclan Samy Amimour. Je vous rappelle que Samy Amimour était mis en examen pour avoir appartenu à une filière terroriste de recrutement vers la Syrie, il était interdit de voyager. Pour autant, Samy Amimour a pu violer les conditions du contrôle judiciaire, parce qu’ils n’allait pas pointer de manière hebdomadaire comme c’était prévenu par la décision de la justice et cela n’a jamais été sanctionné. Samy Amimour qui avait l’interdiction de quitter le territoire a pu refaire son passeport pour déjouer tout contrôle de la police de l’air et des frontières. Tout cela constitue d’extrêmement graves erreurs et graves disfonctionnements. Le service de renseignement français n’a pas fonctionné comme il fallait pour répercuter cette violation du contrôle judiciaire. Rien n’a été porté à la connaissance des services de renseignement internes ou externes pour interdire la fuite de Samy Amimour et bien d’autres terroristes connus, suivis et ayant tous des profils de personnes radicalisées.

Les familles considèrent que la mort de leurs enfants, leurs proches, leurs maris n’est pas une fatalité : ils sont morts parce que l’Etat français n’a pas assuré leur protection

RT : Il y a eu 130 victimes lors des attentats à Paris. Est-ce que d’autres familles vont rejoindre aux plaignants ?

S. M. : Probablement oui, parce qu’aujourd’hui le mot d’ordre des familles c’est «plus jamais ça».  Les familles considèrent que la mort de leurs enfants, leurs proches, leurs maris n’est pas une fatalité : ils sont morts parce que l’Etat français n’a pas assuré leur protection. Ils sont morts parce qu’on n’a pas empêché les personnes connues pour avoir des profils de terroristes de passer à l’action. Lorsqu’on vit dans une démocratie, les citoyens ont le droit de vivre en paix, de s’attendre à ce que l’Etat les protège et empêche les personnes connues pour être radicalisées et en voie de passage à l’action.  Aujourd’hui plusieurs services de renseignement ont failli. La coopération internationale n’a pas fonctionné.  C’est un peu la guerre des services qui existe depuis très longtemps. Déjà les différentes services internes n’ont pas communiqué entre eux. Pire encore, au niveau européen ça n’a pas fonctionné, au niveau international non plus. Nous avons vu récemment à Istanbul que l’attentat terroriste a mis le point sur des lacunes de la coopération internationale. Aujourd’hui la lutte contre le terrorisme doit être considérée comme une priorité par l’ensemble des Etats. Aujourd’hui le terrorisme c’est une gangrène qui frappe tous les pays : on a vu à Orlando que même les Etats-Unis qui ont pris des mesures extrêmement dures à l’issue de l’attentat terrible de 2001 [ont été touchés]. Il est certain qu’il y a une faillite de nos services de renseignement et de la coopération internationale. 

Aujourd’hui les familles vont aller jusqu’au bout, peu importent les chances du succès, ce qui est important, c’est de faire bouger les lignes

RT : Le soldat français Abel Chennouf a été tué en 2012 par le terroriste Mohamed Merah surveillé par les services français. La famille du soldat décédé vient de gagner le procès contre l’Etat. Pensez-vous que cela créé un précédent pour les familles des victimes des attentats à Paris ?

S. M. : Nous disposons aujourd’hui d’un support très important, c’est le rapport de la commission parlementaire française qui a permis de mettre à la lumière de très graves disfonctionnements de différents services de l’Etat français de renseignement intérieur et extérieur.  Nous disposons au niveau européen du rapport du comité, ce rapport qui est l’équivalent de la police des polices en Belgique a permis de mettre également à la lumière différents disfonctionnements extrêmement graves, je cite un exemple, le cas des frères Salah Abdeslam. Ces frères étaient connus, étaient fichés, surveillés, interpellés à trois reprises, des personnes ont dénoncé le passage à un acte terroriste et on n’a jamais pris au sérieux.  On n’a même pas ouvert une enquête. D’ailleurs, ces familles que je représente m’ont mandaté pour maîtriser un recours contre l’Etat belge, ce que j’ai fait. Aujourd’hui les familles vont aller jusqu’au bout, peu importent les chances du succès, ce qui est important, c’est de faire bouger les lignes.  Ce qui est important, c’est ce que disent les familles : «On ne veut plus jamais ça».

Une politique de lutte contre le terrorisme ne pourra jamais aboutir s’il n’y a pas en dehors de travail effectué entre les différents services de l’Etat de coopération internationale

RT : De quoi est-ce que témoigne le jugement du tribunal dans l’affaire d’Abel Chennouf dans le domaine de la politique sécuritaire française ?

S. M. : Avec la décision rendue hier par le tribunal administratif de Nîmes, on a bien vu que l’Etat français ne bénéficie plus d’immunité. L’Etat, s’il a commis des fautes, doit être considéré responsable.  Il faut saluer le courage de ces juges, c’est une décision audacieuse.  Une politique de lutte contre le terrorisme ne pourra jamais aboutir s’il n’y a pas en dehors de travail effectué entre les différents services de l’Etat de coopération internationale. Il faut que l’Etat réalise qu’il doit être exemplaire, tout mettre en œuvre pour préserver la vie de ses concitoyens.  Vous avez vu de mes exemples, de celui de Samy Amimour, il y a de quoi s’inquiéter.  C’est pourquoi les familles veulent poursuivre cette action pour engager la responsabilité de l’Etat et on tentera toutes les actions nécessaires, parce qu’il faut faire bouger les lignes, parce qu’aujourd’hui le terrorisme c’est la priorité de tous, il peut frapper partout, n’importe où et tuer n’importe qui.

RT : Les autorités affirment qu’il est quasiment impossible d’éliminer tous les extrémistes ou des terroristes qui agissent tout seuls. Comment évaluez-vous les chances pour la victoire des familles des victimes dans leur procès ?

S. M. : C’est une brèche ouverte par la décision du tribunal administratif de Nîmes qui va permettre aux victimes du 13 novembre et d’autres victimes de demander la condamnation de l’Etat. Aujourd’hui nous avons dans le cadre de cet attentant des preuves incontestables du dysfonctionnement grave des services de l’Etat. C’est sur la base de ses erreurs que nous allons poursuivre l’Etat, que ce soit le rapport de la commission parlementaire ou l’enquête judiciaire qui est encore en cours.  Cette enquête nous permet et permettra encore plus d’engager la responsabilité de l’Etat.

 Lire aussi : Commission sur les attentats de 2015 : pas de «gros ratés» mais des failles dans le renseignement

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