Jean Petaux, politologue à Sciences Po Bordeaux revient sur le recours au 49.3 pour faire passer la loi travail. Il estime que malgré les motions de censure déposées, le gouvernement n'a pour l'instant rien à craindre.
RT France : Manuel Valls a utilisé le 49.3 pour la deuxième fois, comment interprétez vous ce recours à la force ? Selon vous ce passage en force était-il prévu dès le départ ?
Jean Petaux (J.P.) : En effet le recours au 49.3 était prévu dès le départ, même si dans ce genre de situation plusieurs scénarii sont possibles, et il n’y a pas de certitude. On s’en est très vite rendu compte dès le début des débats. Plus le texte était amendé, on l’a vu avec les 5 000 amendements déposés, à la fois qualitativement et quantitativement, plus on pouvait se douter qu’une double stratégie était engagée de la part des opposants. Tout d’abord une dénaturation du texte initial, pour en faire un élément complètement contradictoire par rapport aux intentions premières affichées, et des manœuvres de retardement pour faire jouer la montre et faire durer le plus longtemps possible les débats.
Le recours au 49.3 était prévu dès le départ, même si dans ce genre de situation plusieurs scénarii sont possibles
Depuis 1958, c'est la 86ème fois que le 49.3 est employé, il a concerné à peu près 50 textes de loi. Par exemple, pour la loi Macron, Manuel Valls a utilisé l’article deux fois. Il peut y avoir plusieurs utilisations du 49.3 sur un même texte de loi. Sur les 50 textes adoptées grâce à cela, on s’est rendu compte que le texte ne pouvait pas passer par les voies « classiques » à cause d’une pression quantitative excessive sur la boite noire parlementaire et il fallait donc en sortir grâce à cet article.
RT France : La motion de censure déposée pour la droite n’est pas passée, à quelques voix près. Pour celle de gauche il manquait à peine deux voix pour qu'elle soit déposée. Cela va-t-il laisser des traces à gauche ?
J.P. : La motion de censure de la droite a été rejetée à plus de 40 voix, donc il y a une quarantaine de voix de sécurité pour le gouvernement Valls. Pour la motion de censure que la gauche a voulu déposer, en réalité il n’y a que 26 signataires membres du groupe socialiste qui ont signé le texte pour déposer la motion. Les trente supplémentaires forment une sorte de conglomérat un peu disparate. D’un côté des élus Front de Gauche, derrière André Chassaigne, des élus EELV comme Cécile Duflot et s’ajoute un certain nombre d’électrons libres comme Thomas Thevenoud, Jean Lassalle ou Pouria Amirshahi… Pour les socialistes la dissidence est moins importante que ce que le chiffre laisse imaginer.
Si l’expression « discipline de groupe » avait encore un sens, il est évident que les 26 seraient dégagés, ils sont dans une situation qui est propice à des mesures disciplinaires.
Cela va laisser des traces, car cela correspond à 10% du groupe socialiste. Cela risque de poser des problèmes en terme d’investiture en 2017 pour les législatives. Les 26 dissidents sont dans une situation assez particulière par rapport à la discipline de groupe. C’est la raison pour laquelle aucun Aubryste n’a signé la proposition de motion de censure. Si l’expression « discipline de groupe » avait encore un sens, il est évident que les 26 seraient dégagés, ils sont dans une situation qui est propice à des mesures disciplinaires.
A partir du moment où les 56 qui ont signé le dépôt de motion de censure disent qu'ils ne mêleront par leur voix à la droite, il n’y a pas de risque majeur pour le gouvernement.
RT France : Qu’est-ce que cela prédit de l’avenir de la gauche de Hollande pour 2017 ? Peut-on parler de deux gauches dorénavant ?
J.P. : C’est comme si il y avait une forme de nouveau congrès de Tours. Le congrès de Tours a signé le grand divorce du SFIO et la création de deux partis qui ne se sont jamais réconciliés et réunis, à savoir le PS avec le SFIO d’un côté et le PC avec le SFIC. Pour l’instant le PS n’a pas explosé et les frondeurs dissidents n’ont pas encore rejoints Jean-Luc Melenchon. Nous sommes dans un contexte particulier, où l’air du temps n’est pas à la création de parti politique. Les partis politiques n’ont pas le vent en poupe, la période n’est pas à la création d’organisation partisane.
La question d’un examen de conscience politique et idéologique pour le PS se pose de manière urgente
Incontestablement en terme idéologique, de programmation et de ligne politique le PS est en confronté à un vrai débat de ligne qui se manifeste au sein du groupe parlementaire par des cas de dissidences. Aux frondeurs s'ajoute le groupe des Aubryste, qu’on peut estimer à 50 députés, qui ne sont pas sur la ligne de François Hollande. La question d’un examen de conscience politique et idéologique pour le PS se pose de manière urgente, mais l’urgence peut prendre des mois voire des années…
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