La création par l'actuel ministre français de l'Economie, Emmanuel Macron, du mouvement «ni de gauche ni de droite» est une confirmation pour les socialistes qu’il ne fait pas partie de la gauche, juge le politologue Philippe Marlière.
RT France : Emmanuel Macron a lancé le 6 avril un mouvement politique dénommé «En marche». Cela signifie-t-il qu’il se distancie du gouvernement ou qu'il se prépare à donner une nouvelle impulsion à sa carrière politique ?
Philippe Marlière : Je crois que cela veut essentiellement dire qu’il essaye de garder différentes options ouvertes. Il est membre du gouvernement, dont la durée d’existence maximale [restante] est d’un an et, effectivement, il prépare l’avenir.
Il ne prend pas forcément de la distance vis-à-vis du gouvernement. Il a toujours un poste important, il est ministre des Finances et je ne pense pas qu'il veuille quitter son poste, mais il prépare l’avenir. Dans un an il y aura une élection, et, vraisemblablement, les socialistes vont perdre le pouvoir. Il devra donc faire autre chose. D’où, je crois, la création de ce mouvement, qui n’est pas un parti politique, ce n’est pas vraiment un think tank, c’est une figure un peu hybride.
Emmanuel Macron n’est pas membre du Parti socialiste, il est important de le rappeler. Je pense qu’il se sent très libre pour avoir ce genre d’initiatives, qui, à mon avis, vont se multiplier au sein du Parti socialiste. Toute personne qui a des ambitions personnelles et politiques va certainement faire des choses un peu similaires. Ce qui est très intéressant, c'est qu'il a créé une structure souple et, surtout, qu'il affiche une ambition particulière : rassembler au-delà de la droite et de la gauche.
Je trouve que c’est très significatif de la démarche : c’est un mouvement «En marche», en marche vers les milieux économiques, financiers et patronaux français
RT France : Est-ce vraiment possible de créer un mouvement qui ne serait ni de droite, ni de gauche ?
Philippe Marlière : Il est possible de rassembler des personnalités qui sont positionnées à gauche ou à droite d’une certaine manière, des gens qui sont d’accord sur les sujets économiques, sociaux ou politiques les plus importants.
C’est d’ailleurs le projet du grand rival d’Emmanuel Macron, le Premier ministre Manuel Valls. Il veut, lui aussi, dépasser le Parti socialiste, créer un nouveau parti qui serait une espèce de parti démocrate pouvant justement rassembler une partie de la gauche modérée et une partie du centre-droit et de la droite.
Emmanuel Macron a à peu près les mêmes ambitions, sauf que, différence importante, je ne pense pas qu’il ait tout à fait le même background et la même philosophie politique. Manuel Valls est un républicain autoritaire classique, tandis que Macron est un liberal, politiquement aussi bien qu'économiquement.
Sur ces questions il est plus tourné vers une philosophie qu’on pourrait qualifier d’anglo-saxonne, d’anglo-américaine. Il vient du monde de la finance, de la banque, et il trouvera des alliés dans ces milieux-là.
D’ailleurs, ce matin, Mediapart révélait dans un article que le siège du mouvement d’Emmanuel Macron se trouvait à la Fondation Montaigne, un think tank très proche du patronat français.
Je trouve que c’est très significatif de la démarche : c’est un mouvement «En marche», en marche vers les milieux économiques, financiers et patronaux français. Je ne pense pas que son mouvement ait vocation à devenir un mouvement de masse, qu’il ait vocation à essayer de convaincre les gens en général, mais plutôt à s’appuyer sur une structure visible qui va lui permettre d’exister sur un plan médiatique avec des personnalités influentes, qu’on connait et qui ont un pouvoir économique, politique et symbolique dans la société française pour pouvoir porter la parole d’Emmanuel Macron.
Le projet d’Emmanuel Macron n’est pas un projet de chef de parti, c’est une tentative d’amener au cœur des élites politiques et économiques françaises une façon plus anglo-saxonne de voir les choses
Est-ce que cela veut dire qu’il a des ambitions suprêmes, de devenir président ? Pas cette fois-ci en tout cas. Il est trop jeune, il n’est pas encore dans le coup, mais c’est une façon pour lui de se préparer à l'avenir, au cas où les choses évolueraient dans un sens qui lui est favorable politiquement.
RT France : Quelles sont les perspectives de ce mouvement, au vu des protestations contre le projet de loi travail et d’autres réformes entamées par le gouvernement actuel ?
Philippe Marlière : Ce qui est assez intéressant, c’est que ce mouvement de protestation se concentre sur Myriam El Khomri, une ministre relativement mineure du gouvernement, et surtout sur Manuel Valls. Pour le moment, je crois qu'Emmanuel Macron a été assez épargné par les critiques, peut-être justement parce qu’on attend de lui qu’il mène ce type de réformes néo-libérales, de flexibiliser le marché du travail.
Si la réforme n’aboutit pas, je ne crois pas que cela va avoir une influence négative sur le projet d’Emmanuel Macron. Il se positionne pour les années à venir, pas pour les six mois ou l’année qui vient.
RT France : Va-t-il basculer à droite ?
Philippe Marlière : C’est le pari de la recomposition du champ politique français, où les gens comme lui, qui ont travaillé dans un gouvernement de gauche, pourront assez facilement passer dans une autre administration du camp adverse, dialoguer, être d’accord avec le MEDEF, avec des patrons...
Emmanuel Macron dit clairement que maintenant il ne faut pas dialoguer avec les syndicats et la gauche, mais avec les entrepreneurs
Le projet d’Emmanuel Macron n’est pas un projet du chef de parti, c’est une tentative d’amener au cœur des élites politiques et économiques françaises une façon plus anglo-saxonne de voir les choses. Il a une grande admiration pour ce modèle. Et même si la France s’en est raprochée économiquement depuis plusieurs années, culturellement, en théorie, elle reste en opposition à ce modèle.
En fait, Emmanuel Macron, c’est quelqu’un qui va essayer non seulement d’amener des réformes économiques, mais aussi de porter des idées proches du modèle anglo-américain.
RT France : Cette annonce d’Emmanuel Macron, porte-t-elle un coup aux socialistes et à François Hollande ?
Philippe Marlière : François Hollande a déjà beaucoup de problèmes, il est tellement impopulaire et assez faible… Je ne pense pas que cette décision joue un rôle majeur dans un sens ou dans un autre.
L’impopularité d’Emmanuel Macron à gauche est assez grande. Macron est vu comme une espèce de corps étranger à la gauche. Cela va être une confirmation pour la gauche, y compris au sein du Parti socialiste, que ce type ne fait pas partie de la gauche.
Par contre, d’une certaine manière, ce n'est pas une surprise et cela va clarifier les choses. Cela contraindre François Hollande à se positionner car un ministre majeur qu'il a choisi est en train de partir clairement sur une ligne de collaboration avec la droite, avec le patronat. «Vos critiques à gauche depuis plusieurs années disent que vous faites des cadeaux aux patrons, et maintenant, votre ministre de l'Economie donne raison à vos critiques.» Voilà ce qu’on va peut-être démontrer à François Hollande.
Il aura à trancher cette question : Emmanuel Macron dit clairement que maintenant il ne faut pas dialoguer avec les syndicats et la gauche, mais avec les entrepreneurs. C’est une accusation qui vise François Hollande depuis quelques années, notamment à gauche, mais si Macron le fait, ce n’est plus une hypothèse, c’est une action. Les journalistes qui font bien leur boulot devront poser la question au président.
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